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Assurément ce n'étaient point là des inspirations toujours ou complétement généreuses, l'intérêt privé en produisait une bonne part; mais, quel que soit le principe, il avait pour résultat de rendre moins dure la position des classes inférieures. C'est ainsi que, relativement à la vente que les hommes libres, poussés par le besoin, faisaient assez fréquemment de leurs personnes ou de celles de leurs enfants, deux capitulaires, l'un de Louis-le-Pieux, l'autre de Charles-le-Chauve, annulent ou ordonnent de racheter de pareilles transactions 1.

Ainsi la loi civile, d'accord avec les usages, ne distinguait pas le serf du premier degré de celui d'une servitude inférieure, et tendait à améliorer le sort de tous les colons.

La loi criminelle témoigne-t-elle aussi de cette double tendance? Cela doit être, et cela est en

'Primum omnium placuit nobis ut chartulæ obligationis de singulis liberis hominibus factæ, qui se aut uxores eorum aut filios vel filias in servitio tradiderint, ubi inventæ fuerint frangantur, et sint liberi sicut primitus fuerunt. Capit. Lud. imper. excepta ex

lege Longob.

Notum fieri volumus omnibus Dei et nostris fidelibus quoniam quidam comites nostri nos consuluerunt de illis francis hominibus qui censum regium de suo capite, sed et de suis rescellis debebant, qui, tempore famis, necessitate cogente, se ipsos ad servitium vendiderunt..... hic ponere necessarium duximus ut quicunque ingenui filios suos (quod et de ipsis liberis hominibus qui se vendunt observari volumus) qualibet necessitate, seu famis compulsi, emptor, si quinque solidos emit, sex recipiet. — Capit. Car. Calvi, tit. xxx: Baluz., tom. II, p. 192.

effet. Que l'on ouvre chacun des codes des diverses peuplades germaines; que l'on consulte les capitulaires des rois francs, les lois ecclésiastiques, nulle part on ne trouve d'autre différence entre les serfs, pour l'application de la peine, que celle qui résulte des priviléges accordés aux fiscalins. Partout les serfs ordinaires sont mis sur la même ligne, et sont composés pour une même somme, calculée sur la valeur que la loi a attribuée à l'ingénu. Quant à la sévérité des peines, le principe du wergeld, c'està-dire de la composition, du rachat de la peine, importé des coutumes de la Germanie, et généralisé sur tous les points du pays, laissait bien loin derrière lui la froide et impitoyable cruauté du Code pénal romain.

Tout en faisant connaître la condition de la classe agricole au Ix siècle, nous croyons avoir démontré que cette condition, quelque dure qu'elle fût encore, était de beaucoup préférable à celle du colonat gallo-romain, qu'on le considère dans son ensemble, ou qu'on compare entre elles les diverses espèces de serfs et de colons: si quelque chose manquait encore à la conviction que nous avons voulu faire naître, elle deviendra complète, nous l'espérons, par les détails que nous donnerons dans les deux derniers chapitres de cette seconde partie.

CHAPITRE V.

Le morcellement du sol s'était opéré plutôt entre les cultivateurs qu'entre les propriétaires.

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Accroissement de la population rurale.

- Organisation de la propriété. Ce qu'était devenue la villa. Le manse était le type de l'exploitation agricole. Son étendue,

nombre des colons qui le cultivaient.

La colonie.

-

Le demiLes judices;

Intendants des grands propriétaires.

manse.
leurs devoirs.

En quoi ils différaient des villici de l'époque

gallo-romaine. Les majores et les decani. — Ouvriers industriels dans les fiscs royaux. · Les vicarii des domaines de l'église.

La division du sol, introduite par la conquête germaine et par les libéralités faites à l'église, s'était opérée beaucoup plus dans les propriétés que parmi les propriétaires : les terres avaient bien été partagées entre un nombre d'hommes plus considérable; mais les grands domaines n'avaient pas cessé d'exister, soit qu'ils remontassent à la conquête ellemême, soit qu'ils se fussent reconstitués au profit et par l'influence de la royauté ou du clergé. Seulement, les habitudes des peuplades germaines étant beaucoup plus agricoles que celles des Gallo-Romains, il

arriva que la vie des champs prévalut, et que les villes perdirent la prééminence qu'elles avaient eue sous l'administration des Romains. Le résultat immédiat de ce changement fut de diminuer considé rablement le nombre des hommes attachés au service de la personne, et par conséquent de rendre à l'agriculture la plus grande partie des bras que la sensualité et le luxe des maîtres du monde lui avaient enlevés. Les nouveaux propriétaires purent donc attacher à la culture du sol autant de colons qu'ils le voulurent: et, comme, en subdivisant leurs terres en un grand nombre d'exploitations, ils avaient le double avantage de se créer des clients et d'augmenter leur revenu, ils multiplièrent les concessions à l'infini. C'est là un des faits caractéristiques de l'état de la propriété sous la domination germaine : il établit une différence capitale entre les latifundia, abandonnés à des troupeaux d'esclaves, et les grandes concessions des rois ou du clergé, fractionnées en une multitude de lots, que détenaient des colons intéressés à obtenir de la terre tout ce qu'elle pouvait donner. Nous devons donc trouver dans les documents de l'époque dont nous nous occupons des traces de ce fractionnement de la propriété foncière, et plus particulièrement des diverses désignations de domaine qui témoignent de ce nouvel

état.

Nous avons vu, sous la domination romaine, la

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propriété divisée en parties de terre plus ou moins étendues, et dominées chacune par une ou plusieurs villa, qui, alors même qu'elles n'étaient pas des lieux de plaisance, avaient de colossales proportions. Au 1x siècle il n'en était plus ainsi : le territoire avait changé de face; et, si l'on trouvait des fonds d'une étendue considérable encore, bien qu'elle fût loin d'atteindre celle des latifundia, ces propriétés contenaient dix, vingt et cent fois autant d'exploitations que les fundi gallo-romains. Là où l'on voyait autrefois une agglomération de bâtiments qui commandaient à plusieurs lieues à la ronde, s'étaient élevées une foule de constructions dont l'aspect ne témoignait pas toujours de la richesse des habitants, mais qui accusaient la présence de nombreux cultivateurs et la disparition de l'esclavage. Ces fonds nouveaux se nommaient fisci ou agri, pour désigner sans doute, dans le principe, les terres qui appartenaient aux rois et aux particuliers ; ils se partageaient en

« On doit entendre ici par fisc un ensemble de biens - fonds appartenant à un même propriétaire, et dépendants d'une même administration, soumis généralement à un même système de redevances, de services et de coutumes, et constituant ce qu'on pourrait appeler maintenant une terre. >> M. Guérard, qui donne cette définition du fisc, ajoute : « Il est toutefois probable que, dans l'origine, cette dénomination de fiscs était réservée aux terres qui dépendaient du domaine public ou royal, ou que le prince avait données en bénéfice ». Polypt. d'Irminon, prolég, p. 39. V. Ducange, au mot Fiscus.

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