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nous ne rêvons pas ? Illustre philosophe, le simple bon sens nous en donne l'assurance. Un sentiment intérieur plus fort que tous les raisonnemens; une conviction profonde contre laquelle nous voudrions en vain lutter, nous force d'ajouter foi au témoignage de nos sens, et de regarder ces objections comme une folie. Dégageons un instant notre esprit de toute préoccupation, et une simple réflexion sur ces doutes insensés suffira pour les dissiper, comme un rayon de soleil dissipe ces légers brouillards qui nous cachent quelquefois la nature.

Que penserait-on d'un homme qui, à la vue de la cathédrale de Paris, et devant ces tours si massives, et cette façade imposante noircie par le temps demanderait

si cet énorme édifice est un être bien réel; si ce n'est pas une illusion légère que l'imagination a créée et qu'un souffle peut faire évanouir? Une pareille extravagance n'exciterait-elle pas la pitié, et croirait-on qu'elle méritât d'être sérieusement réfutée? Ainsi donc ce bon sens qui doit nous diriger, en tout, nous avertit d'admettre comme certain le rapport des sens sur la réalité de l'existence des corps.

Il est tellement vrai que nos recherches philosophiques doivent commencer par ce premier principe, que l'Esprit-Saint reproche souvent à ceux qui étaient privés des lumières de la révélation, de ne s'être pas servis de la vue des créatures pour s'élever au Créateur. Ce qu'ils n'auraient pu faire sans doute si les seules lumières de la raison ne leur avaient donné une entière certitude de l'existence des corps. Les cieux, dit David, racontent la gloire du Très-Haut. Mais à qui la racontent-ils ? Est-ce à ceux qui doutent de tout, et qui ne croient pas même à l'existence de cette matière dont les cieux sont formés ? Et si un doute raisonnable avait pu s'élever à cet égard le même Prophète aurait-il affirmé, Qu'il était impossible de ne pas comprendre cette voix des êtres créés.'

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Laissons de vaines subtilités; ne craignons pas d'ajouter foi au témoignage des sens tant que nous n'aurons aucun motif de nous en défier: nous ne sommes pas

Non sunt loquelæ, neque sermones, quorum non audiantur voces eorum. Psal. XVIII.

plus maîtres de douter de l'existence de la matière, que de douter que la ligne droite ne soit la plus courte entre deux points. Cette vérité, la première que la pensée nous fait connaître, et dont l'évidence est incontestable, sera notre premier axiome, et comme la pierre fondamentale de notre édifice philosophique.

La matière

par elle-mê

me.

La matière se présente donc à nos yeux, ne peut rien et nous observons que parmi les êtres formés de cette substance, les uns sont inanimés, insensibles, indifférens au mouvement ou au repos; les autres sont animés, et doués de la faculté de sentir et de se mouvoir; d'autres enfin ont le mouvement, la sensibilité, et l'intelligence.

Or l'intelligence, la sensibilité, et le mouvement peuvent-ils naître de la matière? C'est une question importante, et qui doit être le premier objet de nos recherches.

Personne ne serait tenté d'attribuer la pensée à une pierre, ou à un morceau de bois, mais il en est qui ne craindraient

pas de soutenir que sans rien ajouter à la substance étendue, et seulement au moyen de certaines conditions, elle pourrait devenir pensante.

Or quelles sont ces conditions, sinon diverses modifications que la matière pourrait subir, ou dans sa forme, ou dans sa couleur, ou dans le mouvement et la disposition de ses parties. Il est impossible d'imaginer autre chose, et cependant rien de tout cela n'est encore la pensée, et ne peut la faire éclore.

Car ce qui ne pensait pas tout à l'heure pourrait-il acquérir subitement cette étonnante propriété, par le déplacement, le mélange, le mouvement plus ou moins rapide de ses parties? « Je pense et je suis >> certain que je pense, dit La Bruyère; » or, quelle proportion y a-t-il de tel ou » tel arrangement des parties de la matière, » c'est-à-dire, d'une étendue selon toutes » ses dimensions, qui est large, longue, » profonde, et qui est divisible dans tous » ces sens, avec ce qui pense? >>

D

Si la pensée était l'acte de la substance

étendue et le résultat de l'organisation, comme l'émission de la voix est le résultat du mouvement et de la conformation de la bouche et du gosier; les diverses parties de cette ame matérielle ne penseraient pas plus que les diverses parties de la bouche ou du gosier prises séparément ne pourraient émettre des sons, ou parler. On comprend, à la vérité , que ces parties non parlantes mises en mouvement produisent la voix ou le son, effet tout matériel, mais il est impossible de concevoir que de quelque manière que les diverses parties d'une ame matérielle fussent modifiées, quelque position qu'elles prissent, il pût en résulter tout à coup l'intelligence, la volonté, la conscience, le sentiment, c'est-à-dire, un effet avec lequel elles n'auraient aucun rapport; qui serait infiniment supérieur à la cause qui l'aurait produit ; et d'un ordre tout différent. Non; la pensée qui se présente à nous si dégagée de toutes propriétés matérielles ; qui n'a ni figure, ni couleur, ni son, ni mouvement; la pensée, éclatante lumière,

Ne peut sortir du sein de l'épaisse matière. a

Si dans le silence des sens nous réflé

1 Racine le fils.

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