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mer.

Qu'est-ce qu'une penfée neuve, brillante, extraordinaire ? Ce n'est point, comme fe le perfuadent les Ignorans, une pensée que perfonne n'a jamais euë, ni dû avoir. C'eft au contraire une penfée qui a dû venir à tout le monde, & que quelcun s'avife le premier d'expriUn bon mot n'eft bon mot qu'en ce qu'il dit une chofe que chacun penfoit, & qu'il la dit d'une maniere vive, fine & nouvelle. Confiderons, par éxemple, cette replique fi fameufe de Louis Douzième à ceux de fes Miniftres qui lui confeillerent de faire punir plufieurs perfonnes, qui, fous le regne précedent, & lors qu'il n'étoit encore que Duc d'Orleans, avoient pris à tâche de le deffervir. Un Roi de France, leur répondit-il, ne vange point les injures d'un Duc d'Orleans. D'où vient que ce mot frappe d'abord? N'eft-il pas aifé de voir que c'eft parce qu'il préfente aux yeux une vérité que tout le monde fent, & qu'il dit mieux que tous les plus beaux difcours de Morale, Qu'un grand Prince, lors qu'il eft une fois fur le Trône, ne doit plus agir par des mouvemens particuliers, ni avoir d'autre vûë que gloire & le bien general de fon Etat? Veut-on voir au contraire combien une pensée fauffe eft froide & puerile? Je ne faurois raporter un éxemple qui le faffe mieux fentir, que deux Vers du Poëte Théophi le, dans fa Tragedie intitulée, Pyrame &Thisbé, lorsque cette malheureuse Amante aïant ramaffé le poignard encore tout fanglant dont Pyrame s'étoit tué, elle querelle ainsi ce poignard,

Ah! voici le poignard, qui du sang de fon Maitre
S'eft fouillé lâchement. Il en rougit, le Traître.

lav

Toutes les glaces du Nord ensemble ne font pas, à mon fens, plus froides que cette penfée. Quelle extravagance, bon Dieu! de vouloir que la rougeur du fang, dont eft teint le poignard d'un Homme qui vient de s'en tuer lui-même, foit un effet de la honte qu'a ce poignard de l'avoir tué? Voici encore une penfée qui n'eft pas moins fauffe, ni par conféquent moins froide. Elle eft de Benferade, dans fes Métamorphofes en Rondeaux, où parlant du Déluge envoïé par

REMARQUE S.

& c'eft ce qui a caufé l'erreur für les dattes de tous fes Ouvrages, dans la lifte qu'on en avoit donnée au commencement de l'Edition poftume de 1713. après la Préface. Voïez ciaprès la Remarque fur l'Epigramme 55. [Le Commentateur avance un peu trop legerement que la Réponse qu'il attribue à Mr.Defpréaux, l'a obligé toutes les fois qu'il a eu occafion de parler de fa naissance, de la mettre

les

en 1637. Car pour ne donner qu'un exemple du contraire, dans l'Epître X. composée en 1695. vers 98. notre Poëte dit qu'il perdit fon Pere à l'âge de feize ans. Or le Commentateur remarque fur ce même vers (& ailleurs) que le Pere de Mr. Defpréaux mourut en 1657. Mr. Defpréaux met donc ici fa naissance en 1640. ou 1641. ADD. de l'Ed.. d'Amst.]

les Dieux, pour châtier l'infolence de l'Homme, il s'exprime ainsi: Dieu lava bien la tête à fon Image.

Peut-on, à propos d'une auffi grande chofe que le Déluge, dire rien de plus petit, ni de plus ridicule que ce quolibet, dont la penfée est d'autant plus fauffe en toutes manieres, que le Dieu dont il s'agit en cet endroit, c'eft Jupiter, qui n'a jamais paffé chez les Paiens pour avoir fait l'Homme à fon image: l'Homme dans la Fable étant, comme tout le monde fait, l'ouvrage de Promethée.

:

Puis qu'une penfée n'eft belle qu'en ce qu'elle eft vraie; & que l'effet infaillible du Vrai, quand il eft bien énoncé, c'eft de fraper lės Hommes, il s'enfuit que ce qui ne frape point les Hommes, n'est ni beau ni vrai, ou qu'il eft mal énoncé: & que par conféquent un Ouvrage qui n'eft point goûté du Public, eft un très-méchant Ouvrage. Le gros des Hommes peut bien, durant quelque tems, prendre le faux pour le vrai, & admirer de méchantes chofes mais il n'eft pas poflible qu'à la longue une bonne chofe ne lui plaife; & je défie tous les Auteurs les plus mécontens du Public, de me citer un bon Livre que le Public ait jamais rebuté: à moins qu'ils ne mettent en ce rang leurs Ecrits, de la bonté desquels eux feuls font perfuadez. J'avoue néanmoins, & on ne le fauroit nier, que quelquefois, lors que d'excellens Ouvrages viennent à paroître, la Cabale & l'Envie trouvent moïen de les rabaiffer, & d'en rendre en apparence le fuccès douteux: mais cela ne dure guères; & il en arrive de ces Ouvrages comme d'un morceau de bois qu'on enfonce dans l'eau avec la main: il demeure au fond tant qu'on l'y retient, mais bien-tôt la main venant à fe laffer, il fe relève & gagne le deffus. Je pourrois dire un nombre infini de pareilles chofes fur ce fujet, & ce feroit la matiere, d'un gros Livre: mais en voilà affez, ce me femble, pour marquer au Public ma reconnoiffance, & la bonne idée que j'ai de fon goût & de fes jugemens.

