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Bienheureux Scuderi, dont la fertile plume
Peut tous les mois fans peine enfanter un volume.
Tes Ecrits, il est vrai, fans art & languiffans,
80 Semblent être formez en dépit du bon fens:

Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puisse dire,
Un Marchand pour les vendre, & des Sots pour les lire.
Et quand la Rime enfin fe trouve au bout des vers,
Qu'importe que le refte y foit mis de travers?
85 Malheureux mille fois celui dont la manie
Veut aux règles de l'art affervir fon génie!
Un Sot en écrivant fait tout avec plaifir:
Il n'a point en fes vers l'embarras de choisir,
Et toûjours amoureux de ce qu'il vient d'écrire,
90 Ravi d'étonnement en foi-même il s'admire.

REMARQUES.

du Difcours au Roi, & fur le vers 47. de la Satire I.

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Vers 77. Bienheureux Scuderi, &c.] George de Scuderi de l'Académie Françoise, a compofé plufieurs Romans: L'Illuftre Baffa,,, le Caloandre fidelle, &c. outre le Poëme d'Alaric, & un grand nombre de Pièces de théatre. Quoique le Roman de Cyrus, & celui de Clélie, aïent été imprimez fous fon nom, ils font néanmoins de l'illuftre Magdeleine de Scuderi fa Sœur.

99

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être recompenfé de louange 'ou de fatis,, faction. Quand les bons Efprits font un Ouvrage excellent, ils font justement ré,, compenfez par les applaudiffemens du Public; Quand un pauvre Efprit travaille beaucoup pour faire un mauvais Ouvrage, il n'eft pas jufte ni raifonnable qu'il attende des louanges publiques; car elles ne lui font pas dûes: Mais afin que fes travaux ne demeurent pas fans récompenfe, Dieu lui donne une fatisfaction perfonnelle, que perfonne ne lui peut envier fans une injuftice plus que barbare. Tout ainfi que Dieu qui eft jufte, donne de la fatisfaction aux Grenouilles, de leur chant : autre,, ment, le blâme public, joint à leur mé,, contentement, feroit fuffifant pour les réduire au defefpoir. Le P. François Garaffe, Somme Théolog. L.2.1 .p.419.

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Balzac avoit fait le même jugement de la,, facilité à écrire de cet Auteur. Ö bienheureux Ecrivains, s'écrie-t-il, Mr. De Saumaife en Latin, & Mr. De Scuderi en François ! J'admire votre facilité, j'admire votre abondance. Vous pouvez écrire plus de Calepins, que moi d'Almanachs. Il dit encore: Bienheureux font ces Ecrivains qui fe contentent fi facilement; qui ne travaillent que de la mémoire des doigts; qui, fans chuifir, écrivent tout ce qu'ils favent. Lett. 12. Liv. 23.

CHANGEMENT. Vers 79.

Sans

art & languiffans:] Dans les premières éditions il y avoit: Sans force && languiffans.

Vers 87. Un Sot en écrivant fait tout avec plaifir:] Un Théologien François donne une affez plaifante raifon de la fotte complaifance avec laquelle les Auteurs médiocres regardent leurs propres Ouvrages.,, Selon la juftice, dit-il, tout travail honnête doit

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IMITATIONS. Ibid. Un Sot en écrivant, &c.] Horace, L. II. Ep. II. 106. & feqq. 125. Ridentur,mala qui componunt Carmina: ve

rùm

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Pratulerim fcriptor delirus,inerfque videri,
Dum mea delectent mala me, vel denique
fallant:
Quam fapere, & ringi.

Mais un Esprit fublimé en vain veut s'élever
A ce degré parfait qu'il tâche de trouver:

Et toûjours mécontent de ce qu'il vient de faire,
Il plaît à tout le monde, & ne fauroit se plaire.
95 Et Tel, dont en tous lieux chacun vante l'efprit,
Voudroit pour fon repos n'avoir jamais écrit.

Toi donc, qui vois les maux où ma Muse s'abîme, De grace, enfeigne-moi l'art de trouver la Rime: Ou, puisqu'enfin tes foins y feroient superflus, 100 Moliere, enfeigne-moi l'art de ne rimer plus.

