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audace effrenée? Je ne dis pas ces portes, je ne dis pas ces barreaux, qu'un autre pouvoit rompre comme toi. Il laiffe là fa pensée imparfaite, la colère le tenant comme fufpendu & partagé fur un mot, entre deux differentes perfonnes. Qui... O le plus méchant de tous les hommes! Et enfuite tournant tout d'un coup contre Ariftogiton ce même difcours, s qu'il fembloit avoir laiffé là, il touche bien davantage, & fait une plus forte impreffion. Il en eft de même de cet emportement de Penelope dans Homère, quand elle voit entrer chez elle un Heraut de la part de fes Amans:

* De mes fâcheux Amans Miniftre injurieux,
Heraut, que cherches-tu? Qui t'amène en ces lieux?
Y viens-tu de la part de cette troupe avare,
Ordonner qu'à l'inftant le feftin fe prépare?
Faffe le jufte Ciel, avançant leur trépas,
Que ce repas pour eux foit le dernier repas!
Lâches, qui pleins d'orgueil, & foibles de courage,
Confumez de fon Fils le fertile heritage,

Vos peres autrefois ne vous ont-ils point dit.
Quel homme étoit Ulyffe, &c.

CHAPITRE XXIV.

De la Periphrafe.

L n'y a perfonne, comme je croi, qui puiffe douter que la Periphrase ne foit encore d'un grand usage dans le Sublime. Car, comme

REMA R Q U E S.

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Voïez la Remarque fuivante.

dans

2. Des differentes parties qui lui répondent] C'est ainfi qu'il faut entendre ago. Ces mots ploryou save ne voulant dire autre chose que les parties faites fur le fujet, & il n'y a rien qui convienne mieux à la Periphrase, qui n'eft autre chofe qu'un affemblage de mots qui répondent differemment au mot propre, & par le moïen defquels comme l'Auteur le dit dans la fuite, d'une diction toute fimple on fait une espèce de concert & d'harmonie. Voilà le fens le plus naturel qu'on puiffe donner à ce paffage. Car je ne fuis pas de l'avis de ces Modernes, qui ne veu

lent

I

2

dans la Mufique le fon principal devient plus agréable à l'oreille, lors qu'il eft accompagné des differentes parties qui lui répondent : de même, la Periphrafe tournant autour du mot propre, forme fouvent, par rapport avec lui, une confonance & une harmonie fort belle dans le difcours ; fur tout lors qu'elle n'a rien de difcordant ou d'enflé, mais que toutes chofes y font dans un jufte temperament. Platon * nous en fournit un bel exemple au commencement de fon Oraison funèbre. Enfin, dit-il, nous leur avons rendu les derniers devoirs, & maintenant ils achèvent ce fatal voïage, & ils s'en vont tout glorieux de la magnificence avec laquelle toute la Ville en géneral & leurs Parens en particulier, les ont conduits hors de ce monde. Premièrement il appèle la Mort ce fatal voïage. Enfuite il parle des derniers devoirs qu'on avoit rendus aux morts, comme d'une pompe publique, que leur Païs leur avoit préparée exprès pour les conduire hors de cette vie. Dirons-nous que toutes ces chofes ne contribuent que médiocrement à relever cette penfée? Avouons plûtôt que par le moïen de cette Periphrafe, mélodieufement répandue dans le difcours, d'une diction toute fimple, il a fait une espèce de concert & d'harmonie. De même Xénophon † : Vous regardez le travail comme le feul guide qui vous peut conduire à une vie heureufe & plaifante. Au reste votre ame eft ornée de la plus belle qualité que puiffent jamais poffeder des hommes nez pour la guerre; c'est qu'il n'y a rien qui vous touche plus fenfiblement que la louange. Au lieu de dire: Vous vous adonnez au travail, il ufe de cette circonlocution: Vous regardez le travail comme le feul guide qui vous peut conduire à une vie beureufe. Et étendant ainfi toutes chofes, il rend fa pensée plus grande, & relève beaucoup cet éloge. Cette periphrafe d'Herodote me femble encore inimitable: La Déeffe Venus, pour châtier l'infolence des Scythes, qui avoient pillé fon Temple, leur envoïa 3 une maladie qui les rendoit Femmes *.

