Page images
PDF
EPUB

Là, triomphant aux yeux des Chantres impuiffans, Je beniffois le peuple, & j'avalois l'encens: 25 Lorfque du fond caché de notre Sacristie,

Une épaiffe nuée à longs flots eft fortie,

Qui s'ouvrant à mes yeux, dans fon bleuâtre éclat,
M'a fait voir un Serpent conduit par le Prélat.
Du corps de ce Dragon plein de fouffre & de nitre,
30 Une tête fortoit en forme de Pupitre,

Dont le triangle affreux, tout hériffé de crins,
Surpaffoit en groffeur nos plus épais Lutrins.
Animé par fon guide, en fiflant il s'avance:
Contre moi fur mon banc je le voi qui s'élance.
35 J'ai crié, mais en vain; & fuïant sa fureur,
Je me fuis réveillé plein de trouble & d'horreur.
Le Chantre, s'arrêtant à cet endroit funeste,
A fes yeux effraïez laiffe dire le reste.
Girot en vain l'affure, & riant de fa
peur,
40 Nomme fa vifion, l'effet d'une vapeur.
Le defolé Vieillard, qui hait la raillerie,
Lui défend de parler, fort du lit en furie.
On apporte à l'instant ses somptueux habits,

Où fur l'oüate molle éclate le tabis.
45 D'une longue foutane il endoffe la moire,
Prend fes gants violets, les marques de fa gloire,
Et faifit, en pleurant, ce rochet, qu'autrefois
Le Prélat trop jaloux lui rogna de trois doigts.

[blocks in formation]

Auffi-tôt d'un bonnet ornant fa tête grise, 50 Déja l'aumuffe en main il marche vers l'Eglise: Et hâtant de fes ans l'importune langueur,

Court, vole, & le premier arrive dans le Chœur.

O toi, qui, fur ces bords qu'une eau dormante mouille, Vis combatre autrefois le Rat & la Grenouille : 55 Qui, par les traits hardis d'un bizarre pinceau, Mis l'Italie en feu pour la perte d'un Seau: Mufe, prête à ma bouche une voix plus sauvage, Pour chanter le dépit, la colère, la rage, Que le Chantre fentit allumer dans fon fang, 60 A l'aspect du Pupitre élevé fur fon banc.

65

D'abord pâle & muet, de colère immobile,
A force de douleur, il demeura tranquille:
Mais fa voix s'échapant au travers des fanglots,
Dans fa bouche à la fin fit paffage à ces mots.

La voilà donc, Girot, cette hydre épouvantable,
Que m'a fait voir un fonge, helas! trop véritable.
Je le vois ce Dragon tout prêt à m'égorger,
Ce Pupitre fatal qui me doit ombrager.
Prélat, que t'ai-je fait ? quelle rage envieuse
Rend pour me tourmenter ton ame ingénieuse?
REMARQUES.

Vers 49. Auffi-tôt d'un bonnet ornant &c.] Ce Vers ett remarquable par la Critique dont le Roi l'a honoré. Avant l'impreflion de ce Poëme l'Auteur le lut à Sa Majesté. Il y avoit ici:

Alors d'un Domino couvrant fa tête grife, Déja l'Aumuffe en main, &c. Après la lecture de ce Chant, le Roi fit remarquer à Mr. Defpréaux, que le Domino, & l'Aumuffe font deux chofes qui ne vont pas enfemble: car le Domino eft un habillement d'hiver, & l'Aumusse eft pour l'Eté. D'ailleurs, continua le Roi, vous venez de dire: Déjeunons, Meffieurs, & beuvons frais *; Cela marque que l'Action de votre Poëme fe palle en Eté. Sur le champ Mr. Defpréaux changea le vers dont il s'agit. Le Roi ajoûta

* Yers 204.

en foûriant: Ne foiez pas étonné de me voir inftruit de ces fortes d'usages: Je suis Chanoine en plufieurs Eglifes. En effet, le Roi de France eft Chanoine de Saint Jean de Latran, de Saint Jean de Lyon, des Eglifes d'Angers, du Mans, de St. Martin de Tours, & de quelques autres.

IMITATIONS. Vers 53. O toi, qui fur ces bords &c.] Le Taffoni dans fon Poeme de la Secchia rapita, Canto V. St. 23.

Mafa, tù che cantasti i fatti egregi
Del Rè de Topi, e de le Rane antiche......
Tu dimmi i nomi &c.

Vers 54 Vis combattre autrefois le Rat & la Grenouille.] Homère, fuivant l'opinion commune, a fait le Poëme de la guerre des Rats & des Grenouilles.

Quoi? même dans ton lit, Cruel, entre deux draps,
Ta profane fureur ne se repose pas?