REMARQUES.

Vers 94. Il plaît à tout le monde, & ne fauroit fe plaire.] En cet endroit, Moliere dit à notre Auteur, en lui ferrant la main: Voilà la plus belle vérité que vous ayez jamais dite. Je ne fuis pas du nombre de ces Efprits fublimes, dont vous parlez; mais tel que je fuis, je n'ai rien fait en ma vie, dont je fois véritablement content.

Le célèbre Santeul penfoit bien autrement de fes Poëties; il l'avoüa même un jour chez Thierri, à Mr. Defpréaux, qui lui dit; Vous êtes donc le feul Homme extraordinaire qui ait jamais été parfaitement content de fes Ouvrages. Alors Santeul, flaté par le titre d'Hom

me extraordinaire, & voulant faire voir qu'il ne fe croïoit pas indigne de cet Eloge, revint au fentiment de Mr. Defpréaux, & convint qu'il n'avoit jamais été pleinement satisfait des Ouvrages qu'il avoit compofés.

Mr. Despréaux citoit un jour à ce propos, ces Réfléxions de l'Auteur des Caractères: La même jufteffe d'esprit qui nous fait écrire de bonnes chofes, nous fait aprehender qu'elles ne le foient pas affez pour mériter d'être lues. Un Efprit médiocre croit écrire divinement: Un bon Esprit croit écrire raisonnablement. La Bruiere, ch. des Ouvrages de l'efprit.

Tum. I.

D

SATIRE

A.

SATIRE III.

UEL fujet inconnu vous trouble & vous altère?
D'où vous vient aujourd'hui cet air fombre & fevère,
Et ce vifage enfin plus pâle qu'un Rentier,

A l'aspect d'un Arrêt qui retranche un quartier ?
5 Qu'eft devenu ce teint, dont la couleur fleurie
Sembloit d'ortolans feuls, & de bifques nourrie,
Où la joie en fon luftre attiroit les regards,
Et le vin en rubis brilloit de toutes parts?
Qui vous a pû plonger dans cette humeur chagrine?
10 A-t-on par quelque Edit réformé la cuisine?
Ou quelque longue pluïe, inondant vos vallons,
A-t-elle fait couler vos vins & vos melons?

REMARQUES.

CEtte Satire a été faite en l'année 1665. Elle contient le recit d'un Feftin, donné par un Homme d'un goût faux & extravagant, qui fe pique néanmoins de rafiner fur la bonne chère. Ce caractère eft femblable à celui qu'Horace donne à Nafidiénus, dans la Satire VIII. du Livre II. où ce Poëte a fait le récit d'un repas ridicule. Un de nos plus célèbres Ecrivains, favant Traducteur & Commentateur d'Horace, ne paroit pas être bien entré dans le fens de fon Auteur, quand il a dit, qu'Horace avuit peint le caractère d'un Homme fort avare, qui fait une fotte oftentation de fes richeffes. Il femble au contraire, que c'eft plutôt le caractère d'un Homme qui ne manque pas de générosité, mais qui manque de goût: d'un Sot magnifique. C'étoit la penfée de Mr. Defpréaux. Regnier a fait auffi la defcription d'un Soupé ridicule, auquel il fut retenu malgré lui: C'eft dans fa dixième Satire.

Bien des gens ont crû fauffement, que Mr. Defpréaux, dans cette Satire, avoit voulu fe dépeindre fous le perfonnage de celui qui fait le recit: & fur cela, ils l'ont regardé comme un Homme d'une délicateffe exceffive en fait de bonne chère. Mais ils n'ont pas pris garde que, bien loin de fe repréfenter ici luimême, il fe moque d'un Homme qui ne peut s'accommoder que des repas exquis; & que la raillerie ne tombe pas moins fur la délica

teffe outrée de celui qui fait le récit du Feftin, que fur le Feftin même. Il a voulu repréfenter Mr. Du Brouffin, qui, felon le langage de notre Auteur, traitoit férieusement les repas. Quand il fut que Mr. Defpréaux travailloit fur cette matière, il tâcha de l'en. détourner: difant que ce n'étoit pas là un fujet fur lequel il falût plaifanter: Choififfez plûtôt les Hypocrites, lui difoit-il férieufement, vous aurez pour vous tous les honnêtes gens; mais pour la bonne chère, croyez-moi, ne badinez point là-deffus. Il fe reconnut bien dans cette peinture; mais il n'en fut aucun mauvais gré à l'Auteur.

