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que l'auteur, un correspondant de la Novoïe Vremia, est plutôt disposé à passer l'éponge sur les méfaits de la bureaucratie militaire et que néanmoins le souci de la vérité l'oblige à rapporter certaines scènes qui en disent plus long sur les causes intimes de notre défaite que toutes les dissertations stratégiques et diplomatiques.

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« L'amiral Alexeïev ne se contentait pas de ses riches appartements de Port-Arthur, de Dalny et de Moukden, mais il avait encore un train de luxe composé de wagons Pullman, contenant de grands salons et des salles à manger pour lui et son état-major. L'amiral n'aimait pas voyager de nuit et s'arrêtait à n'importe quelle station. Quand il dormait, le sifflet des locomotives l'incommodait, ainsi que la moindre manœuvre sur la ligne aussi, pour ne pas troubler le sommeil de Son Excellence, toute l'activité de la gare était suspendue. Des troupes, des bagages militaires impatiemment désirés sur le champ de bataille attendaient paisiblement que l'amiral eût fini son somme, qui durait de six à huit heures. Le général Kouropatkine ne voulut pas être moins favorisé que l'amiral, et il réclama un train analogue. Le chef de son état-major en sollicita autant, et finalement tous les commandants d'armée et même des chefs de moindre importance furent pourvus de wagons Pullman.... Il en résulta que bientôt tous les wagons furent accaparés par les chefs, et les voyageurs, les officiers et les soldats n'eurent plus à leur disposition que les fourgons destinés au transport des bêtes....

» Un officier de l'état-major vit débarquer une vache laitière expédiée de Russie à son intention. Il donna l'ordre aussitôt d'ajouter le wagon à son propre train, ce qui occasionna des manœuvres assez compliquées. Mais, quand enfin la vache fut confortablement installée, le valet de chambre du général trouva qu'elle n'était pas suffisamment à sa portée. Le général ordonna de déplacer le wagon, ce qui nécessita de nouvelles manœuvres. Pour la seconde fois il ne fut pas content, et l'on dut entreprendre un troisième déplacement de l'intéressant ruminant. Ces diverses manipulations prirent toute une ma

tinée, et pendant ce temps des trains militaires arrêtés devant le sémaphore ne pouvaient entrer en gare! »

Durant la campagne, il n'y a que le petit peuple qui se soit toujours montré à la hauteur de la situation. Tandis qu'une pluie d'or et d'étoiles inondait l'état-major, ceux qui faisaient. l'ouvrage ne recevaient pas même un remerciement. Les employés de chemins de fer, qui ont déployé une activité surhumaine lors de la défaite de Chakhe et de la retraite de Moukden, n'ont pas même obtenu un mot d'approbation du commandant en chef, qui comblait d'éloges les officiers supérieurs.

« Et les employés du télégraphe ! s'écrie M. Tabourno, qui ne les a injuries? Pourtant c'étaient eux les derniers qui quittaient la station, emportant les appareils sur leurs épaules. Ils réparaient les fils sous le feu et les balles. Les trains aussi étaient toujours exposés aux coups de l'ennemi.... Et si l'on a pu évacuer de Moukden une telle multitude de blessés en une seule nuit, on le doit au dévouement héroïque des machinistes qui conduisaient dans l'obscurité des trains de cinquante à soixante wagons.

Ces exploits ont été accomplis par des ouvriers civils qu'aucun devoir professionnel n'astreignait à exposer leur vie. Mais ils avaient un sentiment du devoir si puissant, qu'ils étaient prêts à braver tous les périls au service de la patrie. Pour cette bravoure constante et cette fidélité allant jusqu'à l'héroïsme, ils ne recurent de leurs chefs que des injures, pas une marque de reconnaissance ou de sympathie. Et encore maintenant, ce sont ces employés des postes, des télégraphes et des chemins de fer que l'on fusille et que l'on mitraille à Sébastopol, à Odessa, à Moscou, à Rostov, tandis que les Alexeïev et les Kouropatkine se promènent en Russie et à l'étranger dans des trains de luxe. M. Tabourno ajoute qu'on refuse à ces employés la plus petite gratification ou augmentation de salaire, alors que le nettoyage des trains de luxe pendant la campagne << a coûté à l'administration 50 000 roubles par mois! >

CHRONIQUE DES PAYS-BAS

Revision de la constitution hollandaise.

alliance hollando-belge.

Flandre. Conférences.

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Le projet d'Anvers. Mort du comte de

La maison de Rembrandt.

