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Qu'il maudiroit le jour, où fon ame infensée
Perdit l'heureuse erreur qui charmoit fa pensée!

Jadis certain Bigot, d'ailleurs homme fenfé,
D'un mal affez bizarre eut le cerveau bleffé:
105 S'imaginant fans ceffe, en fa douce manie,
Des Efprits bien-heureux entendre l'harmonie.
Enfin un Médecin, fort expert en fon Art,
Le guérit par adreffe, ou plûtôt par hazard.
Mais voulant de fes foins éxiger le falaire,
110 Moi? vous païer? lui dit le Bigot en colère,

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REMARQUES.

Dictionaire Etymologique, au mot Gri,, maud) que les affemblées, qui fe font chez moi, foient remplies de Grimauds. Elles font remplies de gens de grand merite dans les Lettres, de perfonnes de naiffance, & de perfonnes conftituées en dignité; & ces vers n'ont pas dû être écrits ,, par Mr. Defpréaux.

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Vers 94. Prend le pas au Parnaffe au deffus de Virgile.] Ceux qui vouloient flater Chapelain, avoient l'impudence de lui dire, que fon Poëme étoit au deffus de l'Eneïde: & Chapelain ne s'en défendoit que très-foible

ment.

Vers 98. Montez fur deux grans mots, comme fur deux échaffes.] Dans le Poëme de Chapelain on trouve plufieurs vers compofez de deux grands mots, dont chacun remplit la moitié du vers. Notre Auteur pour fe moquer de ces mots gigantefques, citoit ordinairement ce vers de Chapelain :

De ce fourcilleux Roc l'inébranlable cime.

Et il difpofoit ce vers, comme il eft ici à côté. Dans cette difpolition il femble que le mot de Roc foit monté fur deux échaffes, qui font, fourcilleux, & inébranlable.

De ce fourcilleux

Roc

l'inébranlable cime.

Il y a dans ce Poëme plufieurs autres vers pareils.

D'infuportables maux une fuite enchainée.
Liv. I.

Des fourcilleufes tours fapper le fondement.
Liv. II. &c.

Vers 99. Ses termes fans raifon l'un de l'autre écartez.] Les tranfpofitions de mots.

Vers 100. Et fes froids ornemens à la ligne
Tom. I.

plantez.] Ce font les Comparaifons fréquentes que Chapelain a emploïées, & qui ne manquent jamais de venir réguliérement après un certain nombre de vers. Elles com-mencent par ces mots: Ainfi, quand; &c. Ainfi, lorfque &c. & elles font toûjours enfermées en quatre ou huit vers.

Le Poëte Lucile allégué par Ciceron, 1. 3. de Orat. compare ces ornemens affectez, à un Echiquier, & à des Pavez en comparti- . ment:

Quàm lepide lexeis compofta, ut tesserulæ

omnes,

Arte pavimento, atque emblemate vermiculato!

IMITATIONS. Vers 103. Jadis certain Bigot.] Horace décrit la folie d'un Citoïen d'Argos, lequel étant feul affis fur le théatre, où il ne paroiffoit ni Acteurs ni Spectateurs, s'imaginoit entendre les plus belles Tragédies du monde.

Fuit baud ignobilis Argis,
Qui fe credebat miros audire Tragados.
In vacuo lætus feffor plausorque theatro. &c.
Horat. L. II. Ep. II. 129. & feqq.

Ariftote raconte la même chose d'un homme d'Abyde 1.6. de reb. mir. Elien, dans fes Hiftoires diverfes, rapporte un genre de folie. prefque femblable. Un Athénien, nommé Thrafylle, s'en alloit au port de Pirée, où s'imaginant que tous les Vaiffeaux qui étoient dans ce port lui appartenoient, il en tenoit un compte exact; il donnoit fes ordres pour leur départ, & fe réjouïffoit de leur retour, comme fi effectivement ces vaiffeaux euffent été à lui. Elian.l.4 ch.25.

Galien dit qu'un Médecin, nommé Théophile, étant malade, s'imaginoit voir dans G

un

115

Vous, dont l'Art infernal, par des secrets maudits,
En me tirant d'erreur, m'ôte du Paradis?