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+ Au reste il n'y a rien dont l'ufage s'étende plus loin que la Periphrafe, pourvû qu'on ne la répande pas par tout fans choix & fans mefure. Car auffi-tôt elle languit, & à je ne fai quoi de niais & de groffier. Et c'eft pourquoi Platon, qui eft toûjours figuré dans fes expreffions, & quelquefois même un peu mal à propos, au jugement de quelques-uns, a été raillé, pour avoir dit dans fes Loix*: Il ne faut point fouffrir que les richeffes d'or & d'argent prennent pié, ni habitent dans une Ville. S'il eût voulu, pourfuivent-ils, interdire la poffeffion du bétail, affurément qu'il auroit dit par la même raison, les richesses de Bœufs & de Moutons.

Mais ce que nous avons dit en géneral, fuffit pour faire voir l'usage des Figures, à l'égard du Grand & de Sublime. Car il est certain qu'elles rendent toutes le difcours plus animé & plus pathétique. Or le Pathétique participe du Sublime autant que le Sublime participe du Beau & de l'Agréable.

7

CHAPITRE XXV.

Du choix des Mots.

Puurs lai & re

UISQUE la Pensée & la Phrase s'expliquent ordinairement l'une par l'autre, voïons fi nous n'avons point encore quelque chose à re

REMARQUES.

avoit traduit: Leur envoïa la maladie des Femmes: ce qu'il expliquoit des Hemorroides, dans une note marginale. C'est à cette dernière Traduction que conviennent les trois Remarques fuivantes de Mr. Defpréaux, de Mr. Dacier, & de Mr. Tollius,

Ibid. La maladie des Femmes] Ce paffage a fort exercé jufqu'ici les Savans & entr'autres Mr. Coftar & Mr. de Girac. C'est ce dernier dont j'ai fuivi le fens qui m'a paru le meilleur: y aiant un fort grand raport de la maladie naturelle qu'ont les Femmes, avec les Hémorrhoïdes. Je ne blàme pourtant pas le fens de Mr. Dacier. Bo 1

LEAU.

Ibid. La maladie des femmes.] Par cette maladie des femmes tous les Interprètes ont entendu les Hémorrhoides; mais il me femble qu'Herodote auroit eu tort de n'attribuer qu'aux femmes ce qui eft auffi commun aux hommes, & que la periphrafe dont il s'eft fervi, ne feroit pas fort jufte. Ce paffage a embarraffé beaucoup de gens, & Voiture n'en a pas été feul en peine. Pour moi je fuis perfuadé que la plupart, pour avoir voulu trop fineffer, ne font point entrez dans la penfée d'Herodote, qui n'entend point d'autre maladie

* Liv. 5. p. 741. & 742. Edit. de H. Etienne

mar

que celle qui eft particuliere aux femmes. C'eft en cela auffi que fa periphrafe paroît admirable à Longin, parce que cet Auteur avoit plufieurs autres manières de circonlocution, mais qui auroient été toutes ou rudes, ou mal-honnêtes, au lieu que celle qu'il a choifie eft très-propre & ne choque point. En effet, le mot vo&, maladie, n'a rien de groffier, & ne donne aucune idée fale; on peut encore ajoûter pour faire paroître davantage la délicateffe d'Herodote en cet endroit, qu'il n'a pas dit voor yuvaixŵr, la maladie des femmes; mais par l'Adjectif sav võœov, la maladie feminine ce qui eft beaucoup plus doux dans le Grec, & n'a point du tout de grace dans notre Langue, où il ne peut être fouffert. DACIER.

