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55 Mais je ne puis fouffrir, qu'un Esprit de travers,
Qui pour rimer des mots pense faire des vers,
Se donne en Te loüant une gêne inutile.

Pour chanter un Augufte, il faut être un Virgile.
Et j'approuve les foins du Monarque guerrier,
60 Qui ne pouvoit fouffrir qu'un Artifan groffier
Entreprît de tracer, d'une main criminelle,
Un portrait réservé pour le pinceau d'Apelle.

Moi donc, qui connois peu Phébus & fes douceurs,
Qui fuis nouveau fevré fur le mont des neuf Sœurs:
65 Attendant que pour Toi l'âge ait mûri ma Muse,
Sur de moindres fujets je l'éxerce & l'amuse:
Et tandis que ton bras, des peuples redouté,
Va, la foudre à la main, rétablir l'équité,
Et retient les Méchans par la peur des fupplices:
70 Moi, la plume à la main, je gourmande les vices;
Et gardant pour moi-même une jufte rigueur,
Je confie au papier les fecrets de mon cœur.
Ainfi, dès qu'une fois ma verve se réveille,
Comme on voit au printems la diligente abeille,
75 Qui du butin des fleurs va composer son miel,
Des fottifes du tems je compofe mon fiel.
Je vais de toutes parts où me guide ma veine,
Sans tenir en marchant une route certaine,

REMARQUES.

tes, eft mis en oppofition avec Pelletier. Quoique le grand Corneille doive principalement fa réputation aux excellentes Tragédies qu'il a faites, il eft connu auffi par de très-beaux Poëmes qu'il a compofés à la louange du Roi; c'est à quoi on fait allufion en cet endroit.

Vers 59. Et j'approuve les foins du Monarque guerrier.] Alexandre le Grand n'avoit permis qu'à Apelle de le peindre, à Lyfippe de faire fon image en bronze, & à Pyrgotèle de la graver fur des pierres précieufes: il étoit défendu à tout autre de faire le portrait ou l'effigie d'Alexandre. Plin. 37. nat. hift. 1. L'Empereur Augufte fit avertir les Magiftrats

de ne pas fouffrir que fon nom fût avili, en le faifant fervir de matière aux difputes pour les prix de profe & de vers. Suet. c.89.

IMITATIONS. Vers 60. Qui ne pouvoit fouffrir &c.] Horace 2. Ep. 1.vf. 239.

Edicto vetuit,ne quis fe, præter Apellem,
Pingeret; aut alius Lyfippo duceret ara
Fortis Alexandri vultum fimulantia.

Vers 67. Et tandis que ton bras. ... Va la foudre à la main.] Le Bras eft employé ici pour la Perfonne même: la Partie pour le Tout. Ainfi, c'eft mal-à-propos que l'on a condamné cette expreffion. Mais il faut être Poëte, difoit l'Auteur, & fentir les beautés de la Poëfie, pour justifier cette faute, qui n'en

eft

Et, fans gêner ma plume en ce libre métier, 80 Je la laiffe au hazard courir fur le papier.

Le mal eft, qu'en rimant, ma Muse un peu légère
Nomme tout par fon nom, & ne fauroit rien taire.
C'eft là ce qui fait peur aux Efprits de ce tems,
Qui tout blancs au dehors, font tout noirs au dedans.
85 Ils tremblent qu'un Cenfeur, que fa verve encourage,
Ne vienne en les écrits démafquer leur visage,

Et fouillant dans leurs mœurs en toute liberté,
N'aille du fond du Puits tirer la Vérité.

Tous ces gens éperdus au feul nom de Satire,
90 Font d'abord le procès à quiconque ofe rire.
Ce font eux que l'on voit, d'un discours insensé,
Publier dans Paris que tout eft renversé,

Au moindre bruit qui court, qu'un Auteur les menace
De jouer des Bigots la trompeuse grimace.

95 Pour eux un tel ouvrage eft un monftre odieux ;
C'eft offenfer les Loix, c'eft s'attaquer aux Cieux.
Mais bien que d'un faux zele ils mafquent leur foibleffe,
Chacun voit qu'en effet la Vérité les blesse.
En vain d'un lâche orgueil leur efprit revétu

100 Se couvre du manteau d'une auftere vertu:

Leur cœur qui fe connoit, & qui fuit la lumiere,
S'il fe moque de Dieu, craint Tartuffe & Moliere.

REMARQUES.

eft pas une. Il la juftifioit par ce beau vers de M.Racine, dans la dernière Scène de Mithridate:

Et mes derniers regards ont vû fuir les Ro

mains.

Mes regards ont vú, eft la même chose que, le bras qui va la foudre à la main.