J'approuve fon courroux. Car, puisqu'il faut le dire,
Souvent de tous nos maux la Raison est le pire.
C'est Elle qui farouche, au milieu des plaisirs,
D'un remords importun vient brider nos defirs.
La Fâcheufe a pour nous des rigueurs fans pareilles;
C'est un Pédant qu'on a fans ceffe à fes oreilles,
Qui toûjours nous gourmande, & loin de nous toucher,
120 Souvent, comme Joli, perd fon tems à prêcher.

En vain certains Rêveurs nous l'habillent en Reine,
Veulent fur tous nos Sens la rendre Souveraine,
Et s'en formant en terre une Divinité,

Pensent aller par Elle à la Félicité.

125 C'est Elle, difent-ils, qui nous montre à bien vivre.
Ces difcours, il eft vrai, font fort beaux dans un Livre :
Je les eftime fort: mais je trouve en effet,
Que le plus fou fouvent eft le plus fatisfait.

REMARQUES.

un coin de fa Chambre, des Muficiens, & des Joueurs d'inftrumens, dont il entendoit la voix & l'harmonie. Galien. lib. de Symptomatum differentiis. c. 3.

IMITATIONS. Vers 117. La Fácheufe a pour nous des rigueurs fans pareilles.] Notre Auteur applique à la Raifon ce que Malherbe a dit de la Mort:

La Mort a des rigueurs à nalle autre pareilles;
On a beau la prier:

La Cruelle qu'elle eft fe bouche les oreilles,
Et nous laiffe erier.

Vers 120. Souvent, comme Joli.] Prédicateur fameux, qui étoit extrêmement tou

chant & pathétique. Les Libertins, qui avoient interêt de le décrier, comparoient les talens de Mr. Joli avec ceux de Moliere; mais ils difoient que Moliere étoit meilleur Prédicateur, & que Mr. Joli étoit plus grand Comédien. Il étoit alors Curé de S. Nicolas des Champs. 11 fut enfuite nommé à l'Evêché de S. Pol de Léon en Bretagne, & pen de tems après il obtint l'Evêché d'Agen. On a imprimé plufieurs fois fes Prônes, qui font eftimez. Il étoit né en 1610. à Buzi fur l'Orne, dans le Diocèfe de Verdun en Lorraine, & il mourut en 1678.

5

SATIRE V.

A M. LE MARQUIS

DE DANGEA U.

A Nobleffe, Dangeau, n'eft pas une chimère;
Quand fous l'étroite loi d'une vertu févère,

Un homme iffu d'un fang fécond en Demi-Dieux,

Suit, comme toi, la trace où marchoient fes Aïeux.
Mais je ne puis fouffrir qu'un Fat, dont la molleffe
N'a rien pour s'appuier qu'une vaine Nobleffe,
Se pare infolemment du mérite d'autrui,

Et me vante un honneur qui ne vient pas de lui.
Je veux que la valeur de fes Aïeux antiques
to Ait fourni de matière aux plus vieilles Chroniques,
Et que
l'un des Capets, pour honorer leur nom,
Ait de trois fleurs de lis doté leur écuffon.
Que fert ce vain amas d'une inutile gloire?
Si de tant de Heros célèbres dans l'Histoire,

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REMARQUES.

Ette Satire a été faite en l'année 1665. 'L'Auteur y fait voir que la veritable Nobleffe confifte dans la Vertu, indépendamment de la Naiffance. Juvénal a traité la même matière dans fa Satire VIII. & Séneque dans la quarante-quatrième de fes Epitres.

IMITATIONS. Vers 8. Et me vante un bonneur qui ne vient pas de lui.]

Qui genus jactat fuum, Aliena landat. Senec. Hercul. Fur. A&t. II.

Sc. II. 340.

