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de beaucoup d'expreffions vives & gracieuses. Un Ruiffeau eft le courant d'une Onde pure: cette circonlocution fait image:

Sire, que votre Majesté, &c.

Cela eft riant & doux. Tu la troubles, cette reprise eft dure.

Vous ne m'épargnez guère,

Vous, vos Bergers, vos Chiens.

Cette énumération brufque marque la colère d'un homme qui a tort, & qui ne veut plus qu'on lui réponde.

Cicogne &

Pour mettre encore davantage les Jeunes- Comparai gens fur les voies, nous allons tranfcrire la fon de la Fable de la Fable de la Cicogne & du Renard, telle qu'elle eft racontée par Phèdre & par la du Renard Fontaine, afin qu'on puiffe comparer enfem- par Phèdre ble les deux pièces, & juger enfuite de leur & la Fonmérite. Voici celle de Phedre.

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دو

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Le Renard invita un jour la Cicogne à fouper, & lui fervit un brouet clair fur une affiette, tellement que, malgré fa faim, elle ne put en goûter en aucune façon. Celle-ci, à fon tour, invita le Renard, & lui fervit du hachis dans une bouteille: fon bec pouvant y entrer, elle man,,ge à fon aife, & fait endurer la faim à fon Hôte. Comme celui-ci léchoit le cou de la bouteille, l'Oifeau voyageur lui dit: On doit s'attendre à la pareille.

دو

دو

دو

ود

L'affront que reçoit la Cicogne eft d'autant plus piquant, que le Renard avoit fait les avances. Envain la Cicogne effaie de toutes les manières pour goûter feulement

du

taine.

du mêts qu'on lui fert, elle ne peut en goûter en aucune façon.

La Cicogne, à fon tour, mange à fon aife, &fait endurer la faim à fon Hôte. Le Latin a plus de force: Satiatur ipfa, & torquet Convivam fame. Le verbe Satiatur marque l'abondance où fe trouve la Cicogne; & le verbe torquet marque la cruelle disette où est le Renard, il eft à la torture. Cette attitude, il léche le cou de la bouteille, eft intéreffante, parce qu'on la compare avec celle de la Cicogne qui fe raffafie.

Voyons maintenant la même Fable racontée par la Fontaine. Cette pièce l'emporte fur celle de Phèdre. Elle a quelque chofe de plus riant, & eft beaucoup plus ornée, fans rien perdre de fa naïveté. Le Renard y a un caractère plus marqué d'un bout à l'autre.

Compère le Renard fe mit un jour en fräis,
Et retint à dîner Commère la Cicogne.
Le regal fut petit, & fans beaucoup d'apprêts:
Le Galant pour toute befogne

Avoit un brouet clair, il vivoit chicbement.
Ce brouet fut par lui fervi sur une affiette :
La Cicogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lappé le tout en un moment.
Pour fe venger de cette tromperie,
A quelque tems delà la Cicogne le prie:
Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.
beure dite il court au logis
De la Cicogne fon Hotelfe,
Loua très fort la politeffe,
Trouva le Diner cuit à point.

Bon appétit fur-tout; Renards n'en manquent poin.

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- fe réjouifoit à l'odeur de la viande Mife en menus morceaux, & qu'il croyoit friande.

On fervit pour l'embarasser

En un vafe à long cou, & d'étroite embouchure.
Le bec de la Cicogne y pouvoit bien paffer,
Mais le mufeau du Sire étoit d'autre mefure,
Il lui fallut à jeun retourner au logis;
Honteux comme un Renard qu'une Poule auroit
pris,

Serrant la queue, & portant bas l'oreille.
Trompeurs, c'est pour vous que j'écris,
Attendez-vous à la pareille.

Ces mots, le Renard fe mit un jour en frais conviennent très bien à quelque Gourmand ou à quelque Avare, qui donne rarement. Le Galant pour toute befogne: le terme Galant marque l'appétit & l'air madré du Compère. La Cicogne au long bec: cette image eft courte & représente bien: n'en put attraper miette, façon de parler énergique & proverbiale.

