Page images
PDF
EPUB

Les mâts, les hau-
Quelques nuages
Le reste du ciel

poupe, que l'astre radieux changeait à chaque instant d'horizon. bans' les vergues' du navire étaient couverts d'une teinte de rose. erraient sans ordre dans l'orient, où la lune montait avec lenteur. était pur; et, à "horizon du nord, formant un glorieux triangle avec l'astre du jour et celui de la nuit, une trombe chargée des couleurs du prisme s'élevait de la mer comIne une colonne de cristal supportant la voûte du ciel.

Il eut été bien à plaindre celui qui, dans ce beau spectacle, n'eût pas reconnu là beauté de Dieu! Des larmes coulèrent malgré moi de mes paupières lorsque tous mes compagnons, ôtant leurs chapeaux goudronnés, vinrent à entonner, d'une voix rauque, leur simple et pieux cantique. Qu'elle était touchante la prière de ces hommes qui, sur une planche fragile, au milieu de l'Océan, contemplaient un soleil couchant sur les flots! Comme elle allait à l'âme cette invocation du pauvre matelot! Cette humiliation devant celui qui envoie les orages et le calme; cette conscience de notre petitesse à la vue de l'Infini; ces chants s'étendant au loin sur les vagues; la nuit s'approchant avec ses embuches; la merveille de notre vaisseau au milieu de tant de merveilles; un équipage religieux, saisi d'admiration et de crainte; un prêtre auguste en prière; Dieu penché sur l'abîme, d'une main retenant le soleil aux portes de l'occident, de l'autre élevant la lune à l'horizon opposé, et prétant, à travers l'immensité, une oreille attentive à la faible voix de sa créature: voilà ce que l'on ne saurait peindre, et ce que tout le cœur de l'homme suffit à peine pour sentir.

8

LA CATARACTE DE NIAGARA.

Nous arrivâmes bientôt au bord de la cataracte, qui s'annonçait par d'affreux mugissemens. Elle est formée par la rivière Niagara, qui sort du lac Erié, et se jette dans le lac Ontario; sa hauteur perpendiculaire est de cent quarante-quatre pieds: depuis le lac Erié jusqu'au saut,' le fleuve arrive toujours en déclinant? par une pente rapide; et, au moment de la chute, c'est moins un fleuve qu'une mer, dont les torrens se pressent à la bouche béante3 d'un gouffre. La cataracte se divise en deux branches, et se courbe en fer à cheval. Entre les deux chutes s'avance une ile, creusée en dessous, qui pend, avec tous ses arbres, sur le chaos des ondes. La masse du fleuve, qui se précipite au midi, s'arrondit en un vaste cylindre, puis se déroule en nappe® de neige, et brille au soleil de toutes les couleurs: celle qui tombe au lerant,' descend dans une ombre effrayante; on dirait une colonne d'eau du déluge. Mille ares-enciel se courbent et se croisent sur l'abîme. L'onde, frappant le roc ebranle, rejaillit en tourbillons d'écume qui s'élèvent au-dessus des forêts, comme les fumées d'un vaste embrasement. Des pins, des noyers sauvages, des rochers taillés en forme de fantômes, décorent la scène. Des aigles, entrainés par le courant d'air" descendent en tournoyant au fond du gouffre, des carcajoux se suspendent" par leurs longues queues au bout d'une branche abaissée, pous saisir dans l'abime les cadavres brisés des élans et des ours.12 12

FORÊTS AMÉRICAINES.

PÉNÉTREZ dans ces forêts américaines aussi vieilles que le monde: quel profond silence dans ces retraites quand les vents reposent! quelles voix inconnues quand les vents viennent à s'élever? Etes-vous immobile, tout est muet: faites-vous un pas, tout soupire. La nuit s'approche, les ombres s'épaississent: on entend des troupeaux de bêtes sauvages passer dans les ténèbres; la terre murmure sous vos pas; quelques

coups de foudre' font mugir les déserts: la forêt s'agite, les arbres tombent, un fleuve inconnu coule devant vous. La lune sort enfin de l'orient: à mesure que vous passez an pied des arbres, elle semble errer devant vous dans leur cime, et suivre tristement vos yeux. Le voyageur s'assied sur le tronc d'un chêne pour attendre le jour; il regarde tour à tour l'astre des nuits, les ténèbres, le fleuve; il se sent inquiet, agité, et dans l'attente de quelque chose d'inconnu; un plaisir inouï, une crainte extraordi. naire, font palpiter son sein,3 comme s'il allait être admis à quelque secret de la Divinité: il est seul au fond des forêts; mais l'esprit de l'homme remplit aisément les espaces de la nature; et toutes les solitudes de la terre sont moins vastes qu'une seule pensée de son cœur.

NODIER.

