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De quelque ardeur pour moi fentît les mouvemens, Et gardat le premier de mes Commandemens. 215 Dieu, fi je vous en croi, me tiendra ce langage. Mais à vous, tendre Agneau, fon plus cher héritage, Orthodoxe Ennemi d'un Dogme fi blâmé,

Venez, vous dira-t-il, Venez mon Bien-aimé : Vous, qui dans les détours de vos raisons subtiles 220 Embarrassant les mots d'un des plus faints Conciles, Avez délivré l'Homme, O l'utile Docteur!

225

De l'importun fardeau d'aimer fon Créateur.
Entrez au Ciel, Venez, comblé de mes loüanges,
Du befoin d'aimer Dieu defabuser les Anges.
A de tels mots, fi Dieu pouvoit les prononcer,
Pour moi je répondrois, je croi, fans l'offenfer:
O! que, pour vous mon cœur moins dur, & moins farouche,
Seigneur, n'a-t-il, helas! parlé comme ma bouche?
Ce feroit ma réponse à ce Dieu fulminant.

230 Mais vous, de fes douceurs objet fort surprenant,
Je ne fai pas comment, ferme en votre Doctrine,
Des ironiques mots de fa bouche divine

235

Vous pourriez fans rougeur, & fans confusion,
Soûtenir l'amertume, & la dérifion.

L'audace du Docteur, par ce difcours frapée,
Demeura fans replique à ma Profopopée.
11 fortit tout à coup, & murmurant tout bas
Quelques termes d'aigreur que je n'entendis pas,
S'en alla chez Binsfeld, ou chez Bafile Ponce,
240 Sur l'heure à mes raisons chercher une réponse.

REMARQUES.

Vers 220. D'un des plus faints Conciles.] Le Concile de Trente.

Vers 227. 0! que, pour vous mon cœur &c.] Pourquoi ne vous ai-je pas aimé de cœur, & mon Dieu, comme j'ai dit de bouche qu'il falloit vous aimer!

Vers 239. S'en alla chez Binsfeld, ou chez Bafile Ponce.] Deux Défenfeurs de la fauffe Attrition. Pierre Binsfeld étoit Suffragant de Trèves, & Docteur en Théologie. Bafile Ponce étoit de l'Ordre de Saint Auguftin.

L'ART

L'ART

POËTIQUE.

Tom. I.

LI

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AVERTISSEMENT

DE L'AUTEUR DES REMARQUES,

L'ART

SUR

POËTIQUE.

'Eft à Mr. Defpréaux principalement que la France cft redevable de cette jufteße de cette folidité qui fe font remarquer dans les Ouvrages de nos bons Ecrivains. Ce font les premières productions qui ont le plus contribué à bannir l'affectation & le mauvais goût. Mais c'étoit peu pour lui d'avoir corrigé les Poëtes par fa critique, s'il ne les avoit encore inftruits par fes préceptes. Dans cette vûë il forma le dessein de compofer un Art Poëtique.

Le célèbre Mr. Patru, à qui il communiqua fon deffein, nè crut pas qu'il fut poffible de l'éxécuter avec fuccès. Il convenoit qu'on pouvoit bien expliquer les règles générales de la Poëfie, à l'exemple d'Ho race; mais pour les règles particulières, ce détail ne lui paroifoit pas propre à être mis en vers François; & il eut affez mauvaise opinion de notre Poëfie, pour la croire incapable de fe foûtenir dans des matières auffi fèches que le font de fimples préceptes..

Néanmoins, les difficultez que ce judicieux Critique prévoyoit, bien loin d'effrayer notre jeune Poëte, ne fervirent qu'à l'animer, & à lui donner une plus grande idée de fon entreprise. Il commença dès lors à travailler à son Art Poëtique, & quelque tems après il en alla réciter le commencement à fon Ami, qui voyant la noble audace avec laquelle notre Auteur entroit en matière, changea de fentiment, & l'exborta bien ferieufement à continuer.

Ce fut en ce même tems qu'il mit la dernière main à fon Poëme du Lutrin qui étoit déjà bien avancé: de forte que ces deux Ouvrages furent en état de paroître en 1674: avec les quatre premières Epitres.

L'Art Poetique passe communément pour le chef-d'œuvre de notre Auteur. Trois chofes principalement le rendent confidérable: la difficulté de l'entreprise, la beauté des vers, & l'utilité de l'Ouvrage.

On peut même lui donner une autre loüange, que fa modestie lui fai

1 Il n'avoit que 33. ans. C'étoit en 1669.

2 Il ne publia alors que les quatre premiers Chants du Lutrin.

foit

foit rejetter: c'eft qu'il y a plus d'ordre dans fa Poëtique que dans cel le d'Horace, & qu'il eft entre bien plus avant que cet Ancien, dans le détail des règles de la Poësie.

4

Ses Ennemis l'accufèrent pourtant de n'avoir fait que traduire la Poëtique d'Horace; mais il fe contenta de leur répondre, qu'il les remercioit de cette accufation: Car puisque dans mon Ouvrage, dit-il, qui eft d'onze cens Vers, il n'y en a pas plus de cinquante ou de foixante imités d'Horace, ils ne peuvent pas faire un plus bel éloge du refte qu'en le fuppofant traduit de ce Grand Poëte; & je m'étonne après cela qu'ils ofent combattre les règles que j'y débite.

Dans le premier Chant de ce Poëme, l'Auteur donne des règles générales pour la Poëfie: mais ces règles n'apartiennent point fi proprement à cet Art, qu'elles ne puiffent auffi étre pratiquées utilement dans les autres genres d'écrire. One courte digreffion renferme l'histoi re de la Poëfie Françoife, depuis Villon jufqu'à Malherbe.

Dans le fecond Chant, & dans le troisième, il donne le caractère des divers genres de Poëfies en particulier. Enfin le quatrième Chant contient la fuite des inftructions néceffaires à tous les Poëtes.

3. Voïez Scaliger dans fa Poëtique L. VI. Le P. Rapin, Réf. fur la Poetique, part. I. ch. XVII. Et M. Dacier, Remarq. 1. fur

l'Art Poët. d'Horace, & dans la Note fur: le vers 281. &c.

4 Dans la Préface de l'édition de 1675

L'ART

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