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eraduire, fur-tout, le dernier morceau fi l'on entreprend de rendre les mêmes idées, la même fineffe, le même goût, le même degré.

au Lait. Pièce de la

La Fable de la Laitière & du Pot au Lait La Laitiè. eft fameuse par fa naïveté. Perette eft d'a-re & le Pot bord bien peinte en ménagère. Elle marche à grands pas, court au gain. La voila qui fe laiffe aller à fes belles pensées, & à fes idées de fortune. Elle fait de grands progrès, fes defirs font déja réalisés dans fa tête.

Perette fur fa tête ayant un Pot au Lait,
Bien pofe fur un coulinet,

Prétendoit arriver fans encombre à la Ville.
Légère & court-vêtue elle alloit à grands pas;
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,
Cotillon fimple, & fouliers plats.

Notre Laitière ainfi trouffée.

Comptoit déja dans fa penfée

Tout le prix de fon Lait, en employoit l'argent,
Acbetoit un cent d'œufs, faifoit triple couvée.

La joie de Perette fut courte. Emportée par fon imagination, elle fait un petit faut:

Le Lait tombe, adieu Veau, Vache,
cbon, Couvée.

Co

Toutes les idées raffemblées dans ce Vers s'évanouiffent à la fois : le Lait tombe, tout fe réduit à rien. Peut-être que cette Fable auroit dû finir au Lait renverfé. La Fon. taine n'auroit pas dû ajouter les circonftan ces froides de la Laitière battue par fon Ma ri, & de l'avanture racontée & nommée le Pot au Lait.

D. Outre Efope, Phèdre & la Fontaine,

n'y

Fontaine.

n'y a t-il pas encore d'autres fameux Fabi liftes?

R. Il y en a trois, que nous ne devons pas oublier de faire connoître, favoir Pilpai, Mr. de la Motte, de l'Académie Françoife, & Mr. Richer, Avocat au Parlement de Rouen.

Les Fables Pilpai, quoiqu'Efclave, gouverna longde Pilpai, tems l'Indoftan fous un puiffant Empereur. Ses Fables ont de très grands défauts, mais comme cet Auteur a le mérite de l'invention, on doit lui accorder quelque eftime. Toute fa Politique étoit renfermée dans fes pièces; c'étoit le Livre d'Etat, & la Difcipline de l'Indoftan. Un Roi de Perfe, prévenu de la beauté de fes maximes, envoya recueillir ce tréfor fur les lieux, & fit traduire Pilpai par fon Médecin. Les Arabes lui ont auffi décerné l'honneur de la traduction, & il eft demeuré en poffesfion de tous les fuffrages du Levant.

Ce n'eft cependant pas un Modèle à fuivre. Ses Fables n'ont souvent ni justesse, ni unité, ni naturel; il les contredit les unes par les autres, & quelquefois elles fe contredifent toutes feules. Il fait dire aux Animaux des chofes fi férieuses, fi étendues & fi raifonnées, qu'on les perd de vue dans leurs difcours; & quelquefois c'eft encore pis dans leurs actions, qui ne font pas le fimbole de nôtres, mais les nôtres mêmes.

Il n'y a d'ailleurs ni ordre, ni arrangement dans fes Fables. Au-lieu d'être détachées, elles font embaraffées les unes dans les autres. Les Acteurs d'une Fable en content de nouvelles, qui font encore interrompues par d'autres. Le recueil de ces fictions n'eft proprement qu'un Roman

bizarre d'Animaux, d'Hommes, de Génies, où les avantures fe croisent à tout moment. A l'exception de quelques endroits où Pilpai paroit ingénieux & folide, il eft dans le refte, tout à la fois puérile & férieux, diffus & fec, inutile à l'inftruction, parce que, -outre les contradictions qui la détruifent, il ne l'appuie pas d'ordinaire d'allégories affez juftes.

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la Motte.

