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de Phèdre

ce que c'eft que le fond d'une Fable. Plus les Ouvrages font fecs, courts & décharnés, plus il eft aifé d'en faire connoître les par ties fondamentales & les liaisons.

Caractère Phèdre, Affranchi d'Augufte, étoit homme d'efprit & délicat. Il eft fimple, mais & de fes magnifique dans fa fimplicité. Il ne fe con

Fables.

Caractère

taine & de

tente pas de raconter, il peint, & fouvent d'un feul trait. Toutes fes expreffions font choifies, fes Vers foignés, fes pensées mefurées. Un Ouvrage fi poli & fi délicat étoit déja oublié à Rome du tems de Senèque, c'est-à-dire 50 ans, tout au plus, après la mort de l'Auteur, & il demeura dans cet oubli jufqu'au 16me, fiècle, que François Pithon lui redonna la lumière, en le tirant de la Bibliothèque de St. Remi de Reims. Auffitôt qu'il reparut, tous ceux qui avoient le vrai goût de l'Antiquité reconnurent le fiècle d'Augufte, & lui rendirent avec ufure les honneurs dont il avoit été privé pendant tant de fiècles."

Quelques-uns prétendent que la fimplici té d'Efope eft feche & trifte; que l'élégance de Phèdre n'a pas affez de cette douce moleffe, de ce gracieux tendre, qui chatouille & qui attache. Il falloit un Homme formé exprès par la Nature, pour ajouter cette partie à l'Apologue, & le montrer en même tems fimple, élégant, & naïf.

Cet Homme, c'eft le célèbre la Fontaine, de la Fon- né à Château-Thierri, petite Ville de Chamfes Fables, pagne. Jamais Homme ne fut plus fimple, mais de cette fimplicité ingenue qui eft le partage de l'enfance. Il a élevé l'Apologueà un point de perfection où il n'est guère poffible d'atteindre. Il écrivoit tout d'abondance de cœur. C'étoit le goût, & le goût

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feul,

feul, qu'il avoit exquis, qui menoit fa plume. Il fe plioit à tous fes fujets avec une facilité extrême; &, quand il en avoit une fois l'imagination frapée, il voyoit diftinctement tout ce qu'il y avoit d'intéreffant à peindre, & les couleurs de la Nature fe trouvoient au bout de fon pinceau.

Marcher fur les pas de la Fontaine, c'eft moins l'imiter que fuivre la Nature. Sage imitateur des Anciens, il a joint à la fimplicité & à la naïveté d'Efope les graces & l'élégance de Phèdre. Cette élégante & naïve fimplicité, a tant de charmes que les Fables les moins régulières plaifent toujours chez ce grand Fabulifte.

bles de

Pour faire juger du mérite des pièces de ComparaiPhèdre & de celles de la Fontaine, nous fon des Faallon's raporter la Fable du Loup & de l'A- Phèdre & gneau, telle qu'elle fe trouve dans ces deux de celles fameux Fabuliftes. La pièce de Phédre eft de la Fonune des plus belles & des plus célèbres detaine. Le l'Antiquité; mais elle perd à divers égards Loup & dans toutes les traductions Françoifes, parce" Agneau. qu'elle a des termes qu'on ne peut rendre que foiblement en notre Langue.

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Le Loup & l'Agneau, preffés par la foif, étoient venus boire à un même Ruiffeau. Le Loup étoit au deffus, & l'Agneau ,, beaucoup plus bas. Alors l'Affaffin, pouffé ,, par fon injufte avidité, chercha querelle r ,, Pourquoi, dit-il, troublés-tu cette eau ,, tandis que je bois? L'Agneau tremblant lui répondit: Comment puis-je faire ce dont vous vous plaignez? L'eau coule de vous à moi. Le Loup, repouffé par la force de la Vérité, répond: Il y a fix ,, mois que tu médis de moi. L'Agneau ré" partit: Je n'étois feulement pas né. C'eft

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ton Père, j'en attefte Hercule; & auffitôt il le prend, & le déchire injuftement. Tout eft clair dans cette Fable. 1. Le lieu de la Scène; c'est le bord d'un Ruiffeau. 2. Les deux Acteurs, c'est le Loup & l'Agneau. 3. Leurs Caractères; la violence & l'innocence. 4. L'Action; c'est le démêlé de l'un & de l'autre. 5. Le Noud, qui tient le Lecteur en fufpens, eft de fa voir comment fe terminera la querelle. 6. Le Dénouement, c'est la mort de l'innocent, d'où fort la Morale: Que le plus foible eft fouvent opprimé par le plus fort.

