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Pas n'est besoin d'être grand psychologue pour observer sur soi-même une influence manifeste de la température. Nous savons tous qu'avec telles conditions météorologiques nous sommes plus dispos qu'avec d'autres ; par certains temps nous travaillons plus volontiers ou moins bien; notre caractère même se modifie appréciablement du jour au lendemain, voire en quelques heures, si, dans ce délai, un changement météorologique est survenu. Notre santé, notre vigueur générale ou notre vitalité, notre caractère enfin sont variables selon le temps. Cela est d'observation courante. Mais il faut reconnaître aussi que l'influence varie. Il y a des sujets plus sensibles que d'autres; et telles conditions qui sont désagréables à celui-ci ne le sont pas à celui-là, qui en tirerait plutôt de l'agrément. L'état général de santé joue sans doute quelque rôle en cette affaire : l'homme parfaitement sain et bien portant, dans la force de l'âge, est moins accessible aux influences atmosphériques que le nerveux, l'affaibli ou l'âgé. Tels sont particulièrement sensibles au point de vue psychique, comme

d'autres le sont au point de vue physique; les rhumatisants et névralgiques pressentent le temps qu'il va faire à leurs sensations; les sensibles au point de vue psychique le font voir à leur entourage par leur humeur ou leur façon d'agir. On pourrait citer beaucoup de faits à l'appui de l'influence psychique du temps. On raconte, par exemple, qu'à la Banque d'Angleterre il est certains comptes auxquels on ne travaille jamais les jours où le temps est particulièrement déprimant. Les erreurs qui pourraient y être faites auraient des conséquences trop graves; on aime mieux occuper, ces jours-là, les employés à autre chose. Il y aurait même économie à ne rien leur faire faire, les erreurs qui se multiplient aux jours dont il s'agit étant ruineuses. La même observation a été faite dans les grandes banques de New-York, et la même pratique y a été adoptée. Dans un autre ordre d'idées, il faut signaler l'avis unanime des directeurs d'asiles d'aliénés. L'humeur de ces derniers subit à un degré considérable l'influence des conditions météorologiques. Leur psychologie est fonction du temps qu'il fait, telle est l'opinion de tous ceux qui ont quelque peu observé; mais ils ne savent dire quel est le genre de température qui agit le plus sur les malades. Dans l'industrie, celle-ci a aussi ses répercussions; un chef d'usine assurait que par vilain temps la production diminue de 10 %. Mais il ne disait pas ce qui constitue au juste le << vilain temps. » Et le genre d'occupations a une grosse influence en cette affaire. Ce qui peut être « vilain temps pour faire telle besogne ne l'est pas pour faire telle autre. Un chef d'institution pédagogique, qui cumulait les privilèges de rhumatisant et de psychologue, s'était rendu fort utile à ses subordonnés chargés de la surveillance des jeunes gens. De temps à autre il allait

les trouver et leur disait : « Ouvrez l'œil. Il y a des chances de grabuge aujourd'hui, surveillez spécialement tels et tels. Comme ses avis étaient invariablement justifiés par l'événement, on finit par demander au principal quelle mystérieuse faculté lui permettait de prévoir les orages scolaires. Sa réponse fut qu'il n'y avait rien de mystérieux à cela. Il était goutteux et son pied lui servait de baromètre; d'autre part, il avait remarqué qu'avec ses accès de goutte coïncidaient des accès d'indiscipline des écoliers. Dès lors, rien n'était plus simple; dès qu'il sentait son pied s'endolorir, il prévoyait des troubles, et, connaissant les meneurs habituels, il conseillait d'exercer sur eux une surveillance plus attentive. Le temps, qui agissait sur son pied, agissait sur le système nerveux des élèves.