Et le Drôle eut lappé le tout en un moment.

Ce Vers eft très beau, tout y eft fort. Le Drôle; on fait ce que c'eft qu'un Drôle. Lappé, dit la chofe & la manière dont elle fe fait. Le tout, l'article le fortifie le mot tout; en un moment se prononce très vite. La Cicogne prie le Renard à fon tour.

Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis, &c.

Le Galant est toujours prêt. Il ne va point au logis, il y court: à l'heure dite. Bon appétit fur-tout, Renards n'en manquent Tome V. point:

Cc

Les Gree

un Roi.

point: la réfléxion fait plaifir, elle est cour-
te & naturelle. Il eft prêt de fe mettre à ta-
ble, mais fon empreffement va être dupé.
Le Lecteur eft agréablement attentif.
faut pas oublier ce Vers:

Il ne

Mais le mufeau du Sire étoit d'autre mesure.

Etoit

Le mufeau du Sire ridiculife le Sire.
d'autre mejure: cette circonlocution est beau-
coup plus agréable que l'expreffion naturel-
le: fon mufeau étoit trop gros.

Honteux comme un Renard qu'une Poule au-
roit pris,

Serrant la queue & portant bas l'oreille.

Ces deux Vers peignent, on ne peut pas mieux, la honte d'un trompeur qui fe voit trompé.

La Fable des Grenouilles qui demandent un ouilles qui Roi a dans le Latin de Phèdre des beautés demandent que notre Langue ne fauroit rendre, puifDans Phè- qu'elle ne l'a pu dans la bouche de la Fondre & dans taine. Il y a auffi un grand nombre de beaula Fontai- tés dans la Fontaine, que Phèdre n'auroit

ne.

pu rendre en Latin; car les choses font à peu-près égales des deux côtés. Il y a des expreffions qui ne fe tranfportent pas.

Cependant la Fontaine a jetté dans fon récit beaucoup de graces: il en communique à tout ce qu'il touche. Mais peut-être qu'il a pouffé le riant un peu trop loin, quand il a dit que les Grenouilles n'ôfoient regarder leur Roi au vifage. On ne voit pas bien où eft ce vifage, ni ce qui peut en tenir lieu dans un Soliveau, cela paroit forcé. Par la même raifon dans ces deux Vers:

Et

Et leur troupe à la fin fe rendit familièro
Fufqu'à fauter fur les Épaules du Roi.

Où trouver ces Epaules dans un Soliveau?
La vérité manque.

Rien de plus beau que ce Vers Latin de
Phèdre:

Rana vagantes liberis paludibus.

Les Grenouilles qui erroient en liberté dans leurs marais. Le mot vagantes, qui fignifie errantes, eft une image peinte d'un trait. Liberis, qui veut dire libres ou en liberté, eft une épithète bien choisie par oppofition à l'esclavage qui doit fuivre. La troupe pétulante faute jur le Soliveau. Un moment auparavant c'étoit la race peureuse, timidum genus, maintenant c'eft la canaille infolente. Voila l'image de la Populace, qui commence par avoir peur, qui enfuite demande pourquoi, & qui finit par être infolente. Il y a dans cette même Fable de Phèdre d'autres endroits qui méritent d'être remarqués pour leur beauté.

entre deux

Dans la Fable de l'Homme entre deux ages, L'Homme la Fontaine femble avoir mieux réuffi que ages. Dans Phèdre. 1. Parce qu'il fuppofe que c'eft un Phedre & Homme qui fonge à fe marier: puifqu'il ti- dans la roit fur le grifon, on doit naturellement le Fontaine. fuppofer fage au-lieu que dans Phèdre, il paroit encore livré à de folles amours. 2. Il le fuppofe riche; & c'étoit par cette raifon qu'on l'aimoit. C'est un avis aux riches, qui s'imaginent quelquefois qu'on ne les aime que pour eux. 3. La Fontaine met mieux au fait de la maneuvre que jouent Cc 2

les

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