Ibid. La maladie des femmes.] Voïez mes remarques Latines, où je montre, que ce n'eft ni l'une ni l'autre ; mais une maladie plus abominable. TOLLIUS.

CHANGEMENT. Ibid. Une maladie qui les rendoit Femmes.] Dans toutes les éditions avant celle de 1701. La maladie des Femmes.

4. Au reste, il n'y a rien.] Le mot Grec ixinai go fignifie une chofe qui eft fort commode pour l'ufage. TOLLIUS.

marquer dans cette partie du difcours qui regarde l'expreffion. Or, que le choix des grans mots & des termes propres foit d'une merveilleuse vertu pour attacher & pour émouvoir, c'eft ce quc perfonne n'ignore, & fur quoi par conféquent il feroit inutile de s'arrêter. En effet, il n'y a peut-être rien d'où les Orateurs, & tous les Ecrivains en géneral qui s'étudient au Sublime, tirent plus de grandeur, d'élegance, de netteté, de poids, de force & de vigueur pour leurs Ouvrages, que du choix des paroles. C'eft par elles que toutes ces beautez éclatent dans le difcours, comme dans un riche tableau; & elles donnent aux chofes une efpèce d'ame & de vie. Enfin les beaux mots font, à vrai dire, la lumiere propre & naturelle de nos penfées. Il faut prendre garde néanmoins à ne pas faire parade par tout d'une vaine enflure de paroles. Car d'exprimer une chose baffe en termes grans & magnifiques, c'eft tout de même que fi vous appliquiez un grand mafque de Théatre fur le visage d'un petit enfant : fi ce n'est à la vérité 1 dans la Poëfie ** 2 Cela fe peut voir encore dans un paffage de Théopompus, que Cécilius blâme, je ne fai pourquoi, & qui me femble au contraire fort à louer pour fa jufteffe, & parce qu'il dit beaucoup. Philippe, dit cet Hiftorien, boit fans peine les affronts que la néceffité de fes affaires l'oblige de fouffrir. En effet, un difcours tout fimple exprimera quelquefois mieux la chofe que toute la pompe & tout l'orne

CHANGEMENT.

REMA R QUE S

5. Dans fes Loix] Dans fa République: On lifoit ainfi dans toutes les éditions excepté la dernière de 1713.

CHANGEMENT. 6. Interdire la poffeffion.] Dans toutes les Editions qui ont précedé celle-ci, on lifoit, introduire, au lieu d'interdire. La reffemblance de ces deux mots eft apparemment caufe que l'on a pris l'un pour l'autre. Mais il faut mettre, interdire. Ce qui précède le fait affez connoître outre que c'est le fens de ces mots Exλve κεκτῆσθαι, qui font dans le Texte de Longin, & qui doivent être traduits par vetuiffet comparari. 7. Le Sublime.] Le Moral, felon l'ancien Manufcrit. BOILEAU.

ment,

tant point Grec: & du refte, que peuvent dire ces mots, Cette fécondité d'Anacreon? Je ne me foucie plus de la Thracienne. BOILEAU.

