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Où de nouveaux Midas un Sénat monachal, 345 Tous les mois, apuïé de ta fœur l'Ignorance, Pour juger Apollon tient, dit-on, sa séance.

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EPITRE S.

ΙΟ

EPITRE I.

AURO I.

RAND ROI, c'eft vainement qu'abjurant la Satire,
Pour Toi feul deformais j'avois fait vou d'écrire.
Dès que je prens la plume, Apollon éperdu
Semble me dire: Arrête, infenfé, que fais-tu?
5 Sais-tu dans quels périls aujourd'hui tu t'engages?
Cette mer où tu cours eft célèbre en naufrages.
Ce n'est pas qu'aifément, comme un autre, à Ton char
Je ne pûffe attacher Alexandre & Céfar;

Qu'ailément je ne pûffe en quelque Ode infipide,
10 T'éxalter aux dépens & de Mars & d'Alcide:
Te livrer le Bofphore, & d'un vers incivil
Propofer au Sultan de Te ceder le Nil.
Mais pour Te bien louer, une raison févère
Me dit qu'il faut fortir de la route vulgaire:

REMARQUES.

Près le Traité d'Aix la-Chapelle, conclu au mois de Mai, 1668. la France jouilloit d'une heureufe paix. Mais la précedente guerre n'aïant duré qu'un peu plus d'une année, la valeur de la Nation n'étoit point fatisfaite; & la plupart des François ne refpiroient que la guerre. Mr. Colbert feul en détournoit le Roi: difant que la Paix étoit l'unique moïen de faire fleurir les Arts & les Sciences, & de maintenir l'abondance dans le Roïaume. Ce fut pour feconder les intentions de ce grand Miniftre, que notre Auteur compofa cette Pièce, dans laquelle il entreprit de louer le Roi comme un Heros paifible, en faifant voir qu'un Roi n'eft ni moins grand, ni moins glorieux dans la paix, que dans la guerre.

Cette Epitre fut faite en 1669. & ce fut Madame de Thiange qui la préfenta au Roi. IMITATIONS. Vers 3. Dès que je prens la plume, Apollon éperdu, &c.] Virgil. Eclog. VI.3.

Čum canerem reges & prælia, Cynthius au

rem

Vellit, admonuit.

CHANGEMENT. Vers 5. Sais-tu dans quels périls aujourd'hui tu t'engages?] Dans toutes les éditions qui ont prècedé celle de 1701. il y avoit:

Où vas-tu t'embarquer? regagne les rivages. L'Auteur avoit même mis dans la première composition:

Regagne le rivage:

Cette mer où tu cours eft célèbre en naufrage. Mais fes Amis lui confeillèrent de mettre au pluriel, célèbre en naufrages, & regagne les rivages. Cependant, comme cette dernière expreffion n'eft pas tout-à-fait jufte, il l'a corrigée en changeant le vers entier.

CHANGEMENT. Vers 7. Ce n'est pas qu'aisément, &c.] C'eft dans l'édition de 1701. qu'il a mis ainfi. Dans toutes les éditions précédentes il y avoit:

Ce n'est pas que ma main, comme un autre,
d Ton char,

Grand Roi, ne pût lier Alexandre & Cefar;
Ne put, fans fe peiner, dans quelque de
infipide, &c.
Y 2
Vers

1

15 Qu'après avoir joué tant d'Auteurs différens,
Phébus même auroit peur, s'il entroit fur les rangs:
Que par des vers tout neufs, avouez du Parnaffe,
Il faut de mes dégoûts juftifier l'audace;

Et, fi ma Muse enfin n'est égale à mon Roi, 20 Que je prête aux Cotins des armes contre moi. Elt-ce-là cet Auteur, l'effroi de la Pucelle,

Qui devoit des bons vers nous tracer le modelle,
Ce Cenfeur, diront-ils, qui nous réformoit tous?
Quoi? ce Critique affreux n'en fait pas plus que nous ?
25 N'avons-nous pas cent fois, en faveur de la France,
Comme lui, dans nos vers, pris Memphis & Byzance;
Sur les bords de l'Euphrate abbatu le Turban,
Et coupé, pour rimer, les Cedres du Liban?
De quel front aujourd'hui vient-il fur nos brisées,
30 Se revêtir encor de nos phrases usées ?

Que répondrois-je alors? Honteux & rebuté
J'aurois beau me complaire en ma propre beauté,

REMARQUES.

Vers 16. Phebus même auroit peur, s'il entroit fur les rangs.] Desmarêts dans fa Défenfe du Poëme héroïque, Dial. 4. a affecté de donner un faux fens à ce vers & au précedent. I fupofe que l'Auteur a voulu dire, qu'il fait trembler Apollon le Dieu des Poètes. Sur quoi il a accufé Mr. Despréaux d'orgueil & de préfomption. Mais bien loin qu'il y ait ici de la vanité, on ne peut donner une plus grande marque de modeftie, que le fait notre Poëte, en difant, qu'il doit fortir de la route vulgaire pour bien louer le Roi; & que fi Apollon lui-même entroit fur les rangs pour louer ce Prince, il feroit effraié d'une fi grande entreprife. Voilà le véritable fens de l'Auteur.

