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puissante, ils s'attachèrent à leurs occupations, au domaine sur lequel ils avaient la certitude de vivre en travaillant. Aussi leur nombre alla-t-il toujours en croissant; à ce point que, au x siècle, ils formaient près des deux tiers de la population.

Nous terminerons par une dernière remarque cette discussion que nous avons crue nécessaire afin de bien fixer le point de départ de la seconde partie de notre travail. M. Guizot, pour prouver que, du ve aux siècle, on voit la condition des classes agricoles constamment déchoir, et devenir de plus en plus misérable, tandis que le progrès commence à partir du x1 siècle, rapporte une ordonnance rendue par Louis-le-Gros en 1118, sur la demande de Thibaut, abbé de St-Pierre-des-Fossés, près Paris, en faveur des serfs, c'est-à-dire des colons de cette abbaye la charte royale leur concède la licence pleine et entière de pouvoir témoigner en justice contre des hommes libres, et de soutenir leur dire par le duel contre quiconque doutera de leur témoignage 1.

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Ce texte, bien loin d'appuyer le sentiment de l'illustre historien, nous paraît au contraire prouver que la condition des colons allait en empirant; car il s'agit ici d'un privilége dont ils étaient en possession dès le viie siècle. Si, au XIIe siècle, les colons étaient

'Histoire de la civilisation en France, leçon 8.

si méprisės, comme témoigne le document dont il s'agit, que dans les plaids les laïques ne voulussent pas les admettre à témoigner contre des hommes libres, c'est que, au lieu de s'améliorer, leur position était devenue plus mauvaise. Du reste ce texte, relatif à des colons ecclésiastiques, n'est pas concluant dans la question des colons laïques, et M. Guizot ne l'a cité que par suite de la confusion qu'il a faite entre ces deux classes de serfs.

Il y avait en effet plusieurs degrés dans le servage, ou plutôt l'état des paysans variait en raison de la nature des domaines qu'ils cultivaient les serfs royaux et ecclésiastiques jouissaient de certains priviléges inconnus au commun des colons, et parmi ceux-ci il en était à qui une meilleure condition était faite. Nous avons donc à nous enquérir de l'état des trois classes de colons les cultivateurs libres, les serfs royaux et ecclésiastiques, et les serfs laïques. En d'autres termes nous allons examiner ce qu'étaient devenus sous la conquête germaine les colons libres, les colons attachés au sol et les colons esclaves, des Romains.

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CHAPITRE II.

Sous la domination germaine le nombre des petits propriétaires diminue de plus en plus. Oppression dont ils étaient l'objet. — Les fermiers et les métayers ont aussi presque complétement disparu. Les colons libres existent encore cependant on les retrouve dans les cultivateurs à titre de précaire. Quelle était cette nouvelle espèce de contrat? En quoi différait-elle du précaire romain ? Son analogie avec la recommandation ou dévoûment.

Nous avons dit dans le chapitre précédent que la division de la propriété territoriale qui suivit l'invasion germaine ne s'effectua pas au profit des colons libres. Il dut en être ainsi en effet par deux raisons: la première, c'est que, après toute invasion, la possession des terres étant, à cette époque, le but principal des conquérants, les petits propriétaires étaient immédiatement dépouillés de leurs héritages au profit des chefs vainqueurs et de leurs soldats; la seconde, c'est que, dans la société germaine, comme dans toutes les sociétés non civilisées, les concessions à termes fixes, le fermage, le colonat

partiaire, n'étaient pas en usage, et que ces combinaisons, d'une exécution trop difficile chez un peuple quasi-barbare, étaient remplacées par le contrat, beaucoup plus simple, du servage, dont le caractère était d'immobiliser le cultivateur, de l'incorporer au sol dont il recueillait les produits, à la charge par lui de payer au maître une redevance fixe, de lui rendre des devoirs définis. Du ve au x1° siècle, de l'établissement des Germains à l'époque où le régime féodal apporte un nouveau changement dans l'organisation de la propriété territoriale, on doit donc rencontrer très-peu de petits propriétaires cultivant eux-mêmes leur domaine, et encore moins peut-être de fermiers et de métayers.

L'examen attentif des documents législatifs et historiques vient confirmer cette présomption: tous nous montrent la propriété allodiale, c'est-à-dire indépendante, héréditaire, disparaissant, sinon toutà-fait, du moins s'amoindrissant de plus en plus, à ce point que, dès le vir siècle, on a de la peine à trouver des traces de l'existence des petits propriétaires. En effet, faut-il les reconnaître dans les possesseurs dont la loi salique amendée parle deux ou trois fois? Doit-on les chercher parmi les hommes libres, pauvres, dont le sort est l'objet de plusieurs dispositions des capitulaires? Nous ne les voyons pas autre part; et les documents qui en font mention témoignent de leur petit nombre comme de leur état

misérable. La loi des Saliens, au titre des Homicides des ingénus, compose à deux cents sous le Franc ou le barbare vivant sous la loi salique; tandis que l'amende imposée pour le maître d'un Romain possesseur, c'est-à-dire ayant une propriété dans l'étendue du district, est fixée à cent sous seulement, un peu plus de moitié que pour le meurtre d'un romain tributaire c'est-à-dire serf, dont la vie est estimée valoir quarante-cinq sous 1. Quant aux hommes libres pauvres, ils sont tombés dans un tel mépris qu'il semble que chacun puisse à son gré les maltraiter, les dépouiller, et les réduire à l'état de serfs. Nous citerons quelques textes qui établissent combien la condition de cette classe d'agriculteurs était devenue misérable.

On lit dans la loi des Bavarois : « Que l'ingénu, quoique pauvre, ne perde ni sa liberté ni son héritage, à moins que ce ne soit par le fait de sa volonté, auquel cas il a le pouvoir d'aliéner l'une et l'autre 2 ».

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Pactus legis Salicæ, tit. xu, cap. 1, 7 et 8.

VIII. Si romanus homo possessor, id est qui res in pago ubi commanet proprias possidet, occisus fuerit, is qui eum occidisse convincitur quatuor mille denariis, qui faciunt solidos centum, culpabilis judicetur.

Quamvis pauper sit, tamen libertatem suam non perdat vel hæreditatem suam, nisi ex spontanea voluntate alicui tradere voluerit, hoc potestatem habeat faciendi. Lex Bajuv., tit. 1, cap. 1.

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