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Mais je ne trouve rien de beau dans ce Voiture:
Ma foi, le jugement fert bien dans la lecture.
A mon gré, le Corneille eft joli quelquefois.
En verité pour moi, j'aime le beau François.
185 Je ne fai pas pourquoi l'on vante l'Alexandre.

Ce n'eft qu'un glorieux, qui ne dit rien de tendre.
Les Heros chez Quinaut parlent bien autrement,
Et jufqu'à Je vous hais, tout s'y dit tendrement.

REMARQUES.

des Lettres & des Poëfies, fous le titre d'Amitiez, Amours, & Amourettes. Les Railleurs l'appelèrent le Singe de Voiture; parce que Le Pais fe flatoit d'imiter l'enjouement & la délicateffe de cet Auteur. C'eft ce que Mr. Defpréaux infinuë en cet endroit, par la contre-verité qu'il met dans la bouche de fon Campagnard, qui préfere Le Pais à Voiture. Le Païs prit cette raillerie en galant homme; & il écrivit de Grenoble; où il étoit alors, une Lettre badine fur ce fujet à un de fes amis qui étoit à Paris. On la peut voir dans fes nouvelles Oeuvres, qui font la fuite du premier volume. Il fit plus: étant lui-même à Paris, il alla voir Mr. Defpréaux, & foutint toûjours fon caractère enjoué. Mr. Defpréaux fut d'abord embaraffé de la vifite d'un homme qu'il avoit mis en droit de fe plaindre; mais il dit pour toute excufe à Mr. Le Païs, qu'il ne l'avoit nommé dans la Satire, que parce qu'il avoit vû des gens qui le préferoient à Voiture. Mr. Le Païs paffa facilement condamnation fur cette pré ference, & ils fe féparèrent bons amis. Notre Auteur eftimoit plus la Profe de Le Pais que fes vers. René Le Païs, Sieur du PleffisVilleneuve, mourut à Paris dans la Rue du Bouloi, le dernier jour d'Avril 1690., & fut enterré à St. Euftache, où le célèbre Vincent Voiture avoit été auffi enterré.

Vers 181. Mais je ne trouve rien de beau dans ce Voiture.] Mr. de La Fontaine avoit mené Mrs. Defpréaux & Racine à ChâteauThierri, qui étoit le lieu de fa naiffance. Un des principaux Officiers de cette Ville invita un jour à diner Mr. Defpréaux tout feul, & laiffa fes deux Amis qui étoient occupez ailleurs. Pendant le repas, la converfation roula particulierement fur les belles Lettres. L'Officier de Robe jugea de tout en maître: Il dit qu'il n'aimoit point ce Voiture; qu'à la vérité, le Corneille lui faifoit plaifir quelque

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fois, mais que fur tout il étoit paffionné pour le beau langage. Et puis il difoit, en s'aplaudiffant de fon bon goût: Avouez, Monfieur, que le jugement fert bien dans la lecture. Regnier a fait dire quelque chofe de femblable à un Pédant qu'il introduit dans fa dixième Satire:

Que Pline eft inégal, Térence un peu joli ; Mais fur tout il eftime un langage poli. Vers 183.- Le Corneille est joli quel quefois.] L'épithete de joli convient auffi peu au grand Corneille, qu'elle convenoit à Mr. de Turenne, quand un jeune Homme de la Cour s'avifa de dire, que Mr. de Turenne étoit un joli Homme. C'eft en ce fens que l'on dit de ce qui a un caractère de grandeur: Cela paffe le joli. Mais notre Auteur fait parler ainfi un Campagnard, pour le rendre ridicule.