NODIER (Charles), né à Besançon en 1783; mort à Paris en 1844. Cet auteur est connu du public par des romans pleins d'esprit et d'intérêt. Il a aussi mérité l'estime des savans et a pris place dans leurs rangs, par d'importans travaux comme grammairien, philologue, bibliographe et critique.

VOYAGE DE BRIGHTON À LONDRES.

La propreté recherchée' des villes d'Angleterre est si connue, qu'en arrivant à Brighton, je m'étonnais d'être forcé de m'étonner. Qu'on suppose un assemblage de décorations pleines de grâce et de légèreté comme celles que l'imagination désirerait dans un théatre magique, et on aura quelque idée de notre première station. Brighton n'offre d'ailleurs aucun monument digne de remarque, à moins qu'on ne donne ce nom au palais du prince Régent qui est construit dans le genre oriental, et probablement sur le plan de quelque édifice de l'Inde. Il y a peu d'harmonie entre ce style levantin2 et de jolies bastides à l'italienne, élevées sous un ciel septentrional; mais c'est le sceau d'une puissance qui étend son sceptre sur une partie de l'Orient, et qui en tire ses principaux élémens de prospérité. Cette incohérence ne va pas mal, au reste, dans un tableau d'illusions. La féerie n'est pas soumise à la règle des unités.

J'a continué mon voyage par un chemin sans ornières, sans embarras, sans cahots, dans une voiture commode, élégante, ornée avec goût, que traînaient, ou plutôt qu'enlevaient quatre chevaux superbes, tous pareils, tous du même pas, qui dévoraient l'espace en rongeant des mords d'un poli éclatant, et en frémissant sous des harnais d'une simplicité noble et riche. Un cocher à livrée les dirigeait; un jockey, d'une figure et d'une tournure charmantes, excitait leur ardeur. De deux licues en deux lieues, des postillons attentifs, point grossiers, point impertinens et point ivres, venaient remplacer l'attelage par des chevaux frais, toujours semblables aux premiers, et qu'on voyait de loin frapper la terre, comme pour solliciter la carrière promise à leur impatience. Quoique le trajet ne soit pas long, il n'est point de privenances' délicates dont les enchanteurs qui me conduisaient ne se soient avisés pour l'embellir. A moitié chemin, un majordome officieux m'a introduit dans un salon magnifique, où étaient servis toutes sortes de rafraîchissemens: un the limpide qui perlait dans la porcelaine; un porter écumeux qui bouillonnait dans l'argent; et, sur une autre table, des mets choisis, copieux, variés, qu'arrosait le Porto. Après cela, je me suis remis en route, et les coursiers empressés. . . . . Mais il est peut-être temps de reprendre haleine et de dire, en termes plus positifs, que l'Angleterre est le premier pays du monde pour ses chevaux, ses voitures pu bliques et ses auberges.

LAMENNAIS.

LAMENNAIS (Félicité-Robert, abbé de), né à Saint-Malo en 1782. Mort en 1854. Principaux ouvrages Essai sur l'indifférence en matière de religion, et Paroles d'un croyant. Le merveilleux talent de style qui éclate dans les pages de cet écrivain n'est pas moins remarquable que les profondes méditations qu'elles révèlent. Aussi le retentissement prodigieux que M. de Lainennais a produit dans le monde savant l'a placé au rang des premiers genies du siècle.

LA PRIÈRE.

QUAND Vous avez prié, ne sentez-vous pas votre cœur plus léger, et votre âme plus contente?

La prière rend l'affliction moins douloureuse, et la joie plus pure: elle mêle à l'une je ne sais quoi de fortifiant et de doux, et à l'autre un parfum céleste.

Que faites-vous sur la terre, et n'avez-vous rien à demander à celui qui vous y a mis? Vous êtes un voyageur qui cherche la patrie. Ne marchez point la tête baissée: il faut lever les yeux pour reconnaître sa route. Votre patrie, c'est le ciel; et quand vous regardez le ciel, est-ce qu'en vous il ne se remue rien? est-ce que nul désir ne vous presse? ou ce désir est-il muet?

Il en est qui disent: A quoi bon prier? Dieu est trop au-dessus de nous pour écouter de si chétives créatures. Et qui donc a fait ces créatures chétives, qui leur a donné le sentiment, et la pensée, et la parole, si ce n'est Dieu? Et s'il a été si bon envers elles, était-ce pour les délaisser ensuite et les repousser loin de lui? En vérité, je vous le dis, quiconque dit dans son cœur que Dieu méprise ses œuvres, blasphème Dieu.

Il en est d'autres qui disent: A quoi bon prier? Dieu ne sait-il pas mieux que nous ce dont nous avons besoin? Dieu sait mieux que vous ce dont vous avez besoin, et c'est pour cela qu'il veut que vous le lui demandiez; car Dieu est lui-même votre premier besoin, et prier Dieu, c'est commencer à posséder Dieu.

