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de bien peindre les chofes, & de les faire voir clairement. Il y a pour tant cela de commun, qu'on tend à émouvoir en l'une & en l'autre

rencontre.

*Mere cruelle, arrête, éloigne de mes yeux
Ces Filles de l'Enfer, ces spectres odieux.
Ils viennent: je les voi: mon fupplice s'apprête.
Quels horribles ferpens leur fiflent fur la tête!

2

Et ailleurs +:

Où fuirai je? Elle vient: Fe la voi. Je fuis mort.

Le Poëte en cet endroit ne voïoit pas les Furies: cependant il en fait une image fi naïve, qu'il les fait prefque voir aux Auditeurs. Et veritablement 3 je ne faurois pas bien dire fi Euripide eft auffi heureux à exprimer les autres paffions: mais pour ce qui regarde l'amour & la fureur, c'eft à quoi il s'eft étudié particulierement, & il y a fort bien réüffi. Et même en d'autres rencontres il ne manque pas quelquefois de hardieffe à peindre les chofes. Car bien que fon efprit de luimême ne foit pas porté au Grand', il corrige fon naturel, & le force d'être tragique & relevé, principalement dans les grans fujets: de forte qu'on lui peut appliquer ces Vers du Poëte:

A l'aspect du peril, au combat il s'anime:

REMAR QUE S

CHAP. XIII. r. En l'une & en l'autre rencontre.] Je préférerois, en l'un & l'autre Art. Voiez ce qu'en dit Porphyre de Abftinentia Animalium lib. 11. C. XLI TO ROINTIKOV Werstixavos Tás úzоańkus Tāv arbetar tŷ xeñotal eg wees ἔκπληξιν, καὶ γοητείαν πεποιημένη, κήλησέν τ' ἐμποιησαι, καὶ πίειν περὶ τῶν ἀδυνάτων. TOLLIUS.

CHANGEMENT. 2. Quels horribles ferpens.] Mille horribles ferpens, avant l'édition de 1694.

3. Je ne faurois pas bien dire.] Monfieur Defpréaux s'eft ici fervi du texte corrompu; où il y avoit row irigos, au lieu d' gi c'est-àdire, fi Euripide n'eft pas plus heureux qu'aucun autre à exprimer les paffions de l'amour & de la fureur, à quoi il s'est étudié avec une application très-particulière.

TOLLIUS.

4. Les yeux étincelans.] J'ai ajoûté ce vers que j'ai pris dans le texte d'Homère, BOILEAU.

Paroles d'Euripide, dans fon Orefte, V. 255. + Euripide, Iphigénie en Tauride, Y, 290,

Et

5. Prens garde qu'une ardeur trop fiefte à ta vie.J Je trouve quelque chofe de noble & de beau dans le tour de ces quatre vers: il me femble pourtant, que lors que le Soleil dit, au deffus de la Libye, le fillon n'étant point arrosé d'eau, n'a jamzis rafraich mon char, il parle plutôt comme un homme qui pouffe fon char à travers champs, que comme un Dieu qui éclaire la terre. Monfieur Defpréaux a fuivi ici tous les autres Interprètes, qui ont expliqué ce paffage de la même manière, mais je croi qu'ils fe font fort éloignez de la penfée d'Euripide, qui dit: Marche & ne te laiffe point emporter dans l'air de Libye, qui n'aiant aucun mélange d'humidité, laiffera tomber ton char. C'étoit l'opinion des Anciens qu'un mélange humide fait la force & la folidité de l'air. Mais ce n'eft pas ici le lieu de parler de leurs principes de Phyfique, DACIER.

Iliad. 20. F. 170

Et le pail heriffe, 4 les jeux étincelans,

De fa queuë il se bat les côtez & les flancs.

Comme on le peut remarquer dans cet endroit*, où le Soleil parle ainfi à Phaeton, en lui mettant entre les mains les rênes de fes Chevaux:.

? Prens garde qu'une ardeur trop funefte à ta vie
Ne t'emporte au deffus de l'aride Libye.
Là jamais d'aucune eau le fillon arrosé
Ne rafraichit mon char dans fa course embrase.