Vers 185. Je ne fai pas pourquoi l'on vante l'Alexandre.] Aléxandre le Grand, Tragédie de Mr. Racine, qui la donna au public en 1665. Quand il l'eut faite, l'Abbé de Bernay, chez qui il demeuroit, fouhaita qu'elle fut repréfentée par les Comédiens de l'Hôtel de Bourgogne, & Mr. Racine vouloit que ce fût par la Troupe de Moliere. Comme ils étoient en grande conteftation là-deffus, Mr. Defpréaux intervint, & décida par une plaifanterie, difant, qu'il n'y avoit plus de bons Acteurs à l'Hôtel de Bourgogne: qu'à la vérité il y avoit encore le plus habile Moucheur de chandelles qui fût au monde, & que cela pourroit bien contribuer au fuccès d'une Pièce. Cette plaifanterie feule fit revenir l'Abbé de Bernay, qui étoit d'ailleurs très-obstiné; & la Pièce fut donnée à la Troupe de Moliere,

Vers 188. Et jufqu'à Je vous hais, tout s'y dit tendrement.] Dans les Tragédies de Quinaut, tous les fentimens font tournez à la tendreffe, jufques dans les endroits où l'on ne de-vroit exprimer que de la haine ou de la dou

leur:

On dit qu'on l'a drapé dans certaine Satire,

190 Qu'un jeune Homme... Ah! je fai ce que vous voulez dire,
A répondu notre Hôte. Un Auteur fans défaut,
La Raifon dit Virgile, & la Rime Quinaut.
Juftement. A mon gré, la pièce eft affez plate.
Et puis blâmer Quinaut.... Avez-vous vû l'Astrate?
195 C'est-là ce qu'on appèle un ouvrage achevé.
Sur tout l'Anneau Roial me femble bien trouvé.
Son fujet eft conduit d'une belle manière,
Et chaque Acte en fa Pièce est une Pièce entière:
Je ne puis plus fouffrir ce que les autres font.
Il est vrai que Quinaut est un Esprit profond,
A repris certain Fat, qu'à sa mine difcrete
Et fon maintien jaloux j'ai reconnu Poëte:
Mais il en eft pourtant qui le pourroient valoir.
Ma foi, ce n'est pas vous qui nous le ferez voir,
205 A dit mon Campagnard avec une voix claire,
Et déja tout bouillant de vin & de colère.
Peut-être, a dit l'Auteur pâliffant de courroux:
Mais vous, pour en parler, vous y connoiffez-vous ?

200

REMARQUES.

leur: C'eft pourquoi on l'avoit furnommé, de doucereux Quinant. Mr. Defpréaux avoit vu jouer Stratonice, Tragédie de ce Poete, où Floridor faifoit le rôle d'Antiochus, qui eft l'Amant; & la Barone faifoit celui de Stratonice, qui eft la Maîtreffe. Antiochus difoit bien tendrement à Stratonice: Vous me haiffez donc ? A quoi Stratonice répondoit auffi d'un air fort paffionné: J'y mets toute ma gloire. Enfin, après avoir tourné en plufieurs façons les mots de baine & de hair, la Scène finiffoit par ces deux vers:

Adieu, croiez toûjours que ma haine eft extrême,

Prince, fi je vous hais, baissez-moi de

même.

C'est particulièrement cet endroit que Mr. Defpréaux a eu en vuë. Act. II. Scène 6.&7. Vers 189. On dit qu'on l'a drapé dans certaine Satire.] Dans la Satire précedente, adreffée à Moliere; & c'eft cette raifon qui a déterminé l'Auteur à placer ces deux Sati

res dans fon Livre, immédiatement l'une après l'autre, quoiqu'elles n'aïent pas été compofées dans le même ordre. Après la feconde Satire, l'Auteur avoit fait la quatrième, & le Difcours au Roi, avant la Satire troisième.

Vers 193. Justement. A mon gré.] C'est le Noble Campagnard qui reprend ici le difcours. Avez-vous va l'Aftrate?

Vers 194.