Le père connaît les besoins de sou fils; faut-il à cause de cela que le fils n'ait jamais une parole de demande et d'actions de grâces pour son père?

Quand les animaux souffrent, quand ils craignent, ou quand ils ont faim, ils poussent des cris plaintifs. Ces cris sont la prière qu'ils adressent à Dieu, et Dieu l'écoute. L'homme serait-il done dans la création le seul étre dont la voix ne dût jamais monter à l'oreille du créateur!

Il passe quelquefois sur les campagnes un vent qui dessèche les plantes, et alors on voit leurs tiges flétries pencher vers la terre; mais, humectées par la rosée, elles reprennent leur fraîcheur, relèvent leur tête languissante. Il y a toujours des vents brûlans, qui passent sur l'âme de l'homme, et la dessèchent. La prière est la rosée qui la rafraichit.

NORVINS.

Auteur vivant. Nous

NORVINS (Jacques, MARQUET de MONBRETON de), né à Paris en 1769. avons de cet écrivain plusieurs ouvrages historiques d'un grand mérite. Le plus important est l'Histoire de Napoléon, considérée comme l'une des meilleures que nous ayons.

JEUNESSE DE NAPOLÉON.

Le premier âge de Napoléon ne marqua point par ces prodiges dont on se plaît à entourer le berceau des grands hommes. Lui-même a dit: "Je n'étais qu'un enfant obstiné et curieux." Il faut ajouter à ces traits charactéristiques beaucoup de vivacité dans l'esprit, une sensibilité précoce, mais en même temps l'impatience du joug,

NORVINS.

une activité sans mesure, et cette humeur querelleuse qui affligeait tant la mère de Bertrand Duguesclin quand il était jeune encore. Alors, comme depuis, soit que Napoléon fut assailli par les autres, soit qu'il les attaquât lui-même, il s'élançait sur ses ennemis sans jamais compter leur nombre; aucun obstacle ne pouvait l'arrêter. Personne ne lui imposait, excepté sa mère, femme d'un esprit viril, qui savait se faire aimer, craindre et respecter. Napoléon, tout indomptable qu'il paraissait étre, apprit d'elle la vertu de l'obéissance, l'une des causes de ses succès dans les écoles; il dut aussi probablement aux exemples maternels cet amour de l'ordre, cette économie qui l'a tant aidé à soutenir ses vastes entreprises. Sous ces deux rapports, son oncle, 'archidiacre Lucien, qui avait du savoir et des lumières, lui donna lui-même de précieuses leçons, en administrant avec sagesse les biens de la famille, dont il devint le second père. Le bon archidiacre avait observé avec autant de curiosité que de satisfaction la rare intelligence, les habitudes de réflexion, la constance de volonté, l'indépendance de caractère qui chaque jour se développaient dans son neveu; il parut même avoir deviné l'avenir de Napoléon, par ses dernières paroles aux jeunes Bonaparte, qui entouraient son lit de mort: "Il est inutile de songer à la fortune de Napoléon, il la fera lui-même. Joseph, tu es l'aîné de la famille, mais Napoléon en est le chef: aie soin de t'en souvenir." L'événement a justifié la prédiction, et l'ordre du mourant sera fidèlement exécuté.

En 1779, Charles Bonaparte, envoyé à Versailles comme député de la noblesse des états de Corse, emmena avec lui son fils Napoléon âgé de dix ans, et sa fille Eliza. La politique de la France appelait aux écoles royales les enfans des familles nobles de la nouvelle conquête; aussi Eliza fut placée à Saint-Cyr et Napoléon à Brienne. Bonaparte entre avec joie à l'Ecole militaire. Dévoré du désir d'apprendre, et déjà pressé du besoin de parvenir, il se fait remarquer de ses maîtres par une appliIl est, pour ainsi dire le solitaire de l'école; ou, quand il

cation forte et soutenue. se rapproche des autres élèves, leurs rapports avec lui sont d'une nature singulière. Ses egaux doivent se ployer à son caractère dont la supériorité quelquefois chagrine, exerce sur eux un empire absolu. Lui-même, soit qu'il les domine, soit qu'il leur reste étranger, il semblerait être sous l'influence d'une exception morale qui lui aurait refusé le don de l'amitié, si quelques préférences, auxquelles il demeura fidèle dans sa plus haute fortune, n'avaient honoré sa première jeunesse.