Dans ce peu de mots: Le Loup & l'Agneau, preffés par la foif étoient venus boire

un même Ruiffeau, on a les Acteurs, le lieu de la Scène, & ce qui les amène tous deux. Le Loup étoit au-deffus, & l'Agneau beaucoup plus bas: voila la fituation de l'un & de l'autre bien marquée. C'est de cette fituation que dépend une partie du caractère de l'Action: fi on eût mis l'Agneau où on met le Loup, la plainte de celui-ci auroit pu être jufte. Cette eau défigne l'eau qui eft devant le Loup, & rend l'accufation plus. fenfiblement injufte; tandis que je bois eft plein d'orgueil; qu'on imagine le ton dont cela étoit prononcé.

L'Agneau tremblant lui répondit. Il y a dans le Latin Laginer, ou l'Animal portant laine, qui femble caractériser la douceur. de l'Agneau, de même que Latro où l'Affaffin, que Phèdre emploie deux vers plus haut, caractérise le mauvais deffein & la noirceur du Loup. Ces mots tirés ainfi de la circonftance ont deux mérites: le prémier de faire un portrait; le fecond, de faire éviter les redites du nom propre. Com

mèng

ment pourrois-je faire ce dont vous vous plaignez? On ufe de circonlocution par respect plutôt que de dire ouvertement, comment puis-je troubler votre eau? ce qui eût paru plus hardi. Le Loup reprend brufquement: Il y a fix mois que tu médis de moi: l'Agneau Je n'étois feulement pas né. Cette réponse eût perdu de fa force, fi elle eût été plus longue & plus arrangée. Le Loup, piqué d'une réponse fi claire, s'emporte: il prend le haut ton, il jure par Hercule, & déchire fa proie, fans attendre de nouvelles repliques.

Dans cette Fable la violence eft peinte parfaitement par les Difcours & par l'Action. Cette pièce eft une petite Tragédie, elle en a les trois parties naturelles, un Prologue, ou Expofition du Sujet, une petite intrigue qui fait un nœud, & enfin un Dénouement qui fort de l'Action.

La Fontaine n'a rien changé à ce qui fait le fond de cette Fable. Il a fuivi Phèdre prefque par-tout; s'il l'a furpaffé dans plufieurs endroits, il y en a quelques-uns où il lui eft inférieur. Pour comparer les deux Fables, nous joindrons ici celle de la Fontaine.

Un Agneau fe defaltéroit

Dans le courant d'une Onde

pure.

Un Loup furvient à jeun qui cherchoit avanture, Et que la faim en ces lieus attiroit.

Qui te rend fi bardi de troubler mon breuvage? Dit cet Animal plain de rage;

Tu feras cbatié de ta témérité.

Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté

Ne fe mette pas en colère;

Mais plutôt qu'elle confidère ·

Que

Que je me vas defaltérant

Dans le courant,

Plus de vingt pas au-deffous d'elle;
Et que par conféquent en aucune façon
Je ne puis troubler fa boiffon.

Tu la troubles, reprit cette Bête cruelle,
Et je fai que de moi tu médis l'an pallé.
Comment l'aurois-je fait fi je n'étois pas né?
Reprit l'Agneau: je tête encore ma mère.
Si ce n'est toi c'est donc ton frère;

Je n'en ai point. C'est donc quelqu'un des tiens;
Car vous ne m'épargnez guère,

Vous, vos Bergers, & vos Chiens.
On me l'a dit: il faut que je me venge.
Là-deffus au fond des forêts

Le Loup l'emporte, & puis le mange,
Sans autre forme de procès.

Nos deux Fabulistes, Phèdre & la Fontaine, ont peint les caractères du Loup & de l'Agneau d'une manière intéressante. L'Agneau eft plus tremblant dans Phèdre, il eft plus doux dans la Fontaine & plus refpectueux: il ne parle au Loup que par troisième perfonne:

Que votre Majefté

Ne je mette point en colère.

Ce vers du Poète François, quoique très naturel:

Comment l'aurois-je fait, fi je n'étois pas né;
Je tête encore ma mère,

ne vaut pas l'énergique fimplicité du Latin: Equidem natus non eram; je n'étois feulement pas né. La Fable Françoife eft femée

de

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