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des codes; dans une sorte d'organisme intime résultant de la nature des choses, et sur lequel le parti pris de la théorie n'exerce en général que très-peu d'influence. L'existence de l'homme faisant partie d'une société se partage en deux moitiés : l'une extérieure, l'autre intérieure; la première, résultant de ses rapports avec les autres membres de l'association; la seconde, qui n'a trait qu'à lui-même, et qu'il règle, sinon en dehors de toute influence extérieure, au moins du mieux qu'il peut dans le milieu où il est placé. Cette seconde moitié de la façon d'être des individus n'est pas la moins importante; car c'est elle surtout qui distingue les divers ordres de la société, qui les classe comme étant l'expression vraie de leur état, qui constate la somme de bien-être dont ils jouissent. Ainsi l'histoire du clergé, celle de la noblesse, ne seront complètes qu'autant que l'on aura fait connaître, à côté du code féodal ou de l'organisation cléricale, l'administration intérieure du château et du cloître ou de la cure, qu'autant qu'on aura mis les détails de la vie privée à côté de ceux de la vie publique. Il en est de même pour cette partie de la société que l'on a reléguée à la dernière place, et qualifiée de troisième ordre; ou plutôt c'est surtout en ce qui touche les classes ouvrières qu'il est indispensable d'entrer dans leur vie intime, d'étudier les instruments dont elles se sont servis; car la meilleure partie de l'histoire

du peuple est dans celle des instruments à l'aide desquels il pourvoit à sa subsistance. Or, parmi les travailleurs, il n'en est pas qui se soient plus étroitement identifiés avec leur gagne-pain que les paysans, cette race qui semble avoir réalisé la fable des hommes de Deucalion, nés des os de la terre, et qui, presque partout, presque toujours, a fait partie du sol. Nous allons donc entrer avec quelque étendue dans l'examen des éléments divers qui constituaient les exploitations agricoles telles que les Romains les avaient léguées aux habitants des Gaules; car, au ve siècle, les indigènes et les Germains vivaient encore de la vie des maîtres du monde, et n'avaient que bien légèrement modifié des constitutions et des habitudes qui, en ce qui touche la culture du sol, ne différaient pas sensiblement des leurs.

La première division de la propriété rurale était le fonds, c'est-à-dire une grande étendue de terrain munie des constructions nécessaires à son exploitation. Le mot générique de fonds désignait également les héritages urbains et les héritages ruraux; mais il s'appliquait plus particulièrement à ces derniers, et c'est au point de vue de cette signification que nous l'emploierons désormais. Le fonds était donc le

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Fundi appellatione omne ædificium et omnis ager continetur; sed in usu urbana ædificia, ædes, rustica villa dicuntur. Locus vero sine ædificio in urbe area, rure autem ager appellatur; idemque ager cum ædificio fundus dicitur. Dig., lib. 1, tit. XVI, 1. 3, de Verb. signif.

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grand domaine, l'exploitation constituée sur de larges bases, que plusieurs centaines de bras devaient féconder, et qui par conséquent ne pouvait appartenir qu'aux plus riches propriétaires du pays. Le fonds poussé à ses dernières limites était devenu le latifonds, ce domaine qui embrassait des provinces tout entières, et dans lequel on voyait naître et mourir des fleuves, selon l'expression de Sénèque '.

On donnait le nom de lieu 2 à un fonds d'une médiocre étendue. En principe, le lieu était une certaine partie du fonds, indépendamment des limites dans lesquelles il était circonscrit, et de l'existence des bâtiments propres à loger les colons, les animaux et les outils. Dans la suite le lieu, détaché de la partie principale, devint un petit domaine pour lequel on avait une affection particulière; puis enfin, et en général, une exploitation qui pouvait être cultivée par un nombre restreint d'individus.

Venaient ensuite pareillement le champ et la possession, sortes de fonds moins étendus encore

Locus est non fundus, sed portio aliqua fundi; fundus autem integrum aliquid est; et plerumque sine villa locum accipimus. Dig., lib. L, tit. xvi, 1. 60, de Verb. signif.

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'Quæstio est fundus a possessione, vel agro, vel prædio quid distet. Fundus est omne quidquid solo tenetur; ager est si species fundi ad usum hominis comparatur.

Verb. signif.

Dig., lib. L, tit. xvi, l. 115, de

que le lieu, et qui en différaient surtout en ce qu'ils étaient dépourvus de toute espèce de construction. Le champ, comme la possession, n'était donc pas, à proprement parler, un domaine, mais bien une portion de terrain destinée à être cultivée par une famille ou par un individu dont l'habitation était placée autre part. Il y avait cette différence entre le champ et la possession que le cultivateur était propriétaire du premier héritage, tandis qu'il ne faisait qu'user du second 1: d'où il suit que l'existence du champ indique un colon libre, et que celle de la possession fait supposer soit un fermier, soit un métayer, soit un ascriptice. Dans tous les cas le champ et la possession se trouvaient placés au dernier degré de l'échelle des exploitations agricoles, et n'étaient cultivés que par les plus pauvres colons.

Le fonds, le lieu, le champ et la possession étaient désignés par le nom général d'héritage 2; on les appelait plus particulièrement colonies lorsqu'ils étaient donnés en location ou à moitié fruit 3, bien

:

'Possessio ab agro juris proprietate distat quidquid enim adprehendimus cujus proprietas ad nos non pertinet, hoc possessionem appellamus possessio ergo usus; ager proprietas loci est, prædium utriusque suprascriptæ generale nomen est; nam et ager et possessio hujus appellationis species sunt. Idem, ibidem.

* Prædium. — V. la note précédente.

'Colonia dicitur ager a colono locatus, dicta a colendo : unde et coloni dicuntur qui proprie sunt alienos agros nummis colentes, id est pecuniam, pensionem præstantes, in quo est vera locatio. Index in 1. 24, Si in lege. — Dig., lib. xx, tit. Locați conductí.

que ce dernier mot, formé de celui de colon, s'appliquât à tout fonds destiné à être cultivé.

L'ensemble des constructions établies pour le service de divers héritages dont nous venons de parler se nommait villa lorsque ces constructions appartenaient à une grande exploitation, et tugurium si elles dépendaient d'un petit domaine. Ces mots, comme il arrive toujours, avaient d'ailleurs été détournés de leur signification primitive. Le premier, avant de présenter à l'esprit l'image de spacieux bâtiments élevés à grands frais, pourvus de tout ce que le luxe peut inventer de raffinements, et destiné plutôt à devenir des lieux de délices pour les riches citadins que des habitations pour les robustes agriculteurs, désigna d'abord des maisons rustiques dont le nom même révélait l'humble origine ; et le tugurium, devenu la pauvre habitation du petit colon, était, dans le principe, une construction destinée à protéger une exploitation. Les habitudes romaines, la nécessité de

2

- Dig.,

'In usu urbana ædificia, ædes, rustica, villa dicuntur. lib. L, tit. XVI, 1. 3. 'Villa sumitur pro domuncula gratia fructuum facta. Index in 1. 1, § Permittitur et ibi. — Glos. In villa, de Lib. agnos.

Et est villa vilis domus. Glos. in l. 115, de Verb signif.
Dig., lib. u, tit. XVI.

'Tugurii appellatione omne ædificium quod rusticæ magis custodia convenit quam urbanis ædibus significatur. — Dig., lib. 1, tit. xvi, 1. 180.

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