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SATIRE VI.

UI frappe l'air, bon Dieu! de ces lugubres cris? Eft-ce donc pour veiller qu'on fe couche à Paris? Et quel fâcheux Démon, durant les nuits entieres Raffemble ici les chats de toutes les goutieres? 5 J'ai beau fauter du lit plein de trouble & d'effroi; Je pense qu'avec eux tout l'Enfer eft chez moi. L'un miaule en grondant comme un tigre en furie: L'autre roule fa voix comme un enfant qui crie. Ce n'eft pas tout encor. Les fouris & les rats

10 Semblent, pour m'éveiller, s'entendre avec les chats Plus importuns pour moi, durant la nuit obfcure, Que jamais, en plein jour, ne fut l'Abbé de Pure. Tout confpire à la fois à troubler mon repos : Et je me plains ici du moindre de mes maux. 15 Car à peine les coqs, commençant leur ramage, Auront de cris aigus frappé le voisinage: Qu'un affreux Serrurier, laborieux Vulcain, Qu'éveillera bientôt l'ardente foif du gain, Avec un fer maudit, qu'à grand bruit il apprête, 20 De cent coups de marteau me va fendre la tête.

REMARQUES.

Cette Satire contient la defcription des en- Cogs &c.] Martial L. IX. Ep. LXIX.

'barras de Paris. Elle a été composée dans le même tems que la Satire I. dont elle faifoit partie, comme on l'a expliqué ci-devant. C'est une imitation de la Satire III. de Juvénal, qui décrit les incommodités de la ville de Rome, depuis le vers 232. jufqu'à la fin. Martial a fait une Epigramme fur le même fujet. L.XII. 57.

IMITATIONS. Vers 2. Eft-ce donc pour veiller qu'on fe couche à Paris.] Juvénal III.232. Plurimus hic ager moritur vigilando. Vers 12. L'Abbé de Pure] Ennuïeux célèbre. Voïez la remarque fur le vers 18. de la Satire II.

IMITATIONS. Vers 15. Car à peine les

Nondum criftati rupêre filentia galli;

Murmure jam fævo verberibusque tonas. Tam grave percuffis incudibus ára refultant, &c.

CHANGEMENT. Vers 17. Qu'un affreux Serrurier, &c.] Dans toutes les éditions qui ont paru pendant la vie de l'Auteur, il y

avoit:

Qu'un affreux Serrurier, que le Ciel en

CourrouxX

A fait pour mes pechez trop voifin de chez

nous.

Il changea ces deux vers dans l'édition qui fut commencée avant fa mort, & qui parut en 1713.

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J'entens déja par tout les charrettes courir,
Les maçons travailler, les boutiques s'ouvrir:
Tandis que
dans les airs mille cloches émûës,
D'un funebre concert font retentir les nuës,
25 Et fe mêlant au bruit de la grêle & des vents,
Pour honorer les morts, font mourir les vivans.
Encor je benirois la bonté fouveraine,

30

Si le Ciel à ces maux avoit borné ma peine.
Mais fi feul en mon lit je peste avec raison,
C'est encor pis vingt fois en quittant la maison.
En quelque endroit que j'aille, il faut fendre la presse
D'un peuple d'importuns qui fourmillent fans ceffe.
L'un me heurte d'un ais, dont je suis tout froiffé.
Je vois d'un autre coup mon chapeau renversé.
35 Là d'un enterrement la funèbre ordonnance

D'un pas lugubre & lent vers l'Eglife s'avance:
Et plus loin des Laquais, l'un l'autre s'agaçans,
Font aboïer les chiens, & jurer les paffans.
Des Paveurs en ce lieu me bouchent le paffage.
40 Là je trouve une croix de funeste présage:

Et des Couvreurs, grimpez au toit d'une maison,
En font pleuvoir l'ardoife & la tuile à foifon.
Là fur une charrette une poutre branlante
Vient menaçant de loin la foule qu'elle augmente.

REMARQUES.

