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ou Créfus l'avoit envoyé pour faire des fa crifices à Apollon. Il en fut fi piqué, qu'il fit contre les Delphiens la Fable des Bâtons flottans, qui de loin paroiffent quelque cho fe, & qui de près ne font rien. Les Delphiens, pour se venger, l'accufèrent d'avoir enlevé une Coupe d'or consacrée Apollon. Le malheureux Efope fut trafné en prifon, condamné comme facrilège. & précipité du haut de la Roche Hyampie. Sur le point d'être jetté en bas, il raconta à ces Hommes cruels la Fable de l'Aigle & de l'Efcarbot, pour les détourner d'une fl méchante action, par la crainte de la Justice divine, qui ne laiffe aucun crime impuni. Mais, malgré fa fubtilité & fa fageffe, le Philofophe fut précipité.

La réputation d'Efope augmenta après fa mort. Les plus fameux Philofophes de la Grèce ornèrent leur mémoire de fes Fables. Quand on vouloit reprocher à quelqu'un fon ignorance craffe & fa ftupidité, on lui difoit: Vous n'avez pas même lu Efope. On a lieu de croire qu'on a perdu plufieurs Apo. logues d'Efope, & qu'on lui en a attribué qui ne font pas de lui. On doute fi celles qui portent à préfent fon nom, & que Pla nude a publiées, font les mêmes qu'il avoit écrites. Le recueil de Planude eft de 149 Fables: il y en a de bien plus amples. On a appellé Éfopiennes toutes les Fables de L'Antiquité où l'on a introduit des Animaux. Cependant il n'en eft pas l'inven teur.

Efope joignoit au feu & à la fubtilité de fes reparties un fens fublime. La vivacité de fon caractère eft peinte dans fes Fables. I fe contente par-tout de la clarté & de la

Bb 7

pré

Exemple

re des Fa

précifion. Celles qui nous reftent de lut font d'un fi grand fens, qu'aujourdhui même, où il femble qu'on ne facrifie qu'à l'ef prit, on en éprouve avec plaifir l'afcendant, quand on daigne s'y arrêter.

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L'Apologue eft dans Efope d'une brieveté extrême. L'Auteur ne connoiffoit point de milieu entre le néceffaire & l'utile. Quand un pas lui fuffifoit pour aller à fon but, if ne faifoit qu'un pas. Le caractère de fes Fables eft la fimplicité toute nue, fans le moindre ornement. Cette manière n'est pas fans grace pour les fins Connoiffeurs. Prenons pour exemple la Fable de la Cigale & des Fourmis.

bles d'Efo." pe, tiré de " la Fable de,,

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Un jour pendant l'hiver, les Fourmis du caractè-,, faifoient fécher du Froment, que la pluie avoit mouillé. La Cigale affamée vint leur en demander pour fe nourrir. Pourquoi n'avez-vous pas fait votre provifion en Eté, lui dirent les Fourmis? Je n'é,, tois pas oifive, répondit la Cigale, je chanFourmis. tois: Les Fourmis fe mirent à rire, & lui dirent: Si vous chantiez en Eté,

la Cigale & des

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,, pouvez danfer en Hiver.

Vous

Si l'Apologue eft le récit d'une action allégorique, tout fe trouve dans cette piè ce. Il y a Récit, Action, Allégorie. Le Récit eft vifible: on raconte ce qui s'est paffé entre la Cigale & les Fourmis. Les Acteurs font la Cigale d'un côté, & les Fourmis de l'autre. La Cigale paresseuse: les Fourmis laborieufes; voila leurs caractères, qui font contraftés ou oppofés. Les Fourmis remuent leur Blé: la Cigale vient leur en demander; on lui en refufe: ainfi l'Action eft la Cigale refufée par les Fourmis. Il y a un commencement; c'est la Ci

gale

gale qui fe préfente devant les Fourmis: un milieu, c'est leur entretien; une fin; c'est la Cigale renvoyée avec mépris: ce qui fait, un Tout. Otez une de ces parties, l'Action n'eft plus complette.

Venons aux circonftances, & remarquons, 1. que les Fournis font occupées, quoiqu'en Hiver; ce qui rend la Cigale encore plus blåmable, d'être reftée oifive pendant. Ï'Eté. 2. Ce travail fait naître à la Cigale là pensée & l'occafion de demander: elle voit du Blé expofé au Soleil; fa demande eft fort naturelle.. 3. La Cigale croyoit a voir travaillé affez, que d'avoir chanté: un pareffeux fe croit occupé, en faisant des riens. 4. Les Fourmis fe mettent à rire de fa fotife, qui leur paroit contre le fens le plus commun: elles renvoient l'Emprunteufe avec un mépris mêlé d'infulte.