2

Parlons maintenant de mon Edition nouvelle. C'eft la plus correcte qui ait encore paru; & non feulement je l'ai revue avec beaucoup de foin, mais j'y ai retouché de nouveau plufieurs endroits de mes Ouvrages. Car je ne fuis point de ces Auteurs fuians la peine, qui ne fe croient plus obligez de rien raccommoder à leurs Ecrits, dès qu'ils les ont une fois donnez au Public. Ils alleguent pour ex

REMARQUES.

2 Et d'en rendre. . . . le fuccès douteux Mr. Defpréaux citoit pour exemples, l'Ecole des Femmes de Moliere, & la Phèdre de Mr.

Racine.

cufer

3 De mon Edition nouvelle.] Celle de 1701. pour laquelle cette Préface fut faite.

cufer leur pareffe, qu'ils auroient peur, en les trop remaniant, de les affoiblir, & de leur ôter cet air libre & facile, qui fait, difentils, un des plus grands charmes du difcours: mais leur excuse, à mon avis, est très-mauvaise. Ce font les Ouvrages faits à la hâte, &, comme on dit, au courant de la plume, qui font ordinairement fecs, durs, & forcez. Un Ouvrage ne doit point paroître trop travaillé, mais il ne fauroit être trop travaillé, & c'eft fouvent le travail même, qui en le poliffant lui donne cette facilité tant vantée qui charme le Lecteur. Il y a bien de la difference entre des Vers faciles, & des Vers facilement faits. Les Ecrits de Virgile, quoi qu'extraordinairement travaillez, font bien plus naturels que ceux de Lucain, qui écrivoit, dit-on, avec une rapidité prodigieufe. C'est ordinairement la peine que s'eft donnée un Auteur à limer & à perfectionner fes Ecrits, qui fait que le Lecteur n'a point de peine en les lifant. Voiture, qui paroit fi aifé, travailloit extrèmement fes Ouvrages. On ne voit que des gens qui font aifément des chofes médiocres; mais des gens qui en faffent, même difficilement, de fort bonnes, on en trouve très-peu.

Je n'ai donc point de regret d'avoir encore emploïé quelques-unes de mes veilles à rectifier mes Ecrits dans cette nouvelle Edition, qui eft, pour ainsi dire, mon Edition favorite. Auffi y ai-je mis mon nom, que je m'étois abstenu de mettre à toutes les autres. J'en avois ainfi ufé par pure modestie: mais aujourd'hui que mes Ouvrages font entre les mains de tout le monde, il m'a paru que cette modestie. pourroit avoir quelque chofe d'affecté. D'ailleurs, j'ai été bien aife, en le mettant à la tête de mon Livre, de faire voir par là quels font précisément les Ouvrages que j'avoue, & d'arrêter, s'il eft poffible, le cours d'un nombre infini de méchantes Pièces, qu'on répand par tout fous mon nom, & principalement dans les Provinces & dans les Païs étrangers. J'ai même, pour mieux prévenir cet inconvénient fait mettre au commencement de ce volume, une lifte éxacte & détaillée de tous mes Ecrits; & on la trouvera immédiatement après cette Préface. Voilà de quoi il eft bon que le Lecteur foit inftruit.

Il ne reste plus préfentement qu'à lui dire quels font les Ouvrages dont j'ai augmenté ce volume. Le plus confiderable eft une onzième Satire, que j'ai tout récemment compofée, & qu'on trouvera à la fuite des dix précedentes. Elle eft adreffée à Monfieur de Valincour, mon illuftre Affocié à l'Hiftoire. J'y traite du vrai & du faux Honneur, & je l'ai composée avec le même foin que tous mes autres Ecrits.

REMARQUES.

4 Une lifte.... de tous mes Ecrits.] Elle étoit differente de celle qui depuis a été mife

Tom. I..

dans l'Edition de 1713. & dont on a parlé dans la Remarque I. fur cette Préface.

