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jours, en Suisse. On oublie, en ce qui touche les premières, qu'elles se formaient entre tenanciers du même domaine, ayant, par conséquent, les mêmes vues, les mêmes devoirs et les mêmes droits; et qu'elles avaient plus particulièrement pour but de soustraire les associés à la mainmorte en leur assurant le droit de successibilité. Quant aux associations fruitières, elles s'établissent bien moins en vue de la culture de la terre que pour l'exploitation d'une industrie, celle des fromages, dont la fabrication peut facilement être centralisée.

Les mêmes doutes s'élèvent sur les institutions de crédit. Quand le capital fait défaut à la terre et au travail, c'est que l'organisation agricole est dans un état anormal; c'est que la rente et le salaire sont descendus au-dessous de leur niveau naturel; c'est, enfin, que le capital a trouvé un emploi plus lucratif. Dans ce cas, il est difficile de comprendre que le crédit soit un remède au mal. De deux choses l'une, en effet ou le capital consentira à recevoir un intérêt moins élevé que le taux du salaire et de la rente; et c'est seulement en admettant ce dévouement impossible, que son concours pourra être utile à l'agriculture; ou, au contraire, il percevra un loyer égal à celui qu'il touche déjà; et alors la souffrance du culti vateur, au lieu de diminuer, deviendra plus vive, puis

qu'il lui faudra donner plus qu'il ne récoltera, alors même qu'il recevrait une juste rémunération. Si ingénieuses que puissent être les conditions du prêt, l'emprunteur n'en aggravera pas moins son état, et courra à sa ruine plus rapidement qu'il ne l'aurait fait sans ce secours trompeur. Si le crédit peut servir autre chose que la spéculation, ce n'est pas l'industrie agricole, sauf dans certains cas exceptionnels.

Mais si l'association est impossible, si les institutions de crédit sont sans efficacité, il faut renoncer aux procédés particuliers à la grande culture? Estce un grand mal? Ici encore, le terrain de la discussion ne nous paraît pas assez déblayé pour que l'on puisse répondre sans hésitation. C'est d'ailleurs une question dont nous n'avons pas à nous occuper, même superficiellement, puisque en dehors de l'association, la grande agriculture ne saurait être appliquée à une propriété démocratisée, jusque-là que des esprits libéraux en sont venus à s'effrayer de l'émiettement du sol. Nous ferons une seule remarque, c'est que l'industrie agricole ne peut donner lieu à l'application du travail mécanique, si fertile en résultats matériels, merveilleux, dans l'industrie manufacturière. Quoi que puisse inventer le génie humain, dans cet ordre d'idées, jamais il n'arrivera à remplacer la main du paysan; si parfaites que

soient les machines, la terre leur échappera toujours, parce que, non-seulement elle ne se prète pas aux mouvements mathématiques des engins, mais encore parce que c'est surtout dans sa préparation et dans les soins à donner à ses produits, qu'il faut apporter une suite d'observations qui varient d'une province à l'autre, quelquefois d'un champ au champ voisin.

En émettant des doutes sur l'efficacité des moyens proposés pour relever l'agriculture, nous ne voulons pas arriver à déclarer que les dangers signalés n'existent pas, ou que la situation est désespérée ; à notre sens, l'une et l'autre conclusion seraient également fausses; mais nous croyons que la vérité, comme toujours, se tient ici entre les extrêmes, et qu'elle n'est peut-être pas aussi difficile à trouver qu'on se l'est persuadé. Il n'y a pas trois façons de procéder, parmi nous ou l'on met en oubli, ou l'on se préoccupe outre mesure; ou l'on abandonne, ou l'on tourmente les questions; sans doute, afin de s'en débarrasser plus vite, dans l'un et l'autre cas. Cependant, les solutions sociales ne s'improvisent pas plus que les solutions des sciences exactes; il faut de patientes études, un esprit exempt de toute pensée systématique, pour dégager une conclusion abstraite, comme une inconnue algébrique. Eh!

les

bien, sans avoir la prétention de mieux dire que autres dans un examen, qui, du reste, n'est pas arrivé à sa fin, ne peut-on pas demander si la question agricole a été placée sur son véritable terrain? Un fait la domine, de façon à ne pas être éludé : sous l'empire de la loi, comme sous l'impulsion des idées libérales dont la nation se pénètre chaque jour davantage, alors même qu'elle semble les avoir reniées sans retour, la propriété se divise en lots d'une médiocre étendue; le sol arable échappe aux grands possesseurs pour s'immobiliser, par fractions d'un petit nombre d'hectares, entre les mains des cultivateurs, naguère fermiers ou métayers; en un mot, la terre revient aux paysans. La portée économique de ce fait incontesté est immense. Il ne faut pas s'y tromper, le paysan, c'est le propriétaire par excellence, l'ouvrier, qui a payé de sa sueur un capital non fongible; qui le considère comme une partie de lui-même, et qui en est aussi orgueilleux, aussi jaloux qu'il peut l'être des plus robustes enfants. A ce propriétaire, amoureux de son domaine, irez-vous proposer de le confondre dans une sorte de communauté icarienne, en lui offrant l'appât d'une rente, d'un intérêt et d'un salaire doubles de ceux qu'il perçoit ? La réponse ne se fera pas attendre : son petit héritage lui rapporte 15 p. 100, pour les

trois fonctions du travail, combien donnera votre latifond communautaire? Si vous ajoutez que, par l'emploi d'un plus grand capital, appliqué à une exploitation considérable, de façon qu'il n'y ait pas déperdition de forces, il augmentera ses bénéfices, il vous dira encore que le capital ne le préoccupe pas; qu'il en a suffisamment; que s'il lui manque, il sait que, dans un temps donné, il aura assez économisé sur son revenu pour être en possession de la somme nécessaire aux besoins de son exploitation; et qu'une fois, cette somme arrondie, tout supplément de capital serait inutilement employé, et ne rapporterait aucun intérêt. Si, insistant de nouveau, vous faites valoir les avantages attachés à l'emploi des machines agricoles, le paysan vous fera observer qu'il n'est pas un coin de son domaine où sa main ne passe et ne repasse; que les machines les plus parfaites, comme les plus commodes, sont sa charrue, sa bêche, sa pioche, son hoyau, son râteau, sa faux et sa fourche; que les temps de pluie sont utilisés par lui à battre ses gerbes en grange, avec sa femme et ses enfants, à réparer ses outils ou à fabriquer des ustensiles de ménage; et que, sa besogne agricole faite, il lui reste encore du temps à consacrer à quelque industrie, de façon à tenir son activité toujours occupée utilement. Quant à ses étables,

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