Une autre constatation intéressante a été faite à Buenos-Aires par un observateur anglais. Au nord de la ville, la région est très marécageuse; au sud-ouest, ce sont les plaines sèches des pampas et la montagne. Le vent du nord est donc très humide, celui du sud-ouest très sec. Le premier est très éprouvant pour les habitants; ils sont pris de lassitude, de fatigue et aussi de beaucoup de maux de gorge et de rhumes. Leur caractère, encore, est altéré; l'irritabilité et la mauvaise humeur dont ils sont pris en font presque des gens atteints de dérangement cérébral temporaire. Ceux qui le peuvent s'isolent ou renoncent au travail : ils savent qu'ils ne feraient rien qui vaille et s'abstiennent de toute occupation jusqu'au retour du beau temps. Dans les classes inférieures, on n'a point cette ressource; on continue à agir. On est en contact les uns avec les autres; il y a des frottements, nécessairement, et les rixes et les meurtres sont beaucoup plus fréquents tant que souffle

le vent du nord. Les meurtriers eux-mêmes plaident leur irresponsabilité et mettent leur acte sur le compte du vent. Cette situation dure jusqu'au moment où s'installe le vent du sud-ouest, vent sec qui rétablit la santé du corps et la paix entre les individus. Il ne faudrait toutefois pas conclure de ceci que le vent sec est invariablement un restaurateur de la tranquillité publique; souvent il est très électrique aussi et détermine une excitation générale déplorable, comme au Colorado.

La littérature abonde en témoignages du même ordre, en passages faisant voir l'influence que l'écrivain reconnaît à la température sur lui-même ou sur les hommes en général. « Je suis toujours plus religieux un jour de soleil, écrivait Byron; et Walt Whitman, le puissant poète américain, a dit : « J'adore le splendide et silencieux soleil. » Shakespeare était plutôt héliophobe; il voyait dans la chaleur du soleil la cause des passions coléreuses et meurtrières. Mais, pour nombreux que soient les témoignages littéraires, leur valeur reste faible. Ils sont bien vagues en outre, bien imprécis. Ils confirment l'opinion courante que le temps agit sur le caractère aussi bien que sur la santé et la vitalité, mais cela ne va pas plus loin.

Pour arriver à quelque chose de plus précis et de plus scientifique, il faut avoir recours à d'autres méthodes. Sans doute, on ne peut guère expérimenter: nous ne faisons pas le temps à volonté. Cela est heureux d'ailleurs, jamais on ne serait d'accord. Mais on peut observer de plus près et plus amplement, et c'est ce qu'a fait un psychologue américain, M. E. G. Dexter, professeur de pédagogie à l'Université de l'Illinois, dans un livre fort intéressant qui vient de paraître sous le titre de Weather influences: an empirical study of the mental and phy

siological effects of definite meteorological conditions. (New-York, Macmillan Co.)

Il y a évidemment « quelque chose » dans l'expérience de chacun et dans la tradition, dit M. Dexter. Mais c'est nébuleux. Car si les gens vous disent qu'ils sont ceci ou cela par « vilain temps, ou par temps lourd, ou par « vent du sud,» il est bien évident qu'aucune des définitions ainsi données n'est adéquate. On appellera vilain temps un temps couvert, ou pluvieux, ou venteux, mais on ne tient pas compte de la température, de la qualité du vent, de l'état électrique, etc. Le vent du sud peut être froid ici et là chaud, humide ou sec, et ainsi de suite. Et l'on peut attribuer au vent ce qui tient en réalité à la température ou à l'hygrométrie, à la pluie ce qui tient à la température ou à la pression qui l'accompagnent.

Voilà un premier point. Il y en a un second. Bien évidemment, on ne peut guère songer à faire des études individuelles. Les individus sensitifs sont plus ou moins rares; il n'est pas question de les rassembler pour les observer, comme on ferait avec des cobayes ou des grenouilles. Et alors la méthode à suivre c'est, pour M. Dexter, d'opérer sur des masses, et, en outre, de tenir compte, pour la période d'observation de ces masses, de tous les éléments du temps. Cela est facile, grâce aux données enregistrées par les bureaux météorologiques.

Il y a probablement bien des manières de se rendre compte de la conduite de masses diverses de population; je ne vais pas les énumérer, et me contenterai d'indiquer les masses sur lesquelles a porté l'enquête de M. Dexter et le genre de renseignements qu'il s'est procurés sur elles. Les voici :

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