L'Allégorie eft fenfible, & l'Inftruction: règne d'un bout à l'autre. On reconnoit les Hommes fous le mafque de la Fourmi & de la Cigale, & on y apprend que la pareffe & l'oifiveté menent à une difette, qui excite l'indignation des autres Hommes, plutôt que leur pitié.

La Fable du Renard dans une Folle nous Autre donne auffi une jufte idée de ce que nous exemple, avons dit du caractère du Fabulifte Grec & tiré de la de celui de fes pièces. C'est Ariftote qui Fable du nous l'a confervée, & il la donne pour exem- dans une ple dans fa Rhétorique. La voici.

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Un jour Efope, chargé de défendre un Gouverneur accufé de crime capital, parla ainfi. Un Renard voulant paffer une Ri,, vière, tomba dans une foffe bourbeuse. Ne pouvant en fortir, il fouffrit longtems: », une infinité de groffes Mouches vinrent

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le

Renard

Foffe.

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le tourmenter. Par hazard il fe rencontra ,, un Hériffon, qui eut pitié de fon état. Voulez-vous, lui dit-il, que je chasse ces Mouches? Non, répondit le Renard. "Pourquoi donc? Parce que bientôt celles cl feront foules de mon fang, & que fi vous les chaffez, il en viendra d'autres ,, plus affamées, qui me fuceront ce qui ,, m'en refte..

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Il y a dans cette Fable bien des leçons en peu de mots; & on y reconnoit le grand fens d'Efope. Le Renard réprésente le Peuple qui eft foulé; les Mouches, fon Gouverneur; le Hériffon, les Accufateurs de ce dernier. Le Renard eft malheureux, mais il eft fage & prudent dans fon malheur. Ce fimbole ne pouvoit déplaire au Peuple dont il s'agiffoit. Le Hériffon eft choifi plutôt qu'un autre Animal, parce qu'étant hé riffé de pointes, il pouvoit nuire lui-même, en voulant faire du bien ce qui con-vient aux Accufateurs qui vouloient changer de Maître peut-être pour régner euxmêmes avec plus de dureté. Enfin les Mouches, Infectes malfaifans, & que pourtant il faut fouffrir, font ce Gouverneur, que l'avarice a rendu injufte: mais fes defirs étant presque affouvis, & fa paffion par conféquent ralentie, il vaut mieux encore le garder que d'en prendre un autre.

Remarquez bien que dans cette Fable il n'y a pas une fillabe dont le Récit puiffe fe paffer; mais auffi il n'y en a aucune qui y foit mife pour l'ornement. C'est un sque lette, dont toutes les parties font bien placées & bien liées, mais fans être revêtues. de chair.

Dans cette Fable, de même que dans

celle

celle de la Cigale & des Fourmis, il y a trois parties à obferver, 1. Le Renard qui tombe dans une foffe, & fe trouve affailli par des Mouches. 2. Le Hériffon qui s'offre pour les chaffer. 3. Le Renard qui ne veut pas qu'on les chaffe, & qui en dit la raison. Si on ôtoit la prémière partie, le Récit n'auroit point de tête: fi on ôtoit la fin, il demeureroit fufpendu: il faut partir, marcher, arriver: ou, ce qui est lê même, en treprendre, agir, achever.

Vous trouvez ces trois parties bien diftinctes dans la petite Fable d'une Montagne qui accoucba d'une Souris. Si l'on dit avec Phèdre ou la Fontaine :

Une Montagne en mal d'enfant
Fettoit une clameur fi baute.

Voila un Récit qui commence; que doit produire cette clameur? Les Peuples font étonnés: on accourt, on veut voir ce qui en arrivera.

Chacun ou bruit accourant,

Crut qu'elle accoucheroit, fans faute,
D'une Cité plus groffe que Paris.

Voila le milieu. La fin fuit:

Elle acouchà d'une Souris.

L'étonnement & la curiofité du Peuple font une partie effentielle de cette Fable. Si l'on difoit fimplement. Un jour une Montagne accoueba d'une Souris; cela reffembleroit plus à un fait qu'à une action.

On voit par tout ce qui vient d'être dit,

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