Les Fables de Mr. de la Motte ont fait Les Fables beaucoup de bruit dans le monde. Elles de Mr. de n'ont pas les graces de celles de la Fon-" taine, il en convient lui-même, & fe met par cette raifon au-deffous de lui. Mais, dit-il (a), ,, n'y auroit-il pas quelque ,, juftice à me compter, en compenfation des beautés qui me manquent, le mérite de l'invention que mon Prédéceffeur ne s'eft pas propofé. Il a donné aux Fables anciennes des agrémens tout nouveaux & fi précieux, qu'on ne fait le plus fouvent auquel on doit le plus de l'Inventeur où de l'Imitateur. Les embeliffemens l'emportent quelquefois de ,, beaucoup fur le fonds, quelque ingénieux ,, qu'il puiffe être: mais enfin ce fonds n'eft ,, pas à lui: fon efprit n'avoit, pour ainfi dire, qu'une affaire; & débaraffé du foin de l'invention principale, il s'épuifoit tout entier fur les ornemens, qui ne font ,, que les inventions acceffoires. Pour moi (ceci doit m'attirer quelque indulgence), je me fuis propofé des vérités nouvelles. A huit ou dix idées près, qui ne m'ap» partiennent que par des additions, ou ,, par

"

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(a) Voyes fon Difcours far la Fable.

cher.

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,, par l'ufage moral que j'en fais, il a fal lu inventer les Fables pour exprimer mes vérités; il a fallu enfin être tout à la fois & l'Efope & le la Fontaine. C'en étoit fans doute trop pour moi; il ne feroit ,, pas jufte d'exiger que j'égalaffe ni l'un ni l'autre; & le Public doit être affez con,, tent, ce me femble, s'il ne me trouve » pas trop loin des deux.

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Mr. de la Motte s'engagea à faire cent Fables; & il tint parole. Il y a dans toutes du fens, de l'efprit: il y en a plusieurs qui font fort estimées: mais on n'y trouve point cette douce ingénuité que l'on admire tant dans celles de la Fontaine.

Les Fables Nous avons de Mr. Richer un Recueil de Mr. Ri- de Fables, qui fe font lire avec plaifir. Il y a dans la plupart de la douceur & de la naïveté. Ces pièces ont paru en divers tems; & on les trouve toutes raffemblées dans l'Edition de Paris de l'an 1748. (a).

Mr. Richer naquit à Longueil, Bourg de Normandie dans le païs de Caux. Ses parens, qui le deftinoient au Bareau, le fi rent étudier en Droit. Il fe fit recevoir Avocat, plutôt par complaifance que par inclination. Un attrait plus puiffant le tournoit vers la belle Littérature, & fur-tout vers la Poéfie, qui avoit pour lui des charmes inexprimables. Il quitta fon païs, fa profeffion, & vint à Paris pour y perfec

tion

(a) Cette Collection a été imprimée fous les yeux de l'Auteur, qui en a revu toutes les feuilles, à l'exception de la dernière, pendant l'impreffion de laquelle il fut attaqué de la maladie qui le mit au tombeau.

tionner les talens qu'il avoit reçus de la Nature. Maître alors de fuivre fon penchant, il fe livra à l'étude des Belles - Lettres, & elles devinrent fa principale & même fon unique occupation. Nous avons de lui divers Ouvrages. On finiffoit d'imprimer le der nier Recueil de fes Fables, lorsqu'une maladie aigue termina fes jours & fes travaux. Il mourut à Paris le 12 Mars 1748 dans la 63me, année de fon âge.

D. Quel eft le principal but de la Fa-But princi

ble?

pal de la R. C'eft l'Inftruction. La Fable eft d'au- Fable. tant plus propre à inftruire, qu'elle eft proportionnée à la nature de l'Efprit humain. Mais, pour qu'elle foit inftructive, il faut toujours fe propofer quelque vérité à faire entendre. En beaucoup d'autres Ouvrages on peut fe déterminer par ce que les faits ont d'agréable ou de touchant, & les traiter feulement pour les traiter, fans aucune vue d'y renfermer quelque inftruction. Mais ce feroit une chose monftrueufe d'imaginer une Fable fans deffein d'inftruire. Son effence eft d'être fymbole, & de fignifier par conféquent quelque autre chofe que ce qu'elle dit à la lettre.

D. Doit-on toujours obferver la Vrai- Si on doit toujours femblance dans les Fables? obferver la

R. Il faut fe prêter aux fictions des Fa-vraifembuliftes, & leur paffer quelque chofe, tant blance à l'égard de la Vraifemblance que de la jus- dans la Fateffe. Ils fuppofent qu'un Loup peut fuf- ble. pendre fa faim, en voyant un Agneau, & ne le dévorer qu'après lui avoir fait querelle; qu'un Lion peut devenir amoureux d'une Fille, & un Homme de fa Chatte. Le Renard fert à manger à la Cigogne fur

unc

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