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sible qui donne l'être à tout par sa puissance, qui conserve tout par sa providence, qui éclaire tout de sa lumière souveraine et universelle. « Celui qui n'a jamais vu » cette lumière pure, dit Fénélon, est › aveugle comme un aveugle-né : il passe > sa vie dans une profonde nuit, comme » les peuples que le soleil n'éclaire point pendant plusieurs mois de l'année » croit être sage, et il est insensé; il croit tout voir, et il ne voit rien; > il meurt, n'ayant jamais rien vu; tout » au plus il aperçoit de sombres et fausses lueurs, de vaines ombres, des fantômes › qui n'ont rien de réel. »1

il

Disons un mot de ce singulier paradoxe philosophique d'après lequel il faudrait admettre qu'on ne peut être certain » d'aucune vérité, pas même de sa propre > existence, si auparavant on n'est assuré » qu'il y a un Dieu.» Mais comment supposer qu'il y ait un moment où un homme sain d'esprit et de corps ne soit pas sûr d'exister? Celui qui n'aurait pas cette assurance pourrait-il avoir aucune

• Télémaque.

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autre certitude? il ne serait pas même certain de penser. Si la croyance en Dieu devait nécessairement précéder toute autre croyance, comment feraient ceux qui auraient le malheur de ne pas croire ? Incertains de leur propre existence et de celle des autres objets extérieurs, l'Écriture sainte pourrait-elle les blâmer de ne s'être pas servis de la vue des créatures pour s'élever au Créateur? La connaissance de Dieu n'est donc pas à la rigueur la première de nos connaissances, et ne peut être, en philosophie, notre point de départ. Nous avons déjà vu que saint Augustin voulait que l'on commençât par s'assurer de sa propre existence. Il dit ailleurs : » C'est par la connaissance de moi-même » que je m'éleverai à Dieu. » Et encore: « Celui qui se livre à l'étude de la philosophie doit en premier lieu se considérer >> lui-même. » Il ajoute : « Deux questions » se présentent ensuite à examiner, l'une » touchant notre existence l'autre tou>> chant l'existence de Dieu. Tel est, dit-il, » l'ordre des études philosophiques, hic est » ordo studiorum sapientiæ. » Il ne paraît donc pas que celui qui dans ses recherches veut suivre la méthode philosophique,

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et s'élever du connu à l'inconnu, en ne s'appuyant que sur les seules lumières de la raison, doive faire passer la certitude de l'existence de Dieu, avant celle de sa propre existence.

Mais remarquons toutefois que celui qui plus sage et plus éclairé découvre dans les seuls enseignemens de la Religion la plus excellente philosophie, fait peu de cas de toutes les méthodes empruntées au paganisme, et se garde bien de commencer son instruction dans un esprit d'hésitation et de doute sur l'existence de la cause premiere. Écoutons Bossuet à ce sujet : «S'il fallait toujours examiner avant que » de croire, il faudrait commencer par » examiner si Dieu est, et écouter durant » quelque temps avec une espèce de suspension d'esprit, les raisonnemens des » impies: c'est-à-dire, qu'il faudrait passer a la croyance de la Divinité par l'athéisme, » puisque l'examen et le doute en est une » espèce. Mais non : Dieu a mis sa marque » dans le monde qui est l'oeuvre de ses » mains, et par cette marque divine, il imprime avant tous les doutes le senti»ment de la Divinité dans les ames. »

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Causes fi

nales.

Dieu est la cause efficiente de tout ce qui existe, et il en est aussi la cause finale, c'est-à-dire, qu'il est lui-même la fin de ses propres opérations. La seule raison nous dit en effet que l'être souverainement intelligent ne peut agir au hasard et sans motifs; que l'être infiniment parfait ne peut se proposer d'autres fins dignes de lui, que lui-même. S'il agissait au hasard, où serait sa sagesse ? S'il n'agissait pour lui, les droits de sa justice en seraient blessés. Infiniment au-dessus de tout, il se doit tout, il se rend tout. Le plan général de la création est donc la gloire de Dieu; et c'est pour cela que l'Écriture invite tous les êtres animés ou inanimés, intelligens ou sans intelligence, à glorifier leur Créateur.

Mais outre cette fin générale de la création, chaque être a une fin particulière, qui sans doute ne nous est pas toujours connue, mais qu'on ne pourrait nier sans nier aussi qu'une cause intelligente ait présidé à la formation de l'univers. Tout

Universa propter semetipsum operatus est Dominus.

indique un dessein suivi, un plan profondément conçu, une sagesse à laquelle rien n'a échappé. Que l'impie Lucrèce vienne nous dire que l'oreille n'a pas faite pour entendre, mais que nous entendons parce que nous avons une oreille,

multoque creatæ sunt priùs aures,

Quám sonus est auditus;

été

nous regarderons ce discours comme un jeu d'une imagination déréglée; autant vaudrait dire que ce pont solidement construit qui s'offre à nous sur un fleuve rapide, n'a pas été fait pour traverser ce fleuve, mais que nous le traversons parce qu'il y a un pont.

Les impies de tous les siècles se sont plu à combattre les causes finales, dans l'intention secrète de faire oublier s'il était possible la cause première; et parce qu'ils ne pouvaient comprendre la fin particulière de chaque partie, ils affectaient de nier la fin générale de l'ensemble. Le langage qu'ils tiennent aujourd'hui, ils l'ont tenu dans tous les temps. « Si vous voulez que »> nous croyons, disaient aussi des sophistes » à saint Augustin, rendez-nous raison de

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