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Balthazar, l'examen des annales de la classe agricole fournit des réponses précises. Le rôle de la terre, dans l'emploi de l'activité humaine, n'est-il pas celui d'un instrument à l'aide duquel chaque individu est mis à même de pourvoir à ses besoins les plus impérieux, en même temps qu'il se crée une réserve pour ses nécessités imprévues? Le premier capital, c'est-à-dire la première propriété, réside donc dans la terre conquise par le travail; le second capital, le capital proprement dit, consiste dans les divers produits du sol tant qu'ils ne sont pas consommés. Assurément, l'œuvre d'appropriation n'est pas toujours légitime, et plus d'une fois elle est entachée de violence, de fourberie. Est-ce un mal qu'il soit possible de guérir? Bien hardi est celui qui ose l'affirmer, en présence d'un fait permanent, universel comme les lois générales de l'humanité. Quoi qu'il en soit, le possesseur de la terre a le droit d'en disposer librement, comme il disposerait des fruits et des matières premières qu'il l'aurait contrainte de lui livrer.

Voilà donc la propriété solidement assise, puisqu'elle repose sur la pierre angulaire du travail, puisqu'elle est le travail lui-même, incorporé dans la matière. Si le propriétaire de la terre veut la cultiver,

il

peut le faire, soit en la labourant lui-même, soit en achetant le travail de ceux qui ne possèdent pas de

capital, ou à qui il convient d'échanger l'emploi de leur activité contre un capital qui prendra le nom de salaire Si, au contraire, le possesseur a des raisons pour ne pas cultiver directement sa terre, il pourra en disposer à titre onéreux de deux manières : ou en l'abandonnant, sans retour et sans restriction, moyennant un équivalent: c'est la vente; ou en la cédant sous certaines réserves, et pour un temps plus ou moins long: c'est le louage.

Grâce au contrat de louage, la terre trouve des bras nouveaux pour la fertiliser; le capital, une activité inoccupée qui va le féconder. Mon domaine était trop vaste pour mes forces, et il ne me convenait pas de le confier à des salariés qui, le cultivant avec négligence, n'en auraient pas tiré le produit qu'il est susceptible de donner. D'autre part, un agriculteur, possesseur de quelques économies, me propose d'exploiter, à ses risques et périls, une partie de ma propriété en échange d'une somme annuelle, à peu près équivalente au revenu que cette partie pouvait me donner, abstraction faite de l'intérêt du capital nécessaire à son exploitation. Je crois sage de conclure un marché qui m'assure un revenu dont j'aurais été obligé de me priver peut-être; le prix de fermage représentera cette fraction de la rente de ma terre que j'avais peine à retirer.

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Mais, un autre preneur se présente, pour faire aussi, avec moi, un contrat de louage. Seulement, il n'est pas dans les mêmes conditions que le premier; il manque de capital, et il demande qu'outre la terre, je fournisse le complément indispensable à sa mise en culture; et, pour m'indemniser, il consent à me donner, en plus du prix de la rente, une part éventuelle dans les bénéfices de l'exploitation, proportionnellement à la somme que j'aurai fournie. J'accepte encore cette offre, qui me permet de toucher et le loyer de ma terre et le loyer de mon capital; mais, cette fois, le bail constitue une association, et mon locataire n'est plus un fermier, mais un colon partiaire, un métayer.

Ainsi, toute société se trouve bientôt en possession de quatre modes de cultiver la terre, qui, en se combinant, peuvent produire d'autres modes, appropriés aux temps et aux institutions: 1o Culture par les propriétaires; 2° culture par les salariés; 3 culture par les fermiers; 4° culture par les métayers. Seulement, pour répondre aux vues de la Providence, pour que chacun jouisse du fruit de son travail, pour que l'activité collective produise tout ce qu'elle doit produire; en un mot, pour qu'un peuple soit heureux, il faut que la terre, le capital et le travail reçoivent la rémunération qui leur est

due. En effet, de l'équilibre de ces trois forces résulte le fonctionnement régulier du mécanisme social, qui fournit à chacun des membres de la grande famille les moyens de développer ses jouissances intellectuelles, en même temps que ses jouissances matérielles, par l'industrie proprement dite, la science, la littérature et les arts.

L'agriculture est donc la base de l'organisation sociale; partant, son histoire et celle des hommes .qui s'y consacrent est une des études les plus sérieuses qu'on puisse aborder. Guidé par l'économie politique, celui qui tentera de raconter les phases diverses par lesquelles a passé le travail agricole, sera bien moins exposé à s'égarer. Il n'ira plus à l'aventure dans cette véritable histoire du genre humain, dont les autres histoires ne sont que les corollaires; et, tout en dégageant du labyrinthe des faits les causes inexpliquées d'événements sociaux mal observés ou travestis, il précisera des lois économiques qui ne sont point encore suffisamment arrêtées. Le temps est-il venu d'accomplir cette œuvre complexe ? Peutètre est-il encore trop tôt. Quant à nous, lorsque nous l'avons, le premier, abordée, tout en comprenant la nécessité de mener de front la double étude dont nous venons de parler, nous ne nous sommes senti ni assez de courage, ni assez de force pour

nous y engager aussi complétement que nous l'au rions désiré. Si quelque chose peut nous consoler de notre timidité, sinon de notre impuissance, c'est que ceux qui nous ont suivi ne se sont pas montrés plus résolus que nous. Aujourd'hui, nous n'avons pas plus l'envie que le loisir de revenir sur nos pas; mais nous voulons nous placer un instant au point de vue où doit se tenir l'historien des paysans; et, de ce sommet, jeter un coup d'œil rapide sur l'horizon qu'il laisse apercevoir.

L'examen attentif des documents originaux con duit à la constatation de quatre périodes bien distinctes dans l'existence de la classe agricole : la période gallo-romaine, la période franke, la période féodale et la période moderne, qui s'arrête à la grande date de 1789. Ce sont les différences et les analogies qui existent entre elles que nous voulons signaler, en ce qui touche la terre, le capital et le travail.

II.

A la première époque, la presque totalité des campagnes appartenait aux grandes familles romaines ou gauloises, aux chefs des tribus barbares, au fisc et au clergé; le capital mobilier se trouvait dans les

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