Vers 21.
L'effroi de la Pucelle.]
Poëme de Chapelain, dont il eft parlé en
divers endroits des Satires.

Vers 28. Et coupé, pour rimer, les Cèdres du Liban.] Dans ce vers & les deux précedens, l'Auteur fe moque des mauvais Imitateurs de Malherbe, il fait allution à cette Stance d'une Ode de ce fameux Poëte:

O combien lors aura de veuves
La Gent qui porte le Turban!

Que de fang rougira les fleuves
Qui lavent les pieds du Liban!
Que le Bofphore en fes deux rives
Aura de Sultanes captives!
Et que de meres à Memphis,
En pleurant, diront la vaillance
De fon courage & de fa lance,

Aux funerailles de leurs fils!

Théophile s'eft aufli moqué de certains Poëtes de fon tems, qui croioient avoir bien imité Malherbe, quand ils avoient emploïé ces fortes de rimes extraordinaires.

Ils travaillent un mois à chercher comme à
Fis

Pourra s'apparier la rime de Memphis;
Ce Liban, ce Turban, & ces rivieres mor-

nes,

Ont fouvent de la peine à retrouver leurs bornes.

Vers 33. Habiller chez. Francœur le fucre & la canelle.] Claude Julienne, dit Francœur, fameux Epicier, qui demeuroit dans la Rue St. Honoré, devant la Croix du Tiroir, à l'enfeigne du Franc-coeur. L'Auteur a préféré le nom de cet Epicier, parce qu'il fournilfoit la Maifon du Roi, & qu'il étoit

connu

Et de mes tristes vers admirateur unique,
Plaindre, en les relifant, l'ignorance publique.
35 Quelque orgueil en secret dont s'aveugle un Auteur,
Il eft fàcheux, GRAND ROI, de fe voir fans Lecteur,
Et d'aller du récit de Ta gloire immortelle,

Habiller chez Francœur le fucre & la canelle.
Ainfi, craignant toûjours un funefte accident,
40 J'imite de Conrart le filence prudent:
Je laiffe aux plus hardis l'honneur de la carrière,
Et regarde le champ, affis fur la barrière.

Malgré moi toutefois, un mouvement secret
Vient Hatter mon efprit qui se taît à regret.
45 Quoi, dis-je tout chagrin, dans ma verve infertile,
Des vertus de mon Roi fpectateur inutile,
Faudra-t-il fur fa gloire attendre à m'éxercer,
Que ma tremblante voix commence à fe glacer?
Dans un fi beau projet, fi ma Muse rebelle
50 N'ofe le fuivre aux champs de Lille & de Bruxelle,

REMARQUE S.

connu de Sa Majefté. On dit que le furnom de Francœur lui eft venu de ce que l'un de fes Ancêtres étant Fruitier d'Henri III. ce Roi fut fi content de l'affection & de la franchife avec laquelle cet Officier le fervoit, qu'un jour il dit obligeamment, que Julienne étoit un franc cœur. Ce furnom demeura à Julienne, & fes Defcendans en ont hérité. Mr. Defpréaux ignoroit cette particularité touchant le nom de Francœur. C'eft à propos de ce fait & de quelques autres femblables, qu'il me dit un jour: A l'air dont vous y allez, vous faurez mieux votre Boileau que moi-même

Vers 40. J'imite de Conrart le filence prudent.] Valentin Conrart, Académicien célèbre, qui n'a jamais rien écrit. Il étoit né à Paris en 1603. & il fut nommé Valentin, parce que fon Pere & fes Aïeuls étoient de Valencienne en Flandres: Ses Parens, en lui donnant ce nom, voulurent conferver le fouvenir du lieu de leur origine. Conrart étoit Secretaire du Roi; & c'eft chez lui que commencèrent les Affemblées qui donnèrent naiffance à l'Académie Françoife. Quoi

qu'il ne fut pas la Langue Latine, il ne
laiffoit pas d'avoir acquis toutes les con-
noiffances qu'un Homme de Lettres peut
avoir. Il étoit même confulté fur les Ouvra-
ges d'efprit, comme un Homme qui s'étoit
acquis le droit de juger & de décider. Il
mourut le 21. de Septembre 1675. & ce ne
fut qu'après fa mort que notre Auteur le
nomina dans ce vers; car dans toutes les édi-
tions précedentes il avoit mis: J'observe fur
Ton nom un filence prudent. Ce dernier mot
eft une louange équivoque, & fait allufion à
cette Epigramme de Liniere;

Conrart, comment as-tu pû faire
Pour acquerir tant de renom?
Toi qui n'as, pauvre Secretaire*,
Jamais imprimé que ton nom.
Après fa mort on a publié un Recueil de fes
Lettres, & il avoit fait des Satires qui n'ont
pas vû le jour.

Vers 50.

De Lille & de Bruxelle.] La campagne de Flandres, faite par le Roi, en l'année 1667. Vers

Il étoit auffi Secretaire de l'Academie Française.

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