Vers 11. Et que l'un des Capets...... Ait de trois fleurs de lis &c.] L'Illuftre Maifon d'Estaing porte les armes de France, par conceffion du Roi Philippe Augufte, qui étoit un des Defcendans de Hugues Capet, Chef de la troisième Race de nos Rois. Philippe Augufte aïant été renverfé de deffus fon Cheval à la Bataille de Bovines, Deodat, ou Dieu-donné d'Estaing, l'un des vingt-quatre

Chevaliers commis à la garde de la Perfonne Roïale, aida à tirer ce Prince du peril où il étoit, & fauva auffi l'Ecu du Roi, fur lequel étoient peintes fes Armes. En récompenfe d'un fervice fi important, le Roi lui permit de porter les Armes de France, avec un Chef d'or pour brifure.

Dans le tems que l'Auteur compofa cette Satire, Joachim Comte d'Estaing travailloit à rechercher les Antiquités de fa Maifon, dont il a dreffé des Mémoires. Cette recherche, qu'il faifoit avec beaucoup d'affection, l'engageoit à parler fouvent de la conceffion des Fleurs de lis : & l'on trouva qu'il en parloit avec un peu trop de complaifance. C'eft ce que notre Poëte a voulu marquer en cet endroit.

Vers 12.

Doté leur écuffon.] Dans quelques éditions, on lit Doré leur écuffon; mais c'eft une faute. G 2 Vers

15 Il ne peut rien offrif aux yeux de l'Univers,
Que de vieux parchemins qu'ont épargnez les vers:
Si tout forti qu'il eft d'une fource divine,
Son cœur dément en lui fa fuperbe origine,
Et n'aïant rien de grand qu'une fotte fierté,
20 S'endort dans une lâche & molle oifiveté ?
Cependant, à le voir avec tant d'arrogance
Vanter le faux éclat de fa haute naiffance;
On diroit que le Ciel est soûmis à sa loi,
Et que Dieu l'a paîtri d'autre limon que moi.
25 Enivré de lui-même, il croit dans fa folie,
Qu'il faut que devant lui d'abord tout s'humilie.
Aujourd'hui toutefois, fans trop le ménager,
Sur ce ton un peu haut je vais l'interroger.

Dites-moi, grand Heros, Efprit rare & fublime, 30 Entre tant d'Animaux, qui font ceux qu'on eftime?

REMARQUE S.

Vers 29. Dites-moi, grand Heros, &c.]. Les quatre vers qui précédent celui-ci ont été ajoûtés par l'Auteur dans l'édition de 1713. commencée à la fin de fa vie. Il les ajouta, pour empêcher que l'on ne crût que l'Apoftrophe contenue dans ce vers, s'adreffe à Mr. de Dangeau lui-même. 'Bien. des gens y avoient été trompés. Mais, comme cette erreur eft vifible, il auroit pu fe dispenser d'ajoûter ici ces quatre vers, qui ne répondent point à la beauté de la Pièce.

IMITATIONS. Ibid. Dites-moi, grand
Heros, &c.] Ce vers & les neuf fuivans, font
une imitation de ceux-ci de Juvénal, Satire
VIII. 56. & feqq.

Dic mihi, Teucrorum proles; animalia muta
Quis generofa putet, nifi fortia? nempe vo-

lucrem

Sie laudamus Equum, facili cui plurima palma.

Fervet, exfultat rauco victoria Circo.. Nobilis hic, quocumque venit de gramine, curus

Clara fuga ante alios, & primus in æquore
pulvis.

Sed venale pecus, Corythe pofteritas, &
Hirpini, fi rara jugo victoria fedit,.

Nil ibi Majorum refpectus, gratia nulla Umbrarum, dominos pretiis mutare jubentur Exiguis, tritoque trahunt epirhedia collo Segnipedes, dignique molam verfare Nepotis.. Vers 35. Mais la pofterité d'Alfane & deBayard.] Alfane & Bayard, fuivant notre Auteur, font les noms de deux Chevaux,. très-renommés dans nos vieux Romanciers. Alfane étoit la monture du Géant Gradaffe, qui vint du fond de la Séricane, pour conquerir l'épée de Renaud de Montauban. Voiez le Poëme de Roland amoureux, du Voiez le Poëme de Roland amoureux, du Boiardo. L'Ariofte, dans le 2. Chant de fon Orlando Furiofo, dit:

Gradaffo avea una Alfana la più bella, E la miglior, che mai portaffe fella. Surquoi l'on a obfervé, qu'Alfuna est un nom générique de Cavale, & non pas le nom propre d'une Cavale: ainfi l'on prétend que notre Auteur s'eft trompé, & qu'on ne peut non plus dire, la pofterité d'Alfane que la: pofterité de Barbe, ou de Genet.