Ibid. Cela fe peut voir encore dans un passage &c.] Monfr. Defpréaux a fort bien vù, que dans la lacune fuivante Longin faifoit voir que les mots fimples avoient place quelquefois dans le ftile noble, & que pour le prouver il rapportoit ce paffage d'Anacreon, xiri Opnixíng exisgépopas. Il a vù encore que dans le texte de Longin, TxarαT καὶ γόνιμον τὸ δ' Ανακρείοντα, le mot ὑπτικώτατον eft corrompu & qu'il ne peut être Grec. Je n'ajoûterai que deux mots à ce qu'il a dit, c'est qu'au lieu dὑπτικώτατον Longin avoit écrit ὑπτιώτατον, & qu'il l'avoit rapporté au paffage d'Anacréon, ἱπτιώτατον καὶ γόνιμον τὸ δ' Ανακρέοντ@ [εκέτι Ognixing exisρépoμœs] il falloit traduire, cet endroit je ne ne d'Anacreon eft très fimple, quoi que pur foucie plus de la Thracienne. For ne fignifie point ici fécond, comme Monfieur Defpréaux l'a crû avec tous les autres Interprètes; mais pur, com2. Cela fe peut voir encore dans un passage, &c.] me quelquefois le Genuinum des Latins. La reftiIl y a avant ceci dans le Grec, Tarov yo-tution de ziarato est très-certaine, & on pourνόμον τὸ δ' ΑνακρέοντΘ εκέτι Θρηϊκίης ἐπιτρέφομαι. roit la prouver par Hermogène, qui a auit appe cette fimplicité du difcours. Mais je n'ai point exprimé ces paroles où il y a lé TióTnta dóy's affurément de l'erreur; le mot TIXNTATO n'é- Dans le paffage d'Anacreon cette fimplicité confif

Ibid. Le Sublime.] Que l'Ethique participe du Doux & de l'Agréable. TOLLIUS.

CHAP. XXV. 1. Dans la Poësie.] L'Auteur, après avoir montré combien les grans mots font impertinens dans le ftile fimple, faifoit voir que les termes fimples avoient place quelquefois dans le ftile noble. BOILEAU.

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te,

ment, comme on le voit tous les jours dans les affaires de la vie. Ajoûtez, qu'une chofe énoncée d'une façon ordinaire, fe fait auffi plus aifément croire. Ainfi en parlant d'un homme, qui pour s'agrandir fouffre fans peine, & même avec plaifir, des indignitez; ces termes, boire des affronts, me femblent fignifier beaucoup. Il en eft de même de cette expreffion d'Herodote: *Cléomène étant devenu furieux, il prit un couteau, dont il fe hacha la chair en petits morceaux; & s'étant ainsi déchiqueté lui-même, il mourut. Et ailleurs†: Pythès, demeurant toùjours dans le Vaiffeau, ne ceffa point de combatre qu'il n'eût été haché en pièces. Car ces expreffions marquent un homme qui dit bonnement les chofes, & qui n'y entend point de fineffe; & renferment néanmoins en elles un fens qui n'a rien de groffier ni de trivial.

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CHAPITRE XXVI.

Des Métaphores.

OUR ce qui eft du nombre des Métaphores, Cécilius femble être de l'avis de ceux qui n'en fouffrent pas plus de deux ou de trois au plus, pour exprimer une seule chose. + Démosthène nous doit encore ici fervir de règle. Cet Orateur nous fait voir, qu'il y a des occafions où l'on en peut emploïer plufieurs à la fois: quand les paffions, comme un torrent rapide, les entraînent avec elles néceffairement, & en foule. Ces Hommes malheureux, dit-il quelque part, ces lâches Flateurs, ces Furies de la République ont cruellement déchiré leur patrie. Ce font eux qui dans la débauche ont autrefois vendu à Philippe notre liberté, & qui la vendent encore aujourd'hui à Alexandre: qui mefurant, disje, tout leur bonheur aux fales plaifirs de leur ventre, à leurs infâmes débordemens, ont renversé toutes les bornes de l'Honneur, & détruit parmi

I.

REMA R Q VE S.

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nous

remarque Latine, pour ne donner pas quelque foupçon, que je me fuis fervi de fon induftrie. Mais ce feroit être trop effronté de le faire fi ouvertement, & de joindre après cela ces remarques aux fiennes dans la même Edition, comme pour faire voir à tout le monde, qu'on fait auffi impudemment ufurper le travail d'autrui, que les grans Guerriers favent s'emparer des terres de . leurs voifins. TOLLIU S.

CHAP. XXVI. 1. Vendu à Philippe notre liberté. ] Il y a dans le Grec axores, comme

+ L. 7. pag. 444.

qui

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