Et dans ces Vers fuivans:

Auffi-tôt devant toi s'offriront fept Etoiles.
Dresse par là ta courfe, & fui le droit chemin.
Phaëton, à ces mots, prend les rênes en main ;
De fes chevaux aîlez il bat les flancs agiles.
Les courfiers du Soleil à fa voix font dociles:

Ils vont: le char s'éloigne, & plus prompt qu'un éclair,
Pénètre en un moment les vaftes champs de l'air.
Le Pere cependant, plein d'un trouble funefte,
Le voit rouler de loin fur la plaine céleste;

Lui montre encor fa route, & du plus haut des Cieux,

REMA R QUE S

6. Et du plus haut des Cieux.] Le Grec porte,. au deffus de la Canicule; x151 võru Zeigsty Bebas, TV Le Soleil à cheval monta au deffus de la Canicule. Je ne voi pas pourquoi Rutgerfius, & Monfieur le Févre, veulent changer cet endroit, puifqu'il eft fort clair, & ne veut dire autre chofe, finon que le Soleil monta au deffus de la Canicule, c'eft-à-dire dans le centre du Ciel, où les Aftrologues tiennent que cet Aftre eft placé, & comme j'ai mis, au plus haut des Cieux; pour voir marcher Phaeton, & que de là il lui crioit encore Va par là, revien, détourne, &c. Bo I

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Le

pas pourquoi Rutgerfius & Monfieur le Févre
veulent changer cet endroit qui eft fort clair. Pre--
mierement ce n'eft point Monfieur le Févre, qui
a voulu changer cet endroit au contraire il fait
voir le ridicule de la correction de Rutgerfius*,
qui lifoit Zugaís, au lieu de Eugis. Il a dit feu
lement qu'il faut lire Espis & cela eft fans diffi-
culté, parce que le penultième pied de ce vers
doit être un ïambe, es. Mais cela ne change
rien au fens. Au refte, Euripide, à mon avis,
n'a point voulu dire que le Soleil à cheval monta
au deffus de la Canicule; mais plutôt que le Soleil -
pour fuivre fon fils monta à cheval für un Aftre
qu'il appellé Esler, Sirium, qui eft le nom géne--
ral de tous les Aftres, & qui n'eft point du tout ici
la Canicule: ne doit point être conftruit avec
ra, il faut le joindre avec le verbe azw, dù

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1

Le fuit autant qu'il peut, de la voix & des yeux,

Va par là, lui dit-il: revien: détourne: arrête.

Ne diriez-vous pas que l'ame du Poëte monte fur le char avec Phaëton, qu'elle partage tous fes perils, & qu'elle vole dans l'air avec les chevaux? car s'il ne les fuivoit dans les Ĉieux, s'il n'assistoit à tout ce qui s'y paffe, pourroit-il peindre la chofe comme il fait? Il en eft de même de cet endroit de fa Caffandre*, qui commence par

Mais, o braves Troïens; &c.

7 Eschyle a quelquefois auffi des hardieffes & des imaginations tout-à-
nobles & heroïques, comme on le peut voir dans fa Tragédie intituléc,
Les Sept devant Thèbes, où un Courrier venant apporter à Etéocle la
nouvelle de ces fept Chefs, qui avoient tous impitoïablement juré, pour
ainsi dire, leur propre mort, s'explique ainsi :

Sur un bouclier noir fept Chefs impitoïables
Epouvantent les Dieux de fermens effroïables:
Près d'un Taureau mourant qu'ils viennent d'égorger,
Tous,la main dans le fang, jurent de se venger.
Ils en jurent la Peur, le Dieu Mars, & Bellone.