Bayard eft le nom du Cheval de Renaud de Montauban, qui étoit l'aîné, & le plus vaillant des quatre Fils Aimon. Le Roman dit, que ce Cheval n'eut onques fun pareil,

car.

On fait cas d'un Courfier, qui fier & plein de cœur
Fait paroître en courant sa bouillante vigueur :
Qui jamais ne fe laffe, & qui dans la carriere
S'eft couvert mille fois d'une noble pouffiere:
35 Mais la pofterité d'Alfane & de Bayard,
Quand ce n'eft qu'une roffe, eft vendue au hazard,
Sans refpect des Aïeux dont elle eft defcenduë,
Et va porter la malle, ou tirer la charuë.
Pourquoi donc voulez-vous que par un fot abus
40 Chacun respecte en vous un honneur qui n'eft plus?
On ne m'éblouït point d'une apparence vaine.
La Vertu, d'un cœur noble eft la marque certaine.
Si vous êtes forti de ces Heros fameux,

Montrez-nous cette ardeur qu'on vit briller en eux, 45 Ce zèle pour l'honneur, cette horreur pour le vice. Refpectez-vous les Loix? Fuïez-vous l'injustice?

REMARQUE S.

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des pieds fur ladite pierre, qu'il la froiffa toute, & revint deffus. Et quand il fut fur l'eau, il paffa à nage de l'autre part de la riviere. Et quand il fut fur la rive, il fe mit à hinner hautement, & puis fe mit à courir fi roidement, qu'il fembloit que la foudre le chaffaft; & entra dedans Ardenne la grande Foreft. Charlemagne voyant que Bayard s'eftoit échappé, il en eut grand: deuil, mais tous les Barons en furent bien joyeux. Les gens difent en celui pays, que Bayard eft encores en vie dedans le bois d'Ardenne; mais quand il void homme ,, ou femme, il fuit, fi que nul ne le peut approcher." Bayard a été ainfi nommé à caufe de la couleur Baye qui est un rougebrun, ou couleur de Chataigne.

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car pour avoir couru dix lieuës, il n'étoit point,, joie, & dit: Ah! Bayard, aurai-je ce que las. Il rendit de grans fervices à fon Maître ,, je demande. Vous eftes mort fi vous ne ponen plufieurs rencontres perilleuses: fur tout vez toute la riviere boire. Bayard frapa tant quand les quatre Fils Aimon furent affiégez,, dans Montauban par Charlemagne. Auffi Renaud aima mieux fouffrir une faim extrème pendant ce Siège, avec Dame Claire fa femme, fes enfans, & fes freres, que de permettre qu'on tuât fon tant valeureux Cheval, pour leur fervir de nourriture. Ceux qui font dans le goût des anciens Romans ne feront pas fachez de favoir quelle fut la deftinée de ce fameux Cheval. Charlemagne aïant fait la paix avec Renaud de Montauban, Renaud lui envoïa fon Cheval Bayard, & s'en alla outre-mer, c'eft-à-dire dans la Terre-Sainte.,, Quand le Roi fut fur le Pont de Meufe, dit le Roman*, il commanda „, qu'on lui amenaft Bayard le bon Cheval de Renaud. Quand il le vit, il lui dit: Ab! Bayard, tu m'as maintefois courroucé; mais je fuis venu à point pour m'en vanLors lui fit lier une grande pierre au "ger. Col, & le fit jetter du pont à bas dedans la Rivière de Meufe, & Bayard alla au fond. Quand le Roi vit ce, il eut grand'

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Les quatre fils Aimon, chap. 30.

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IMITATIONS. Vers 42. La Vertu d'un cœur noble eft la marque certaine.] Ce vers explique le fujet de cette Satire. Juvenal a dit:

Nobilitas, fola eft atque unica Virtus. Sat.
VIII. 20.
La vertu feule eft la Nobleffe.

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