En inscrivant au programme du nouveau ministère hollandais un projet de revision éventuelle de la constitution, le président du conseil, M. de Meester, avait ouvert un vaste champ aux controverses de presse et aux conjectures du public. Les déclarations de son collègue, M. Rink, ministre de l'intérieur, viennent de circonscrire singulièrement le terrain sur lequel s'exercera la sagacité des juristes. Ceux-ci, nommés par arrêté royal du 23 octobre dernier, forment une commission de sept membres appartenant aux diverses tendances du libéralisme; les deux partis extrêmes, le protestantisme ultra-orthodoxe de M. Kuijper et le socialisme, n'y sont pas représentés. Aux termes de l'arrêté, et réserve faite de la question électorale que le gouvernement lui-même s'assignait pour tâche d'introduire, la mission de ces spécialistes, jurisconsultes et politiciens, était d'examiner « quelles autres modifications devaient encore être introduites dans la constitution de 1887. » Or, le ministre de l'intérieur, en installant dans leur charge les membres de la commission, a insisté sur la nécessité de respecter en leurs grandes lignes les termes importants de ladite constitution. Son discours a limité leur activité à des réformes de détail division du pays en districts électoraux, représentation proportionnelle, durée du mandat des députés, indemnité à leur accorder. Un problème plus important, il est vrai, leur a été soumis c'est celui des conditions d'existence de la première chambre, dont quelques esprits démocratiques réclament la suppression. Il s'agirait, pour la recruter, de remplacer par le suffrage direct le suffrage au second degré, actuellement en

vigueur; d'autre part, de lui conférer le droit d'amendement, pour lui permettre de coopérer avec la seconde chambre sans retarder outre mesure la mise en exécution des lois. Mais ce plan d'études, quelque chargé qu'il paraisse, a déçu l'opinion publique. La circonspection de M. Rink, son évident souci de ne voir apporter à la constitution de 1887 que des modifications prudentes, n'ont pas semblé justifier les promesses du gouvernement. De par ses directions, en effet, une question se trouve tacitement placée en dehors de tout examen, et c'est celle-là justement que les circonstances politiques paraissent rendre urgente: celle de la succession au trône.

Avec la reine Wilhelmine, la maison d'Orange-Nassau menace de s'éteindre. Son mariage n'a pas donné d'héritier à la couronne. Et, bien que la nation puisse attendre et souhaiter pour sa charmante jeune reine de longues années de vie, elle doit aussi prévoir le cas où sa mort prématurée laisserait vacant le pouvoir. A défaut d'héritier direct, la souveraineté passerait alors à des princes de maison allemande. Ce serait l'acheminement vers une annexion de fait à l'empire, dont la Hollande risquerait de devenir un satellite. On conçoit les avantages énormes que les Pays-Bas du nord, avec leur marine marchande, leurs ports prospères, leurs riches cultures, leurs colonies, apporteraient à une nation suzeraine. Mais on conçoit aussi qu'un peuple dont l'affranchissement fut payé des plus rudes sacrifices et qui a conservé, à travers mille bouleversements, sa forte individualité, ne se résignerait pas à cette prise de possession. La pieuvre du pangermanisme voudrait étendre ses tentacules sur la Hollande, comme sur la Belgique ou sur les provinces danubiennes. Ce danger, toutefois, est moins grand qu'il ne paraît. Le pays, averti, se montre résolu à déjouer toute ruse; la conscience de ce péril justifie l'ardeur avec laquelle une partie de la presse néerlandaise a fait campagne pour la revision de la constitution. Maintes solutions ont été débattues. On en trouverait une assurément, sans avoir recours à l'étrange moyen qui consisterait à remettre en vigueur une loi désuète, par laquelle le prince régnant est auto

risé à divorcer, si son mariage reste stérile. Quoi qu'il en soit, la difficulté même de la question semblerait militer en faveur d'une étude attentive du problème. Il y a longtemps qu'il préoccupe, dit-on, les cercles diplomatiques. Le mot de république est même parfois prononcé. Il ne devrait pas effaroucher le peuple qui eut des princes d'Orange pour stathouders et qui, s'il est attaché à leur maison, ne remettrait pas volontiers son indépendance aux mains d'une dynastie étrangère.

D'une portée moins vaste que le projet de revision, la remise du budget des Indes néerlandaises était attendue avec quelque curiosité dans les milieux qu'inquiète l'avenir des possessions d'outre-mer. Ce budget constituait le premier acte administratif du nouveau ministre des colonies, M. Fock; de plus, il devait, espérait-on, se ressentir d'un régime meilleur inauguré par le gouverneur van Heutsz. A ce double point de vue, il a médiocrement satisfait le pays. Les journaux se sont montrés cléments pour M. Fock, dont la compétence n'est pas mise en doute et qui ne peut être tenu pour responsable du déficit de 10649 537 francs. Mais il a semblé qu'on avait acclamé trop tôt la nomination du général van Heutsz ; l'activité, l'énergie, l'impartialité que lui avait attribuées l'enthousiasme général ne se sont pas encore manifestées par la répression des abus, les tentatives de réorganisation, une politique de pacification et de progrès. En vain le ministre a exposé un plan de réformes, promis le développement de l'instruction, l'organisation du crédit agricole, l'exécution de nombreux travaux publics, l'encouragement des industries indigènes; la métropole commence à se lasser des charges que lui impose une colonie, elle-même souvent pressurée jusqu'à épuisement, mais qui, sous une administration plus équitable et plus ingénieuse, pourrait devenir une source de prospérité sans égale. Le sentiment populaire se trouve humoristiquement traduit par une caricature récente de Johan Braakensiek, l'habile dessinateur de l'Amsterdammer. Elle représente l'Inde néerlandaise sous les traits d'une Javanaise décharnée, à laquelle ses deux médecins, M. Fock et le gouverneur van Heutsz, proposent pour

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