REM A R QUE S

vers fuivant, de cette manière: Пarig de Beßas
vûra Zueis inteve bõige, zaïda vederav; Le Soleil
monté fur un Aftre, alloit après fon fils, en lui criant,
c. Et cela est beaucoup plus vrai-femblable,
que de dire que le Soleil monta à cheval pour aller
feulement au centre du Ciel au deffus de la Cani-
cule, & pour crier de là à fon fils & lui enfei
gner le chemin. Ce centre du Ciel eft un peu
trop éloigné de la route que tenoit Phaeton. Da-

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Au

fort de l'enflure, ou plutôt de l'enthousiasme qui
va trop loin, & qui felon l'expreffion de Quinti-
lien, rend le Poëte grandiloquum ufque ad vitium.
Car c'eft de lui que Longin a tiré cette belle re-
marque. Mais je ne trouve pas que Longin ait
ici autant de raifon qu'il croit, de préférer cet
adouciffement d'Euripide à l'expreffion trop rude,
comme il l'appèle, mal polie d'Efchyle. Car
c'étoit le fentiment univerfel de prefque tous les
Païens, que dans les apparitions des Dieux tout
fe mouvoit & trembloit, non feulement les édi-
fices & les palais, mais les montagnes même. Et
voici ce que Claudien dit à cet égard des temples,
lib. 1. de raptu Proferpina:

Fam mibi cernuntur trep dis delubra moveri
Sedibus, clarum difpergere culmina lumen
Adventum teftata Dei.

Virgile dit le même des montagnes; libro vi. Æs.

Ecce autem primi fub lumina folis & ortus

Sab

8

Au refte, bien que ce Poëte, pour vouloir trop s'élever, tombe affez fouvent dans des penfées rudes, groffieres & mal polies, Euripide néanmoins, par une noble émulation, s'expofe quelquefois aux mêmes perils. Par exemple, dans Efchyle*, le Palais de Lycurgue eft émû, & entre en fureur à la vûë de Bacchus :

9 Le Palais en fureur mugit à fon afpect.

Euripide emploie cette même pensée d'une autre manière, en l'adoucif

fant néanmoins:

La Montagne à leurs cris répond en mugʻissant.

Sophocle n'eft pas moins excellent à peindre les chofes, comme on le peut voir dans la defcription qu'il nous a laiffée d'Oedipe mourant, & s'enfeveliffant lui-même au milieu d'une tempête prodigieufe; & dans cet endroit, où il dépeint l'apparition d'Achille fur fon tombeau, dans le moment que les Grecs alloient lever l'ancre. Je doute néanmoins pour cette apparition, que jamais perfonne en ait fait une description plus vive que Simonide. Mais nous n'aurions jamais fait, fi nous voulions étaler iei tous les exemples que nous pourrions rapporter à ce propos.

Pour retourner à ce que nous difions, les Images dans la Poëfie

REMA R Q U E S

Sub pedibus mugire folum, juga cœpta moveri
Silvarum; vifaque canes ululare per umbram,

Adventante Dea.

De forte que cette apparition ne fe faifoit jamais fans quelque prodige, ou, comme les Grecs le nomment, desig. Mais, comme je l'ai dit dans mes remarques Latines, ce n'eft ni toute la penfée, ni le mot Esσia, comme Monfieur le Févre a crù, mais le feul mot Banxus, qui deplait à Longin; & cela, parce qu'il n'a pas tant de douceur, & ne nous donne pas une idée fi délicate que le mot συμβακχεύει: qui marque un mouvement libre, agréable, & qui vient d'une volonté emportée plutôt par la joie que lui caufe la vie d'un fi grand Dieu, que par l'effort ou par la préfence de fa Divinité. TOLLIUS.

9. Le Palais en fureur mugit à son aspect.] Le mot mugir ne me paroît pas affez fort pour exprimer feul le ieri, & le Baxxsúv d'Efchyle; car ils ne fignifient pas feulement mugir, mais fe remuer avec agitation, avec violence. Quoique ce foit une folie de vouloir faire un vers mieux que Mon

Lycurgue Tragedie perdue

font

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La Montagne s'ébranle, & répond à leurs cris. D'ACIER..