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fufpendre devant les maifons fur lesquelles ils travaillent; afin d'avertir les paflans de n'en pas approcher. Ce figne ou cette croix s'appèle Avertissement ou Défense. Il y a des Villes où les Couvreurs ne fufpendent qu'un fimple bâton, ou une tuile, pour fervir d'Avertiffement: Ce vers aiant befoin d'être éclairci, j'en écrivis à l'Auteur, qui me répondit ainfi par fa Lettre du 5. de Mar 1709.... 2, Je ne fai pas pourquoi vous êtes en peine du fens de ce vers: Là je trouve une croix &c. puisque c'eft une chofe que dans tout Paris & pueri fciunt, que les Couvreurs, ,, quand ils font fur le toit d'une maifon, laiffent pendre du haut de cette maifon ure croix de latte pour avertir les paffans de ", pren

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45 Six chevaux, attelez à ce fardeau pesant,
Ont peine à l'émouvoir fur le pavé glissant.
D'un caroffe en tournant il accroche une rouë;
Et du choc le renverfe en un grand tas de bouë:
Quand un autre à l'inftant, s'efforçant de paffer,
50 Dans le même embarras fe vient embarraffer.
Vingt carroffes bien-tôt arrivant à la file,

Y font en moins de rien fuivis de plus de mille:
Et pour furcroît de maux, un fort malencontreux
Conduit en cet endroit un grand troupeau de bœufs.
55 Chacun prétend paffer: l'un mugit, l'autre jure.
Des mulets en fonnant augmentent le murmure.
Auffi-tôt cent chevaux dans la foule appellez,
De l'embarras qui croît ferment les défilez,
Et par tout des Paffans enchaînant les brigades,
60 Au milieu de la paix font voir les barricades.
On n'entend que des cris pouffez confusément.
Dieu, pour s'y faire ouir, tonneroit vainement.
Moi donc, qui dois fouvent en certain lieu me rendre,
Le jour déja baiffant, & qui fuis las d'attendre,
65 Ne fachant plus tantôt à quel Saint me voüer,
Je me mets au hazard de me faire roüer.

Je faute vingt ruiffeaux, j'efquive, je me pouffe:
Guenaud fur fon cheval en paffant m'éclabouffe.

REMARQUES,

prendre garde à eux, & de paffer vite; ,, Qu'il y en a quelquefois des cinq ou fix dans une même ruë; & que cela n'empêche pas qu'il n'y ait fouvent des gens bleffez: C'eft pourquoi j'ai dit : Une croix "de funefte préfage.

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IMITATIONS. Vers 43. Là fur une charrette &c.] Juvénal, Satire III. v. 254. Modo longa corufcat, Sarraco veniente, abies, atque altera pinum Plauftra vehunt, nutant altè, populóque

minantur.

Et Horace, parlant des mêmes embarras,
L.II. Ep. II. 73.

Torquet nunc lapidem, nunc ingens machi-
na tignum, &c.

Vers 54- Un grand troupeau de bœufs.] L'ufage vicieux de quelques Provinces, où l'on prononce Boufs au pluriel, comme on le prononce au fingulier, m'oblige d'avertir que ce mot fe prononce, Beus; ainfi il rime avec Malencontreux, qui eft dans le vers précedent. On prononce auffi des Oeus, quoi qu'on écrive, Oeufs.

Vers 57. Aufi-tôt cent chevaux &c.] Ce vers & les trois fuivans n'étoient pas dans la première édition, faite en 1666.

Vers 60.
Font voir les barricades.]
L'Auteur défigne ici celles qui fe firent à
Paris, au mois d'Août, 1648. pendant la
guerre de la Fronde.

