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aussi notre guide. Le bon sens, dit l'abbé Fleury, est le maître de la vie.

Première

vérité qui sert

de base à la

La première vérité que le bon sens nous indique, et dont nous avons l'intime persuasion, est celle de notre propre existence, Philosophie. et de l'existence des objets extérieurs qui nous environnent. Aucun doute raisonnable ne peut s'élever à cet égard dans l'esprit. » Il se forme malgré nous dans notre enten» dement, dit très-bien M. l'abbé de La » Mennais, une série de vérités inébranla»bles au doute, soit que nous les ayons acquises par les sens, ou par toute autre » voie. De cet ordre sont toutes les vérités » nécessaires à notre conservation..... Nous » croyons invinciblement qu'il existe des » corps doués de certaines propriétés ; que » le soleil se lèvera demain; qu'en confiant » des semences à la terre elle nous rendra >> des moissons. Qui jamais douta de ces » choses et de mille autres semblables? »1

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Il est donc mille choses pour lesquelles le consentement commun n'est pas le seul fondement de la certitude. Quoique nous ne partagions pas les idées philosophiques

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Or, ce qui est inébranlable au doute, ce que nous croyons invinciblement, a pour nous une entière certitude. Donc notre première vérité touchant l'existence des corps est hors de toute contestation.

Remarquons ici que ne pouvant atteindre par aucun de nos sens cette cause première qui ne se manifeste à nous que par ses œuvres, et dont la recherche est l'objet essentiel du philosophe, nous sommes dans la nécessité de remonter de l'effet à la cause; de ce qui est visible à ce qui ne l'est pas; et de prendre pour point de départ ce qu'il y a de plus facile à connaître dans les œuvres du Créateur.

Si nous commencions, comme Descartes, par cette proposition, Je pense, donc je

de M. de La Mennais, nous partageons néanmoins l'admiration générale pour son talent, et nous reconnaissons la pureté de ses intentions. On peut consulter avec fruit sur son nouveau système deux brochures d'un Ecclésiastique de Montpellier, M. l'abbé Flottes, distingué par l'étendue de ses connaissances. Il ramène à leur véritable sens les témoignages allégués par M. de La Mennais à l'appui de son système, et les discute avec autant de savoir que de modération et de politesse.

suis, nous énoncerions sans doute une vérité certaine, mais insuffisante. Car nous ne constaterions que la réalité du principe pensant, et non de l'être matériel. Vous doutez de tout, ô Descartes, excepté de votre pensée; vous vous imposez donc l'obligation de prouver qu'il y a des corps. De votre premier principe vous vous élevez, par de justes conséquences, jusqu'à l'existence de Dieu; mais comment redescendrez-vous de cette hauteur à l'existence de la matière? Votre génie vous en suggérera sans doute les moyens, mais peu seront capables de vous suivre dans ces routes d'une métaphysique subtile; et malgré vos raisonnemens, bien des philosophes encore soutiendront que l'existence de la matière n'est pas prouvée. Était-il prudent de s'établir dans un doute d'où il était si difficile de sortir, et dans lequel bien des esprits se sont malheureusement embarrassés ? Était-il au fond raisonnable de douter s'il y a un monde, si les hommes ont des corps, et d'autres choses semblables, qui, de votre propre aveu, Ô Descartes n'ont jamais été mises en doute par un homme de bon sens. Que résulte-t-il de

Méditations.

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tous ces doutes accumulés? Vous voyez à peine de quelle façon vous pourrez les resoudre, et vous vous comparez à un homme tombé dans une eau profonde qui ne peut ni assurer ses pieds dans le fond, ni nager pour se soutenir au-dessus. Est-ce là une situation digne de l'être raisonnable, de l'être fait pour la vérité, qui en possède en lui-même les premiers principes, et qui ne peut les révoquer en doute sans détruire sa raison ?

Le célèbre Euler connaissait les raisonnemens de Descartes. Il estimait ce grand philosophe, et cependant il disait : « Qu'il >> lui semblait imposssible de convaincre de >> l'existence des corps, un homme qui

>> s'obstinerait à la nier. » Il ne trouvait donc pas les raisonnemens de Descartes assez concluans.

Saint Augustin, qu'on peut regarder comme le guide le plus éclairé dans les questions philosophiques quoiqu'il ne les ait pas traitées d'une manière suivie, prenait son premier principe dans l'existence de la matière, qui ne peut être raisonnablement contestée. Il s'élevait par degrés

de la connaissance des corps, à celle de l'ame qui agit par le moyen du corps : Ita gradatim à corporibus ad sentientem per corpus animam. Il passait de la faculté que nous avons de sentir et d'imaginer, aux opérations les plus nobles de l'intelligence, et parvenait enfin jusqu'à la connaissance de Dieu.'

C'était aussi la marche que Pascal semblait vouloir suivre dans le grand ouvrage qu'il méditait, et dont il ne nous a laissé que quelques matériaux précieux. « La pre» mière chose, dit-il, qui s'offre à l'homme quand il se regarde, c'est son corps, » c'est-à-dire, une certaine portion de ma» tière qui lui est propre. »

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Mais, nous dit-on, « l'existence de notre » corps et des autres objets extérieurs est » douteuse pour quiconque raisonne sans » préjugés. Il est impossible de sortir de » ce doute. » Qui nous assure en effet que

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· Atque inde ad ejus interiorem vim cui sensus corporis exteriora nuntiaret..... Atque inde rursus ad ratiocinantem potentiam... unde nosset ipsum incommutabile. Conf. vi. 17.

M. de Buffon.

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