Vers 196. Sur tout l'Anneau Roial &c.] Aftrate, Roi de Tyr, Tragédie de Quinaut, fut représentée au commencement de l'année 1665. L'Auteur du Journal des Savans, faifant l'éloge de l'Aftrate*, dit que cette Pièce a de la tendreffe par tout, & de cette tendreffe délicate qui eft toute particulière à Mr. Quinaut. L'Anneau Roial fait le fujet de la Scène 3. & 4. de l'Acte troifième. Elife, héritière du Roïaume de Tyr, donne à Agenor fon parent, un Anneau qui étoit la mar

* Journal du 23. de Mars 1665.

que

Mieux que vous mille fois, dit le Noble en furie. 210 Vous? Mon Dieu, mêlez-vous de boire, je vous prie A l'Auteur fur le champ aigrement reparti.

Je fuis donc un Sot? Moi? vous en avez menti:
Reprend le Campagnard, & fans plus de langage,
Lui jette, pour deffi, fon affiette au visage.
215 L'autre efquive le coup, & l'affiette volant
S'en va frapper le mur, & revient en roulant..
A cet affront, l'Auteur fe levant de la table,
Lance à mon Campagnard un regard effroïable:
Et chacun vainement fe ruant entre-deux,
220 Nos Braves s'accrochant fe prennent aux cheveux,
Auffi-tôt fous leurs piez les tables renversées
Font voir un long débris de bouteilles caffées:
En vain à lever tout les Valets font fort promts,
Et les ruiffeaux de vin coulent aux environs.

225

Enfin, pour arrêter cette lutte barbare;
De nouveau l'on s'efforce, on crie, on les fépare;
Et leur premiere ardeur paffant en un moment,
On a parlé de paix & d'accommodement.

REMARQUES.

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J'ai été étonné que je n'en aie pas dit davantage dans ma Satire; car il n'y a rien de plus ridicule, & il femble que tout y ait été fait exprès en dépit du bon fens. A la fin, on dit à Aftrate, que fa Maîtresse eft empoisonnée: cela fe dit devant elle; & il répond pour toute chofe, Madame. Cela n'eft-il pas bien touchant? Nous difions autrefois, qu'il valoit bien mieux met,, tre, Tredame.

que de la dignité Roïale; pour le remettre à
Aftrate, qui eft aimé de la Reine, & qu'elle,,
veut faire Roi en l'époufant. Mais Agénor,
qui avoit été nommé par le pere de la Reine
pour être fon époux, ne veut point fe deffai-
tir de l'Anneau Roial: & comme il veut fe
fervir de l'autorité fouveraine que lui donne
ce précieux Anneau, pour faire arrêter fon
Rival, il eft lui-même mis en prifon par or-
dre de la Reine.

Vers 198. Et chaque Acte en fa Pièce eft une Pièce entiere,] Une des premières règles du Théatre, eft qu'il ne faut qu'une Action pour le fujet d'une Pièce Dramatique; & cette Action doit être non-feulement complette, mais continuée jufqu'à la fin, fans aucune interruption. Or, notre Auteur prétend que dans l'Aftrate, l'Action théatrale eft interrompuë à la fin de chaque Acte: ce qui fait autant d'Actions, qu'il y a d'Actes dans la Pièce. Cette critique eft très-fine. J'ai relû l'Aftrate, m'a dit Mr. Defpréaux. Tom. I.

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Vers 201. A repris certain Fat.] Cet endroit ne défigne perfonne en particulier.

Vers 216. S'en va fraper le mur, & revient en roulant.] L'Auteur a cherché à imiter, par le fon des mots, le bruit que fait une affiette en roulant. Il y a d'ailleurs beaucoup de grace dans cette imitation de la Poëfie héroïque, abaillée à un fujet plaifant. La beauté de la Poëfie confifte principalement dans les images, & dans les peintures fenfibles: & c'eft en quoi Homère a furpaffé tous les autres Poëtes.

F

CHAN

Mais, tandis qu'à l'envi tout le monde y confpire,
230 J'ai gagné doucement la porte fans rien dire,
Avec un bon ferment, que fi pour l'avenir,
En pareille cohue on me peut retenir,

Je confens de bon cœur, pour punir ma folie,
Que tous les vins pour moi deviennent vins de Brie,
235 Qu'à Paris le gibier manque tous les hivers,

Et qu'à peine au mois d'Août l'on mange des pois vers.