Au refte, il y a fept Perfonnes que l'on fait parler dans cette Satire : l'Auditeur, ou celui qui interroge au commencement; & fix Convives, qui font, le Perfonnage qui fait le récit du Repas, l'Hôte, deux Nobles. Campagnards, celui qui eft défigné par le Hableur, & enfin un Poëte.

Vers 1. A.] Cette lettre, qui eft au commencement du premier vers, fignifie l'Auditeur, ou celui qui interroge; & la lettre P. qui eft devant le quatorzième vers dénote le Poëte. L'Auteur avoit deffein d'y mettre un B. pour marquer le Brouffin: mais il craignit que fon intention ne fut trop marquée.

IMITATIONS. Ibid. Quel fujet inconnu &c.] Juvénal commence ainfi fa neuvième Satire:

Scire,,

Répondez donc enfin, ou bien je me retire.

P. Ah! de grace, un moment, fouffrez que je refpire. 15 Je fors de chez un Fat, qui, pour m'empoifonner, Je penfe, exprès chez lui m'a forcé de dîner. Je l'avois bien prévû. Depuis près d'une année, J'éludois tous les jours fa pourfuite obstinée.

Mais hier il m'aborde, & me ferrant la main:
20 Ah! Monfieur, m'a-t-il dit, je vous attens demain.
N'y manquez pas au moins. J'ai quatorze bouteilles
D'un vin vieux... Boucingo n'en a point de pareilles:
Et je gagerois bien que chez le Commandeur,
Villandri priseroit fa fève, & sa verdeur.

25 Moliere avec Tartuffe y doit jouer son rôle:
Et Lambert, qui plus est, m'a donné sa parole.

REMARQUES.

Scire velim,quare toties mihi, Navole, triftis Il y avoit dans les premières Editions: Quand Occurras, fronte obducta?

unde repente Tot ruga? Vers 4. A l'aspect d'un Arrêt qui retranche un quartier?] En 1664. le Roi fuprima un quartier des rentes conftituées fur l'Hôtel de Ville: Le Chevalier de Cailli fit alors cette Epigramme, dont Mr. Defpréaux faifoit cas : De nos Rentes, pour nos péchez, Si les quartiers font retranchez, Pourquoi s'en émouvoir la bile? Nous n'aurons qu'à changer de lien: Nous allions à l'Hôtel-de-Ville, Et nous irons à l'Hôtel-Dieu. Vers 6. Et de bifques nourrie.] En ce tems-là, les Bifques étoient un mets fort eftimé.

Vers 10. A-t-on par quelque Edit reforme la cuifine?] On publia alors divers Edits de reformation.

CHANGEMENT. Vers 12. Vos vins & vos melons.] Dans la première Edition il y avoit Vos vins ou vos melons.

CHANGEMENT. Vers 13. Répondez donc enfin.] Il y avoit ici: Répondez donc du

moins.

Vers 15. Je fors de chez un Fat.] C'eft celui qui avoit donné le dîner; mais c'eft un Perfonnage feint.

CHANGEMENT. Vers 19. Mais hier.]

bier.

Vers 22.

Boucingo n'en a point de pareilles.] Boucingo, fameux Marchand de vin.

Vers 23. Chez le Commandeur.] Jaques de Souvré, Commandeur de St. Jean de Latran, & enfuite Grand Prieur de France. Il aimoit la bonne chère, & tenoit ordinairement une table fomptueufe, à laquelle affiftoient fouvent Mr. du Brouffin, & Mr. de Villandri, qui eft nommé dans le vers fuivant. Les Repas du Commandeur étoient renommez en ce tems-là, & Saint-Evremond en fait mention dans fes Ecrits *. Le Commandeur de Souvré étoit fils du Maréchal de Souvré, Gouverneur de Louis XIII. & Oncle de Madame de Louvois.