O Ciel! quoi? fur mon banc une honteuse maffe
Deformais me va faire un cachot de ma place?
75 Inconnu dans l'Eglife, ignoré dans ce lieu,
Je ne pourrai donc plus être vû que de Dieu?
Ah! plûtôt qu'un moment cet affront m'obscurciffe,
Renonçons à l'Autel, abandonnons l'Office;
Et fans laffer le Ciel par des chants fuperflus,
80 Ne voïons plus un Chœur où l'on ne nous voit plus.
Sortons. Mais cependant mon Ennemi tranquille.
Jouira fur fon banc de ma rage inutile;

Et verra dans le Chour le Pupitre exhauffé
Tourner fur le pivot, où fa main l'a placé.
85 Non, s'il n'eft abbatu, je ne faurois plus vivre.
A moi, Girot, je veux que mon bras m'en délivre.
Périffons, s'il le faut: mais de fes ais brifez
Entraînons, en mourant, les reftes divifez.

A ces mots, d'une main par la rage affermie, 90 Il faififfoit déja la Machine ennemie,

୨୦

Lors qu'en ce facré lieu, par un heureux hazard,
Entrent Jean le Chorifte, & le Sonneur Girard,

REMARQUE S.

[blocks in formation]

Cura leves loquuntur, ingentes ftupent. CHANGEMENT. Vers 90. Il faififoit déja la Machine &c.] Première édition: Il alloit terraffer &c.

Vers 92. Entrent Jean le Choriste, & le Sonneur Girard.] Jean le Choriste: Perfonnage fuppofé. Girard Sonneur de la SainteChapelle, étoit mort long-tems avant la compofition de ce Poëme. Il fe noïa dans la Seine arant gagé qu'il la pafferoit neuf fois à la nage. Il eut un jour la témerité de monter

fur les rebords du toit de la Sainte-Chapelle, aiant une bouteille à la main; & là en préfence d'une infinité de gens qui le regardoient d'en-bas avec fraïeur, il vuida d'un trait cette bouteille, & s'en retourna. Mr.Defpréaux, qui étoit alors Ecolier, fut un des spectateurs.

CHAN

Deux Manceaux renommez, en qui l'expérience
Pour les procès eft jointe à la vafte science.
95 L'un & l'autre auffi-tôt prend part à fon affront.
Toutefois condamnant un mouvement trop prompt,
Du Lutria, difent-ils, abbatons la Machine:

Mais ne nous chargeons pas tous feuls de fa ruïne;
Et que tantôt, aux yeux du Chapitre assemblé,
100 Il foit fous trente mains en plein jour accablé.

Ces mots des mains du Chantre arrachent le Pupitre.
J'y confens, leur dit-il, affemblons le Chapitre.
Allez donc de ce pas, par de faints hurlemens,
Vous-mêmes appeler les Chanoines dormans.

105 Partez. Mais ce difcours les surprend & les glace.
Nous? qu'en ce vain projet, pleins d'une folle audace,
Nous allions, dit Girard, la nuit nous engager?
De notre complaisance ofez-vous l'exiger?

Hé, Seigneur! Quand nos cris pourroient, du fond des ruës, 110 De leurs appartemens percer les avenues, Réveiller ces Valets autour d'eux étendus, De leur facré repos miniftres affidus, Et pénetrer des lits au bruit inacceffibles; Penfez-vous, au moment que les ombres paisibles 115 A ces lits enchanteurs ont fù les attacher,

Que la voix d'un Mortel les en puiffe arracher?
Deux Chantres feront-ils, dans l'ardeur de vous plaire,

REMARQUES.

CHANGEMENT. Vers 93. Deux Manceaux renommez &c.] Avant l'édition de 1701, ce Vers & les quatre fuivans étoient ainfi:

Qui de tout tems pour lui brûlant d'un mê-
me zèle,

Gardent pour le Prélat une haine fidèle.
A l'afpect du Lutrin tous deux tremblent
d'horreur:

Du Vieillard toutefois ils blâment la fureur.
Abbatons, difent-ils, fa fuperbe Machine.
Vers 105 Partez. Mais ce difcours &c.]
Ce vers & les onze fuivans n'étoient pas dans

les éditions qui ont précedé celle de 1701. II y avoit feize autres vers que voici:

Partez. Mais à ce mot les Champions på liffent.

De l'horreur du péril leurs courages frémisfent.

Ah! Seigneur, dit Girard, que nous deman-
dez-vous?

De grace moderez un aveugle courrOHX.
Nous pourrions réveiller des Chantres & des

Moines;

Mais même avant l'Aurore éveiller des Cha-
noines!

Qui jamais l'entreprit? qui l'oferoit tenter?
Ef-

« PreviousContinue »