IMITATIONS. Vers 72. Je confie au papier &c.] Horace, parlant du Poëte Lucilius: Ille, velut fidis arcana fodalibus, olim Credebat libris. L.2.Sat. 1.vf. 30. CHANGEMENT. Vers 75. Qui du butin des fleurs va compofer fon miel.] C'eft ainfi que. l'Auteur a corrigé dans l'édition de 1674. Dans les précedentes éditions on lifoit:

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Vers 88. N'aille du fond du Puits tirer la Vérité.] Démocrite difoit que la Vérité étoit au fond d'un Puits, & que perfonne ne l'en avoit encore pû tirer.

Vers 93. Qu'un Auteur les menace, &c.] En 1664. Moliere compofa fon Tartufe; mais la Cabale des faux Dévots porta le Roi à défendre la représentation de cette Comédie: & cette défense fubfifta jufqu'en l'année 1669.

Mais pourquoi fur ce point fans raison m'écarter? GRAND ROI, c'est mon défaut, je ne saurois flatter. 105 Je ne fai point au Ciel placer un Ridicule,

D'un Nain faire un Atlas, ou d'un Lâche un Hercule, Et fans ceffe en esclave à la fuite des Grands, A des Dieux fans vertu prodiguer mon encens. On ne me verra point d'une veine forcée, 110 Même pour Te louer, déguiser ma pensée:

115

Et quelque grand que foit ton pouvoir fouverain,
Si mon cœur en ces vers ne parloit par ma main,
Il n'est espoir de biens, ni raison, ni maxime,
Qui pût en ta faveur m'arracher une rime.

Mais lorsque je Te voi, d'une fi noble ardeur,
T'appliquer fans relâche aux foins de ta grandeur,
Faire honte à ces Rois que le travail étonne,
Et qui font accablés du faix de leur Couronne.
Quand je voi ta fageffe, en fes juftes projets,
120 D'une heureuse abondance enrichir tes sujets ;
Fouler aux pieds l'orgueil & du Tage & du Tibre;
Nous faire de la mer une campagne libre;

Et tes braves Guerriers fecondant ton grand cœur,
Rendre à l'Aigle éperdu fa première vigueur:
125 La France fous tes loix maîtriser la Fortune;
Et nos vaiffeaux domtant l'un & l'autre Neptune,

REMARQUES.

Vers 121. Fouler aux pieds l'orgueil & du Tage du Tibre.] Le Roi fe fit faire fatisfaction des deux infultes faites à fes Ambaffadeurs à Londres, par l'Ambaffadeur d'Efpagne, en 1661. & à Rome, par des Corfes de la Garde du Pape, en 1662.

Vers 122. Nous faire de la mer une campagne libre.] La mer fut purgée de Pirates par la victoire remportée en 1665. fur les Corfaires de Thunis & d'Alger, aux Côtes d'Afrique.

Vers 124. Rendre à l'Aigle éperdu &c.]En 1664. les Troupes que le Roi envoya au se

cours de l'Empereur, défirent les Turcs fur les bords du Raab.

Vers 128. Aux lieux où le Soleil le forme en fe levant.] En l'année 1665. le Roi établit la Compagnie des Indes Orientales, à laquel- . le Sa Majefté accorda de grands privilèges, fournit des fommes confiderables, & prêta des vaiffeaux pour le premier embarquement.

Où le Soleil le forme &c.] Dans l'édition de 1674. on avoit mis: Où le Soleil fe forme en fe levant. Cette faute d'impreffion eft remarquable.

Nous aller chercher l'or, malgré l'onde & le vent, Aux lieux où le Soleil le forme en fe levant. Alors, fans confulter fi Phébus l'en avouë, 130 Ma Muse toute en feu me prévient & Te louë. Mais bien-tôt la Raifon arrivant au fecours, Vient d'un fi beau projet interrompre le cours, Et me fait concevoir, quelque ardeur qui m'emporte, Que je n'ai ni le ton, ni la voix affez forte. 135 Auffi-tôt je m'effraye, & mon efprit troublé Laiffe là le fardeau dont il eft accablé:

Et fans paffer plus loin, finiffant mon ouvrage, Comme un Pilote en mer, qu'épouvante l'orage, Dès que le bord paroît; fans fonger où je fuis, 140 Je me fauve à la nage, & j'aborde où je puis,

REMARQUES.

IMITATIONS. Vers 138. Comme un Pilote en mer, &c.] Le Bembe a dit dans une Lettre à Hercule Strozzi: Equidem in his concludendis Elegis, feci idem quod Nautæ folent, qui tem

peftate coacti, non eum portum capiunt quem petunt, fed ad illum qui proximus eft, deferuntur. P. Bembus, Epift. L. 3.

SATIRES.

SATIRES.

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