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Le désir de savoir est naturel à l'homme. pour la vérité, mais convaincu qu'il ne la possède pas, il déploie pour l'acquérir toutes les ressources d'une ame intelligente et active. L'univers entier devient l'objet de ses méditations et de ses recherches. Il veut tout connaître, depuis le cèdre jusqu'à l'hysope; depuis l'aigle qui plane au haut des cieux, jusqu'au polype qui vit au fond des mers; depuis les astres du firmament, jusqu'à cette poussière qu'il foule aux pieds et sur laquelle il a fondé son habitation passagère.

Le monde matériel ne suffit pas à ses désirs; il s'efforce de pénétrer jusque dans le monde intelligent, et rien ne prouve mieux l'élévation de son esprit que cette audace qui le porte à tenter des découvertes dans un monde invisible et inaccessible aux sens. Heureux s'il ne s'égare pas dans ces hautes régions, soit en voulant sonder des mystères qu'il n'est pas donné à l'homme de connaître, soit en détournant ses regards de cette lumière céleste qui doit lui servir de guide, et qui éclaire tout homme venant en ce monde.

Le Sage disait autrefois, qu'il avait reconnu dans les œuvres de Dieu une profondeur impénétrable à l'esprit humain. Nous sommes donc réduits le plus souvent à ne former que des conjectures plus ou moins probables; à n'inventer que des systèmes plus ou moins ingénieux, parmi lesquels notre imagination se joue sans danger, tant que ces systèmes n'ont rien de contraire à des vérités connues, et qu'on n'en peut déduire des conséquences fâcheuses pour la Religion. Car il faut bien admettre qu'il y a des vérités connues avec certitude et sur lesquelles les diversités d'opinions ne sauraient être tolérées; qu'il y a des points fixes qui ne sont pas sujets à contestation; qu'il existe enfin des bornes qu'il n'est pas permis d'outre-passer, et entre lesquelles les disputes doivent être

contenues.

Si l'éclectisme, qui plaît tant aujourd'hui aux philosophes, pouvait être mis en pratique, ce ne serait que sur ces questions obscures, oiseuses et tout à fait sans conséquence que l'on agite trop souvent en philosophie. Mais il ne peut jamais y avoir

lieu à aucune délibération, ni à aucun choix, à l'égard des principes fondamentaux de cette science. Nous ne sommes pas comme les païens, qui cherchaient la vérité à tâtons au milieu du chaos des systèmes. L'éclectisme raisonnable pour eux, serait absurde pour nous, entourés de toutes les lumières de la révélation. Le philosophe chrétien est ferme, résolu, inébranlable dans ses principes: l'éclectique chancelle entre plusieurs voies, livré à tous vents de doctrine. Mais de même qu'il n'y a qu'une seule Religion, il n'y a aussi qu'une seule philosophie. La vérité est une; elle est absolue; elle ne fait aucun pacte avec ce qui n'est pas elle. Dieu, qui est la vérité même, supporte quelque temps ceux qui errent, mais il ne tolère jamais l'erreur. Rien ne lui est plus odieux, rien n'est plus indigne de lui, dit Fénélon, que la diversité des philosophies et des religions.

En comprenant sous la même dénomi- Caractères nation, de philosophie moderne, tous les de la vraie et systèmes enfantés par l'erreur, on peut Philosophie réduire à deux, les philosophies qui se

de la fausse

partagent le monde. Aussi opposées entre elles que la lumière et les ténèbres, l'une s'unit à la Religion, et appelle la foi au secours de la raison; l'autre dédaigne tout appui, et ne prend conseil que d'elle-même. La vraie philosophie sait que la raison humaine est faible, et qu'il lui faut une lumière particulière pour pénétrer plus avant et avec plus d'assurance dans les mystères de la nature spirituelle. Elle s'efforce donc d'arriver à cette lumière, et de marcher ensuite à sa clarté; mais la raison est son premier guide.

C'est elle qui, portant son flambeau devant moi,
M'encourage à chercher mon appui véritable,
M'apprend à le connaître et me le rend aimable. 1

Parvenue à l'aide des seules lumières naturelles jusqu'à la connaissance de Dieu, elle ne se sépare plus de cette cause première. Elle la voit en tout; elle la suit dans tous ses effets; elle s'y attache fortement, et parvient ainsi d'une manière sûre et facile, à la connaissance de l'homme.

La philosophie moderne, au contraire, soit qu'elle ait été conduite ou non par

1 Racine le fils.

ses principes jusqu'à un Dieu Créateur, étudie l'homme sans s'occuper de son origine, sans s'informer de ce qui est en lui, ou au-dessus de lui; sans se demander si l'intelligence humaine est à elle-même son unique régulateur et sa propre lumière. Toujours déiste ou athée, elle repousse toute alliance avec la foi, tout rapprochement avec l'Auteur de la nature; c'est un divorce qu'elle consomme sans retour. « Quelle était, dit M. Cousin, la » forme de la philosophie du moyen âge? » La soumission à une autorité autre que » la raison. » C'est-à-dire, à l'autorité de la Religion. Quelle est le caractère de la philosophie moderne? La soumission à la » seule autorité de la raison. » C'est donc à se débarrasser du joug importun de la foi que tendent tous les efforts de la philosophie nouvelle. Par un renversement inoui de principes, elle fait de l'homme le centre et la mesure de toutes choses. Elle l'isole, et le considère comme jeté par hasard sur la terre, sans origine certaine, sans destinée connue, et c'est dans cet état qu'elle prétend l'étudier. Mais quel sera le fruit de ses profondes investigations? « Que devien» drez-vous, ô homme, s'écriait Pascal,

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