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semble claire et facile à tirer : c'est que, après leur première émancipation, les vilains, parmi lesquels l'esprit d'association existait déjà fortement enraciné, ont transporté le principe de la famille dans le village, des sociétés taisibles entre parents ou amis, aux sociétés publiques entre cohabitants; que les seigneurs, forcés une première fois d'accéder à des pactes de liberté, n'ont pu refuser à leurs hommes affranchis la permission de se gouverner un peu par eux-mêmes, c'est-à-dire par l'intermédiaire des officiers connus déjà d'eux, avec lesquels ils avaient une origine et des intérêts communs, et qui, désireux aussi d'augmenter encore leur puissance, ne demandaient pas mieux que de s'associer avec leurs semblables, et de tenir d'eux sur le village une autorité qu'ils ne contesteraient plus, comme lorsqu'elle leur était donnée par les seigneurs seulement; que, pour ne pas voir ces associations entre habitants du même village se former en dehors de leur autorité, de leur influence, les seigneurs ont consenti à abandonner une partie de leurs priviléges, et à partager ce qui allait leur être complètement arraché.

Rien ne nous paraît plus logique, plus naturel que cette marche des choses la classe agricole, soumise immédiatement à la noblesse et au clergé régulier, d'esclave qu'elle fut d'abord, est parvenue peu à peu, par un travail de flots rongeurs, et à

travers cinq siècles de souffrance, à conquérir sa liberté. Arrivée à ce but, que fera-t-elle? Ces anciens serfs, ces vilains, qui, dans un long espace de temps, se sont chaque jour plus rapprochés les uns des autres; qui ont les mêmes habitudes, les mêmes besoins; qui se sont liés étroitement pour triompher, vont-ils se séparer maintenant? Ce principe d'association qui les a si heureusement servis, dont ils ont si babilement usé, le renierontils à cette heure, et briseront-ils le cercle d'acier qui fait toute la puissance du faisceau? Non vraiment ce qu'ils ont fait d'homme à homme dans leurs maisons, ils le feront encore de famille à famille dans le village; ils organiseront une grande association à l'image de leurs sociétés d'agriculture; ils le feront d'autant plus volontiers qu'ils comprennent parfaitement que la conservation de leur liberté est à ce prix, et que, s'ils viennent à se diviser, la bienveillance forcée de leurs adversaires se tournera bientôt en hostilité, et amènera de terribles représailles de servage. Les vilains, affranchis ensemble, vont donc s'associer, se gouverner eux-mêmes par les moyens les plus simples, les plus propres à répartir également les devoirs et droits

entre tous.

Ainsi naquirent les communes dans les villages; non pas les communes complètes, nous le répétons : celles-là n'existaient guère encore que dans quelques

vieux municipes romains, mais les communes mixtes ou bâtardes, les communes conquises, les communes issues de l'émancipation ou de la révolte, et dans lesquelles on a voulu voir le type de l'organisation municipale, lorsqu'elles n'étaient qu'une institution parallèle des municipes, ou plutôt le résultat logique d'une aspiration vers la liberté. Les villages éloignés du château seigneurial, ceux que le baron pouvait moins surveiller, ouvrirent les premiers cette brèche dans l'édifice féodal; après eux vinrent les bourgs, c'est-à-dire les villages que ne pouvait plus contenir la tour ou le donjon. Puis quelques-uns de ces villages, et surtout quelques-uns de ces bourgs, cessèrent d'être habités par des hommes exclusivement occupés d'agriculture. La franchise que chacun trouvait au milieu de cette association d'hommes libres attirait les ouvriers des cités, encore asservis par l'évêque ou le chapitre cathédral; peu à peu les goûts de la population, la position topographique, et diverses autres circonstances particulières transformèrent le village ou bourg en ville, c'est-à-dire en une agglomération d'ouvriers industriels et de marchands : c'étaient les bourgeoisies.

Tel fut le berceau de la plupart des villes; leur nom générique, celui de leurs magistrats, ont été empruntés aux villages '; la villa est devenue la ville

Les habitants des villages affranchis sont quelquefois qualifiés de bourgeois; de même que le mot vicus est employé comme synonyme

comme le major est devenu le maire, comme les sergents sont devenus les échevins; seulement les noms ont changé; la muraille du manse dominical s'est déployée pour envelopper toutes les habitations, et les tours du château féodal ont été transportées sur les remparts de la bourgeoisie.

de villa ainsi, dans une charte d'affranchissement accordée, en 1372, à la ville de Clermont en Bassigny, il leur est permis d'élire un villicus et des scabins devant lesquels les bourgeois devront plaider. Si cette ville de Clermont n'était pas un village, elle empruntait à l'organisation communale des campagnes le nom de son premier magistrat. V. Ordonn., vol. V, p. 599.

CHAPITRE VII.

Importance de la classe agricole sous le régime féodal.

des paysans. Leurs vêtements.

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Leurs habitations. Leur manière de vivre.

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Leurs plaisirs. - Les ménétriers. — Les paysans à l'église. - Mépris des autres classes de la société pour les vilains. Les mœurs se corrompent dans les campagnes. Etat moral des paysans.

Nous croyons avoir fait connaître assez complétement la condition des paysans pendant la féodalitė, leur état politique, car il est permis désormais d'employer cette expression à l'égard d'une classe d'hommes qui a pris place dans les rangs de la société. S'ils occupent la position la plus humble, ils n'en forment pas moins la partie la plus considérable, la plus utile de cette société qui se régénère : semblables aux assises inférieures d'une construction, qui touchent à la terre, s'y cachent en grande partie, mais sont le fondement et la force de cet édifice, qui sans elles ne pourrait pas exister.

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