C

crits. Je ne faurois pourtant dire fi elle eft bonne ou mauvaise: carje ne l'ai encore communiquée qu'à deux ou trois de mes plus intimes Amis, à qui même je n'ai fait que la réciter fort vîte, dans la peur qu'il ne lui arrivât ce qui eft arrivé à quelques autres de mes Pièces, que j'ai vû devenir publiques avant même que je les euffe mifes fur le papier: plufieurs perfonnes, à qui je les avois dites plus d'une fois, les aïant retenues par cœur, & en aiant donné des copies. C'est donc au Public à m'apprendre ce que je dois penfer de cet Ouvrage, ainfi que de plufieurs autres petites Pièces de Poefie qu'on trouvera dans cette nouvelle Edition, & qu'on y a mêlées parmi les Epigrammes qui y étoient déja. Ce font toutes bagatelles, que j'ai la plupart compofées dans ma plus tendre jeuneffe, mais que j'ai un peu rajustées, pour les rendre plus fupportables au Lecteur. J'y ai fait auffi ajoûter deux nouvelles Lettres, l'une que j'écris à Monfieur Perrault, & où je badine avec lui fur notre démêlé Poëtique, prefque auffi-tôt éteint qu'allumé. L'autre eft un Remercîment à Mr. le Comte d'Ericeyra, au fujet de la Traduction de mon Art Poëtique faite par lui en Vers Portugais, qu'il a eu la bonté de m'envoïer de Lisbone, avec une Lettre & des Vers François de fa compofition, où il me donne des louanges très-délicates, & aufquelles il ne manque que d'être appliquées à un meilleur fujet. J'aurois bien voulu pouvoir m'acquitter de la parole que je lui donne à la fin de ce Remercîment, de faire imprimer cette excellente Traduction à la fuite de mes Poëfies; mais malheureusement un de mes Amis, à qui je l'avois prêtée, m'en a égaré le premier Chant; & j'ai eu la mauvaise honte de n'ofer récrire à Lisbone pour en avoir une autre copie. Ce font-là à peu près tous les Ouvrages de ma façon, bons ou méchans, dont on trouvera ici mon Livre augmenté. Mais une chofe qui fera fûrement agréable au Public, c'est le préfent que je lui fais dans ce même Livre, de la Lettre que le célèbre Monfieur Arnauld a écrite à Monfieur Perrault à propos de ma dixième Satire, & où, comme je l'ai dit dans l'Epître à mes Vers, il fait en quelque forte mon apologie. Je ne doute point que beaucoup de gens ne m'accufent de témerité, d'avoir ofé affocier à mes Ecrits les Ouvrages d'un fi excellent Homme; & j'avouë que leur accufation eft bien fondée. Mais le moïen de réfifter à la tentation de montrer à toute la Terre, comme je le montre en effet par l'impreffion de cette Lettre, que ce grand Perfonnage me faifoit l'honneur de m'estimer, & avoit la bonté meas effe aliquid putare nugas?

Au refte, comme malgré une apologie fi authentique, & malgré les bonnes raisons que j'ai vingt fois alleguées en Vers & en Profe, il y a

REMARQUES.

en

5 Un de mes Amis.] Mr. l'Abbé Regnier-Definarais, Secretaire de l'Académie Françoise.

encore des gens qui traitent de médisances les railleries que j'ai faites de quantité d'Auteurs modernes, & qui publient qu'en attaquant les défauts de ces Auteurs, je n'ai pas rendu justice à leurs bonnes qualitez; je veux bien, pour les convaincre du contraire, répeter encore ici les mêmes paroles que j'ai dites fur cela dans la Préface de mes deux Editions précedentes. Les voici. Il eft bon que le Lecteur foit averti d'une chofe; c'est qu'en attaquant dans mes Ouvrages les défauts de plufieurs Ecrivains de notre fiecle, je n'ai pas prétendu pour cela ôter à ces Ecrivains le mérite & les bonnes qualitez qu'ils peuvent avoir d'ailleurs. Je n'ai pas prétendu, dis-je, nier que Chapelain, par exemple, quoique Poëte fort dur, n'ait fait autrefois, jene fai comment, une affez belle Ode; & qu'il n'y ait beaucoup d'efprit dans les Ouvrages de Monfieur Quinaut, quoique fi éloigné de la perfection de Virgile. J'ajoûterai même fur ce dernier, que dans le tems où j'écrivis contre lui, nous étions tous deux fort jeunes, & qu'il n'avoit pas fait alors beaucoup d'Ouvrages, qui lui ont dans la fuite acquis une jufte réputation. Je veux bien auffi avouer qu'il y a du génie dans les Ecrits de Saint Amand, de Brébeuf, de Scuderi, de Cotin même, & de plufieurs autres que j'ai critiquez. En un mot, avec la même fincerité que j'ai raillé de ce qu'ils ont de blamable; je fuis prêt à convenir de ce qu'ils peuvent avoir d'excellent. Voilà, ce me femble, leur rendre justice, & faire bien voir que ce n'eft point un esprit d'envie & de médifance qui m'a fait écrire contre eux.

Après cela, fi on m'accufe encore de médifance, je ne fai point de Lecteur qui n'en doive auffi être accufé, puis qu'il n'y en a point qui ne dife librement fon avis des Ecrits qu'on fait imprimer, & qui ne se croie en plein droit de le faire, du confentement même de ceux qui les mettent au jour. En effet, qu'eft-ce que mettre un Ouvrage au jour ? N'est-ce pas en quelque forte dire au Public, Jugez-moi ? Pourquoi donc trouver mauvais qu'on nous juge? Mais j'ai mis tout ce raisonnement en rimes dans ma neuvième Satire, & il fuffit d'y renvoier mes Cenfeurs.

REMARQUES.

6 De mes deux Editions précedentes.] De 1683. & 1694.

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