Vers 68. Guenaud fur fon cheval &c.]Gue-
H 3
naud,

Et n'ofant plus paroître en l'état où je fuis,
70 Sans fonger où je vais, je me fauve où je puis.
Tandis que dans un coin en grondant je m'effuie,
Souvent, pour m'achever, il furvient une pluie.
On diroit que le Ciel, qui fe fond tout en eau,
Veuille inonder ces lieux d'un déluge nouveau.
75 Pour traverser la ruë, au milieu de l'orage,
Un ais fur deux pavez forme un étroit paffage.
Le plus hardi Laquais n'y marche qu'en tremblant.
Il faut pourtant paffer fur ce pont chancelant.
Et les nombreux torrens qui tombent des goutieres,
80 Groffiffant les ruiffeaux, en ont fait des rivieres.
J'y paffe en trébuchant; mais malgré l'embarras,
La fraieur de la nuit précipite mes pas.

Car fi-tôt que du foir les ombres pacifiques
D'un double cadenas font fermer les boutiques,
85 Que retiré chez lui, le paifible Marchand
Va revoir fes billets, & compter fon argent;
Que dans le Marché-neuf tout eft calme & tranquille,
Les Voleurs à l'inftant s'emparent de la Ville.
Le bois le plus funefte, & le moins fréquenté,
90 Eft, au prix de Paris, un lieu de fûreté.
Malheur donc à celui qu'une affaire imprévûe
Engage un peu trop tard au détour d'une rue.

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Bien-tôt quatre Bandits, lui ferrant les côtez:
La bourfe: il faut fe rendre; ou bien non, réfiftez;
95 Afin que votre mort, de tragique mémoire,
Des maffacres fameux aille groffir l'Histoire.

Pour moi, fermant mą porte, & cedant au fommeil,
Tous les jours je me couche avecque le Soleil.
Mais en ma chambre à peine ai-je éteint la lumiere,
100 Qu'il ne m'eft plus permis de fermer la paupiere.
Des Filous effrontez, d'un coup de pistolet,
Ebranlent ma fenêtre, & percent mon volet.
J'entens crier par tout, au meurtre, on m'affaffine;
Ou, le feu vient de prendre à la maison voifine.
105 Tremblant, & demi mort, je me leve à ce bruit,
Et fouvent fans pourpoint je cours toute la nuit.
Car le feu, dont la flâme en ondes fe déploie,
Fait de notre quartier une feconde Troie;
Où maint Grec affamé, maint avide Argien,
110 Au travers des charbons va piller le Troien.
Enfin fous mille crocs la maison abîmée
Entraîne auffi le feu qui fe perd en fumée.

Je me retire donc, encor pâle d'effroi:
Mais le jour eft venu quand je rentre chez moi.

115 Je fais pour reposer un effort inutile:

Ce n'eft qu'à prix d'argent qu'on dort en cette Ville.

REMARQUES.

doublement du Guet, & de la Garde: par un règlement fur le port d'armes, & contre les gens fans aveu; & par plufieurs autres fages Ordonnances, dont l'éxécution fut confiée à Mr. de la Reynie, Lieutenant General de Police. En peu de tems la fûreté fut rétablie dans Paris.

Vers 96. Des maffacres fameux aille groffir PHiftoire.] Il y a un Livre intitulé, P'Hiftoi re des Larrons; où font décrits plufieurs meurtres & affaffinats.

Vers 106. Et fouvent fans pourpoint &c.] Tout le monde en ce tems-là portoit des pourpoints.

IMITATIONS. Vers 116. Ce n'est qu'à prix d'argent qu'on dort en cette Ville.] Juvé

nal, Satire III. vers 235.

Magnis opibus dormitur in Urbe. Notre Poëte a furpaffé le Poëte Latin. S'il avoit voulu fimplement le traduire, il auroit dit: Et ce n'est qu'à grans frais qu'on dort eu cette Ville. Mais, à prix d'argent, a bien plus de force & d'énergie: C'est comme fi l'on difoit, que l'on dort mieux à proportion de ce que l'on donne pour acheter fon repos: plus il en coûte, & mieux on dort. Martial, Livre XII. Epigr. 57.

Nec cogitandi fpatium, nec quiefcendi In Urbe locus eft pauperi. Martial a fait plufieurs Epigrammes contre les Perturbateurs du fommcil: Liv. IX. Ep. 69. Liv. X. Ep. 74. Liv. XII. Ep. 57. & 69.

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