Dans la discipline commune de l'école, il a l'air d'obéir à part et avec un penchant réfléchi à respecter la règle et à remplir ses devoirs. Abstrait, rêveur, silencieux, fuyant presque toujours les amusemens et les distractions, on croirait qu'il s'attache à dompter un caractère fougueux et une susceptibilité d'âme égale à la pénétration de son esprit; sa vie sévère pourrait même donner l'idée d'un néophyte ardent qui se forme aux austérites d'une religion: mais des rixes fréquentes et souvent provoquées par lui font eclater la violence de son humeur, tandis que d'autres faits trahissent des inclinations militaires. Veut-il bien s'associer aux exercices de ses compagnons, les jeux qu'il leur propose, empruntés de l'antiquité, sont des actions Passionné pour l'étude des dans lesquelles on se bat avec fureur sous ses ordres. sciences, il ne rêve qu'aux moyens d'appliquer les théories de l'art de la fortification. Pendant un hiver, on ne voit dans la cour de l'école que des retranchemens, des forts, des bastions, des redoutes de neige. Tous les élèves concourent avec ardeur Sont-ils achevés, l'ingénieur à ces ouvrages, et Bonaparte conduit les travaux. devient général, prescrit l'ordre de l'attaque et de la défense, règle les mouvemens des deux partis;, et, se plaçant tantôt à la tête des assiégeans, tantôt à la tête des assiégés,

il excite l'admiration de toute l'école et des spectateurs étrangers par la fécondité de ses ressources et par son aptitude au commandement aussi bien qu'à l'exécution.

Dans ces momens d'éclat, Bonaparte était le héros de l'école pour les élèves et pour leurs chefs. Cependant on raconte qu'un léger manque de subordination le fit condamner, par un maître de quartier sans discernement, à revêtir un habit de Lure, et à dîner à genoux sur le seuil du réfectoire; mais au moment de subir cette peine, il fut saisi d'une attaque de nerfs si violente, que le supérieur lui-même vint lui épargner une humiliation si peu d'accord avec le caractère de l'élève et la nature de la faute. A cette époque, Pichegru était le répétiteur de Bonaparte, sous le père Patrau, qui défendait, dans cet élève de prédilection, le premier de ses mathématiciens. Ainsi le froc d'un moine cachait le conquérant de la Hollande, et l'habit d'un élève le dominateur de la France et de l'Europe. La révolution qui devait les produire l'un et l'autre se préparait à leur insu; et la république, dont la cause allait bientôt enflammer leur jeunesse, devait être trahie par le maître et détruite par le disciple, après avoir dû ses plus beaux triomphes à leurs armes.

Cependant la lecture, qu'il a toujours aimée, devient pour Bonaparte une passion qui ressemble à la fureur; mais les beaux-arts n'ont point d'attrait pour cet esprit sévère, et de la littérature il ne cultive que l'histoire; il la dévore, et range avec ordre dans sa mémoire sûre et fidèle tous les événemens remarquables de l'existence des nations, et de la vie des grands hommes qui les ont conquises et gouvernées. Plutarque, qu'il ne peut plus quitter, dont les vieilles admirations n'ont pas eté peutétre sans danger pour une áme de cette trempe, développe chaque jour les germes d'enthousiasme, d'héroïsme, d'amour de la gloire et d'ambition que la nature avait déposés en lui. Quand sa fortune fut faite, il se délassa de l'histoire par la fable, et quitta Plutarque pour Ossian; mais ce ne fut qu'une simple distraction de son esprit. Alexandre aussi se délassait de la puissance et de la gloire par les rêveries poétiques du divin Platon.

Bonaparte resta à Brienne jusqu'à l'âge de quatorze ans. En 1783, le chevalier de Keralio inspecteur des douze écoles militaires, qui avait conçu une affection toute particulière pour cet élève, lui accorda une dispense d'âge et même une faveur d'examen pour être admis à l'école de Paris; car Napoléon n'avait fait des progrès que dans l'étude de l'histoire et des mathématiques, et les moines de Brienne voulaient le garder encore une année pour le perfectionner dans la langue latine. "Non," dit M. de Kéralio, "j'aperçois dans ce jeune homme une étincelle qu'on ne saurait trop cultiver."

Bonaparte admis à l'école militaire de Paris y obtint bientôt la même supériorité originale qui l'avait fait distinguer à Brienne, et fut aussi le premier mathématicien parmi les élèves. Son professeur d'histoire, M. de l'Eguille, dans le compte qu'il rendit de ses élèves, avait ainsi note le jeune Napoléon: Corse de nation et de carac tère, il ira loin si les circonstances le favorisent. Domairon, qui lui enseignait le belles-lettres, appelait énergiquement ses amplifications du granit chauffé au volcan Bonaparte perdit par degrés l'éloquence concise et pleine d'images, qui est celle de conquérans et des grands hommes; cependant il y eut toujours quelque chose d'oriental dans sa manière d'écrire.

La carrière militaire de Bonaparte commença à seize ans, âge où le succès de son examen à l'Ecole militaire de Paris lui valut, le 1er septembre 1785, une lieutenance en second au régiment de la Fère, qu'il quitta bientôt pour entrer en premier dans un autre régiment en garnison à Valencc.

« PreviousContinue »