REMARQUES.

CHANGEMENT. Vers 233. Je confens de bon cœur.] Il y avoit, d'un bon cœur, dans les éditions de 1674. & de 1675. mais c'étoit une faute. L'Auteur a toujours mis, de bon cœur, dans les autres éditions.

Vers 234. Deviennent vins de Brie.] Les

vins de la Province de Brie font fi mauvais
qu'ils ont pafé en proverbe: Auffi a-t-on dit
en chanfon:

Mais tout vin eft vin de Brie,
Quand on boit avec un Fat.

SATIRE

SATIRE IV.

D

5

A M. L'ABBE LE VAYER.

'Où vient, cher le Vayer, que l'Homme le moins fage
Croit toûjours feul avoir la Sagesse en partage:
Et qu'il n'est point de Fou, qui par belles raisons
Ne loge fon voifin aux Petites-Maisons?

Un Pédant enivré de fa vaine science,

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Tout hériffé de Grec, tout bouffi d'arrogance, Et qui de mille Auteurs retenus mot pour mot, Dans la tête entaffez, n'a fouvent fait qu'un Sot, Croit qu'un Livre fait tout, & que fans Ariftote 10 La Raifon ne voit goute, & le Bon Sens radote.

REMARQUES.

LA A Satire IV. a été faite en l'année 1664. immédiatement après la feconde Satire, & avant le Difcours au Roi.

Mr. l'Abbé le Vayer, à qui elle eft adreffée, étoit fils unique de Mr. de la Mothe le Vayer, Confeiller d'Etat, Précepteur de Monfieur Philippe de France, Frere unique du Roi. En 1656. l'Abbé le Vayer publia une Traduction Françoife de Florus, qu'il dit avoir été faite par ce jeune Prince, & il accompagna cette Verfion d'un Commentaire favant & curieux. On croit qu'il a auffi compofé le Roman de Tarfis & Zelie qui eft fort bien écrit.

Cet Abbé avoit un attachement fingulier pour Moliere, dont il étoit le Partilan & P'admirateur. Il mourut âgé d'environ 35. ans, au mois de Septembre 1664. peu de tems après que cette Satire eut été compofée. Mr. Defpréaux en conçut l'idée dans une converfation qu'il eut avec l'Abbé le Vayer & Moliere, dans laquelle on prouva par divers exemples que tous les hommes font fous, & que chacun croit néanmoins être fage tout feul. Cette propofition fait le fujet de cette Satire. Moliere avoit réfolu de faire une Comédie fur le même fujet. Il trouvoit que Defmarais n'avoit pas bien rempli ce

deffein dans la Comédie des Visionnaires. Vers 4. Aux Petites-Maisons.] Hôpital de Paris, où l'on enferme les Fous dans de petites chambres. Autrefois on l'appeloit l'Hôpital de Saint Germain des Prés, parce qu'il dépendoit de l'Abbaïe de St. Ger main; & c'étoit une Maladerie destinée à retirer les Ladres qui y alloient coucher. Mais en 1544. cet Hôpital n'aïant point de revenus, la Cour de Parlement le fit démolir, & le Cardinal de Tournon, Abbé de Saint Germain, en vendit la place en 1557. aux Echevins de Paris, qui y firent bâtir l'Hôpital des Petites-Maifons.

Vers 5. Un Pédant enivré.] L'Auteur fait ici les caractères d'un Pédant, d'un Galant, d'un faux Dévot, & d'un Libertin. Ce font des caractères géneraux qui n'ont point d'objet particulier. Pradon a voulu infinuer que le portrait du Pédant étoit fait fur Mr. Charpentier de l'Académie Françoife; mais fa conjecture étoit fans fondement. Pradon, Pref. des nouvelles Rem. fur les Ouvrages de Mr. Despréaux.

Vers io. La Raifon ne voit goute.] L'Auteur auroit pû mettre. La Raifon eft aveugle; & ce changement ne lui déplaifoit pas.

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