10. Les Images dans la Poëfie font pleines ordinairement d'accidens fabuleux.] C'est le fens que tous les Interprètes ont donné à ce paffage: mais je ne croi pas que s'ait été la penfée de Longin; car il n'eft pas vrai que dans la Poëfre les images foient ordinairement pleines d'accidens, elles n'ont en cela rien qui ne leur foit commun avec les images de la Rhétorique. Longin dit fimplement, que dans la Poëfie les images font pouffées à un excès fabuleux & qui passe toute forte de créance. DA CIER.

font pleines ordinairement d'accidens fabuleux, & qui paffent toute forte de croïance; au lieu que dans la Rhétorique le beau des Images, c'est de représenter la chofe comme elle s'eft paffée, & telle qu'elle eft dans la verité. Car une invention Poëtique & fabuleuse, dans une Oraison, traîne néceffairement avec foi " des digreffions groffieres & hors de propos, & tombe dans une extrème abfurdité. C'eft pourtant ce que cherchent aujourd'hui nos Orateurs; ils voient quelquefois les Furies, ces grans Örateurs, auffi bien que les Poëtes tragiques; & les bonnes gens ne prennent pas garde que lors qu'Orefte dit dans Euripide:

* Toi qui dans les Enfers me veux précipiter,

Deeffe, ceffe enfin de me perfecuter.

Il ne s'imagine voir toutes ces chofes, que parce qu'il n'eft pas dans fon bon fens. Quel eft donc l'effet des Images dans la Rhétorique? C'est qu'outre plufieurs autres proprietez, elles ont cela qu'elles animent & échauffent le Difcours. Si bien qu'étant mêlées avec art dans les preuves, elles ne perfuadent pas feulement, mais elles domptent, pour ainfi dire, elles foumettent l'Auditeur. 12 Si un homme, dit un Orateur, a entendu un grand bruit devant le Palais, & qu'un autre à même tems vienne annoncer que les prifons font ouvertes, & que les prifonniers de guerre fe fauvent; il n'y a point de vieillard fi chargé d'années, ni de jeune homme fi indifferent, qui ne coure de toute fa force au fecours. Que fi quelqu'un,fur ces entrefaites, leur montre l'auteur de ce defordre, c'est fait de ce malheureux; il faut qu'il periffe fur le champ, & on ne lui donne pas le tems de parler.

pe,

REMARQVE S.

11. Des digreffions groffieres.] Ce n'eft pas toutà-fait le fentiment de Longin. Si je ne me tromil auroit falu le traduire de cette manière: Car c'eft une terrible faute, & tout-à-fait extravagante, de fe fervir dans celle-là des images & des fictions Poetiques & fabuleuses, qui font tout-à-fait impoffibles. Quand on prendra la peine de regarder mes remarques Latines, & de les conferer avec ma traduction, on y verra plus de jour. ToL

LIUS.

12. Si un homme &c.] Ciceron s'eft très-bien fervi de cet endroit, quand il dit (1. IV. contra Verrem c. XL111.) Intereà ex clamore fama tota urbe percrebuit, expugnari Deós patrios, non hoftium adventu inopinato, neque repentino pradonum impetu, fed ex domo atque coborte pratoria manum fugitivo

Orefte, Tragédie, V. 264.

Hype

rum inftruétam armatamque venisse. Nemo Agrigenti neque atate tam affectâ, neque viribus tam infirmis fuit, qui non illa nocte eo nuntio excitatus furrexerit, telumque, quod cuique fors offerebat, arripuerit. Itaque brevi tempore ad fanum ex tota urbe concurritur. TOLLIUS.

13. Ce n'eft point, dit-il, un Orateur qui a fait paffer cette Loi, c'eft la bataille, c'est la défaite de Cheronée.] Pour conferver l'image que Longin a voulu faire remarquer dans ce paffage d'Hyperide il faut traduire: Ce n'eft point, dit-il, un Orateur qui a écrit cette Loi, c'eft la bataille, c'est la défaite de Cheronée. Car c'eft en cela que confifte l'image. La bataille a écrit cette Loi. Au lieu qu'en difant, la bataille a fait paffer cette Loi, on ne conferve plus l'image, ou elle eft du moins fort peu

fenk

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