Vers 24. Villandri priferoit.] Mr. de Villandri étoit fils de Baltazar le Breton, Seigneur de Villandri, Confeiller d'Etat. Gentilhomme de la Chambre du Roi.

Vers 25. Moliere avec Tartuffe.] La Comédie du Tartuffe avoit été défendue en ce tems-là, & tout le monde vouloit avoir Moliere pour la lui entendre reciter.

Vers 26. Et Lambert, qui plus eft, &c.] Michel Lambert, fameux Muficien, étoit fouhaité par tout. C'étoit un fort bon homme,

* Converf. du Duc de Candale, avec Mr. de St, Evremont,

C'est tout dire en un mot, & vous le connoiffez.
Quoi Lambert? Oui, Lambert. A demain. C'est affez.
Ce matin donc, féduit par fa vaine promeffe,
30 J'y cours, midi fonnant, au sortir de la Messe.
A peine étois-je entré, que ravi de me voir,
Mon Homme, en m'embrassant, m'est venu recevoir,
Et montrant à mes yeux une allégreffe entiere,
Nous n'avons, m'a-t-il dit, ni Lambert ni Moliere:
35 Mais puisque je vous voi, je me tiens trop content.
Vous êtes un brave homme: Entrez. On vous attend.
A ces mots, mais trop tard, reconnoiffant ma faute,
Je le fuis en tremblant dans une chambre haute,
Où malgré les volets le Soleil irrité

40 Formoit un poëfle ardent au milieu de l'Eté:
Le couvert étoit mis dans ce Lieu de plaisance;
Où j'ai trouvé d'abord, pour toute connoiffance,
Deux nobles Campagnards, grands lecteurs de Romans,

REMARQUES.

me, qui promettoit à tout le monde, & manquoit prefque toûjours de parole. Cela eft bien marqué dans ce vers & dans les deux fuivans. C'étoit l'homme de France qui chantoit le mieux, & on le regardoit comme l'inventeur du beau chant. Il mourut à Paris, au mois de Juin 1696. âgé de 87. ans. Son corps a été mis dans le tombeau de Jean Baptifte Lulli fon Gendre.

Vers 28. Quoi Lambert? Oui, Lambert. A demain. C'eft affez.] Ce vers eft en Dialogue. Quoi Lambert? c'eft le Convié qui dit ceci. L'Hôte repond: Oui, Lambert. A demain. Et le Convié promet d'y aller, en difant; C'eft affez.

Vers 43. Deux nobles Campagnards &c.] De ces deux Campagnards il n'y en a qu'un qui foit un perfonnage réel. Voïez la Remarque fur le vers 173. de cette Satire.

Vers 44. Qui m'ont dit tout Cyrus dans leurs longs complimens. Artamene ou le Grand Cyxus, Roman de Mademoiselle de Scuderi, en dix volumes. 11 eft rempli de longues converfations, & fur tout de grans Complimens fort ennuïeux. C'eft pourquoi Furetiere a dit dans l'Hiftoire des troubles arrivés an

Royaume d'Eloquence, Que les Bourgeois de cette Place (le Roman de Cyrus) affectoient fur tout d'être fort civils, & de fort bon entretien. La plupart des gens de Province, qui s'imaginoient que le file de ces Romans étoit le ftile de la Cour, & un modèle de politeffe; formoient leur langage & leurs complimens fur le Cyrus & fur la Clélie, dont ils retenoient les façons de parler. Ces Romans,. dont le goût s'étoit répandu dans toute la France, avoient auffi produit les Précieuses: caractère que Moliere a fi bien joué. Les premiers Volumes du Roman de Cyrus commencèrent à paroître en 1649.

Vers 45. Cependant on apporte un potage&c.] Mr. Fourcroi, célèbre Avocat, s'avifa un jour,, de donner un repas femblable en tout à celui qui eft décrit dans cette Satire, à M. de Lamoignon, Avocat General; à M: de Menars, Maître des Requêtes, enfuite Préfident à Mortier; à Mr. Defpréaux; & à quelques autres. Mais fa plaifanterie ne plût point aux Conviez; & l'on dit alors, que ces fortes de repas font bons à décrire & non pas à donner.

Vers 48. Moi qui ne compte rien ni le vin

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