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SATIRE I.

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AMON ce grand Auteur, dont la Mufe fertile
Amufa fi long-tems & la Cour & la Ville:
Mais qui n'étant vétu que de fimple bureau,
Paffe l'été fans linge, & l'hiver fans manteau:

REMARQUES.

Ette Satire a été commencée vers l'année 1660., & c'eft le premier ouvrage confidérable que notre Auteur ait composé. Il y décrit la retraite & les plaintes d'un Poëte, qui ne pouvant plus vivre à Paris, va chercher ailleurs une deftinée plus heureuse.

qu'environ foixante. Tout le reste a été ou fupprimé ou changé.

C'est une imitation de la troifième Satire de Juvénal, dans laquelle eft auffi décrite la retraite d'un Philofophe qui abandonne le féjour de Rome, à caufe des vices affreux qui y regnoient. Juvénal y décrit encore les embarras de la même ville; &, à fon exemple,,, Mr. Despréaux, dans cette premiere Satire, avoit fait la defcription des embarras de Pa-,, ris; mais il s'aperçut que cette description étoit comme hors d'ouvre, & qu'elle faifoit un double fujet. C'est ce qui l'obligea à l'en détacher, & il en fit une Satire particuliere, qui eft la fixième.

Il ne faifoit pas grand cas de cette Pièce. A peine avoit-il pû fe réfoudre à la lire à quelques amis particuliers; lors qu'un jour l'Abbé Furetiere, qui avoit été reçu depuis peu à l'Académie Françoife, rendit une vifite au Frere de Mr. Deipréaux, qui étoit fon Ami, & fon Confrère. Comme Mr. Boileau l'Académicien étoit forti, Furetiere s'arrêta avec Mr. Defpréaux, & lût cette Satire. Il en fut fort content; & quoi qu'elle fût affez éloignée de la perfection à laquelle l'Auteur l'a portée depuis, il convint de bonne foi qu'elle valoit beaucoup mieux que toutes celles qu'il avoit faites lui-même. Il encouragea ce jeune Poëte à continuer; & lui demanda même une copie de la nouvelle Satire, qui devint bientôt publique par les autres copies qu'on en fit. Cette Satire étoit alors dans un état bien different de celui auquel l'Auteur la mit avant que de la faire imprimer: car, de 212. vers qu'elle contenoit, il n'en a confervé

Gilles Boileau.

↑lly a 5. Satires de Furetiere imprimées. Tom. I.

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Vers 1. Damon, ce grand Auteur, &c.] Damon: François Caffandre, Auteur celèbre de ce tems-là. Il étoit favant en Grec & en Latin, & faifoit affez bien des vers François; mais fon humeur bourruë & farouche, qui le rendoit incapable de toute focieté, lui fit perdre tous les avantages que la fortune pût lui préfenter: de forte qu'il vêcut d'une manière très-obfcure & très miferable.,, Il mourut tel qu'il avoit vêcu; c'est-à-dire, trèsmifanthrope, & non feulement haïffant les hommes, mais aiant même affez de peine à fe réconcilier avec Dieu, à qui, difoit-il en mourant, il n'avoit aucune obligation*. Le Confeffeur qui l'affiftoit à la mort, voulant l'exciter à l'amour de Dieu, par le fouvenir des graces que Dieu lui avoit faites: Ab! oni, dit Caffandre, d'un ton chagrin & ironique, je lui ai de grandes obligations; il m'a fait jouer ici bas un joli perfonnage. Et comme fon Confeffeur infiftoit à lui faire reconnoître les graces du Seigneur : Vous favez, ditil, en redoublant l'amertume de fes reproches, & montrant le grabat fur lequel il étoit couché: Vous favez comme il m'a fait vivre; voyez comme il me fait mourir.

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Caffandre a traduit en François les derniers volumes de l'Hiftoire de Mr. de Thou, que Du Rycr avoit laiffez à traduire. Il a fait auffi les Parallèles hiftoriques, & fa Traduction de la Rhetorique d'Ariftote. Cette Traduction eft fort eftimée; & Mr. Defpréaux, pour engager le Libraire à faire quelque gratification à l'Auteur, en parla très-avantageufement à la fin de la Préface fur le Sublime de Longin, dans l'édition de 1675.

Vers 4. Paffe l'été fans linge, & l'hiver fans manteau. Quoique Caffandre, fous le

nom

Lettre de Mr. Despréaux, dont l'Original eft entre les mains de l'Auteur de ces Notes. B

5 Et de qui le corps fec, & la mine affamée, N'en font pas mieux refaits pour tant de renommée: Las de perdre en rimant & fa peine & fon bien, D'emprunter en tous lieux, & de ne gagner rien, Sans habits, fans argent, ne fachant plus que faire, 10 Vient de s'enfuir chargé de fa feule mifere;

15

Et bien loin des Sergens, des Clercs, & du Palais,
Va chercher un repos qu'il ne trouva jamais :
Sans attendre qu'ici la Justice ennemie
L'enferme en un cachot le refte de sa vie;
Ou que d'un bonnet vert le falutaire affront
Flétriffe les lauriers qui lui couvrent le front.

Mais le jour qu'il partit, plus défait & plus blême
Que n'est un Pénitent fur la fin d'un Carême,
La colere dans l'ame, & le feu dans les yeux,
20 Il distila fa rage en ces triftes adieux:

Puifqu'en ce lieu, jadis aux Muses fi commode,
Le Merite & l'Esprit ne font plus à la mode,
Qu'un Poëte, dit-il, s'y voit maudit de Dieu,
Et qu'ici la Vertu n'a plus ni feu ni lieu;

25 Allons du moins chercher quelque antre ou quelque roche,

REMARQUES.

nom de Damon, foit le heros de cette Satire,
l'Auteur n'a pas laillé de charger ce caractère
de plusieurs traits qu'il a empruntez d'autres
O ginaux. Ainfi c'est Tristan l'Hermite qu'il
avot en vûë dans ce vers, & non pas Caffan-
dre; car celui-ci portoit un manteau en tout
tems, & l'autre n'en avoit point du tout:
témoin cette Epigramme de Mr. De Mont-
mor, Maître des Requêtes:

Elie, ainfi qu'il est écrit,
De fon Manteau comme de fon Efprit
Récompenfa fon Serviteur fidèle.
Tristan eût fuivi ce modèle;

Mais Triftan, qu'on mit au tombeau
Plus pauvre que n'est un Prophete,
En laiffant à Quinaut fon efprit de Poëte,
Ne put lui laiffer un Manteau.
CHANGEMENT. Vers 10. Vient de s'en-
fuir.] Dans les premières éditions il y avoit:
S'en est enfui.

Vers 15. Ou que d'un bonnet vert le falutaire affront.] Ce vers exprime figurément la Ceffion de biens; c'est-à-dire, l'abandonnement que fait un debiteur, de tous fes biens à fes créanciers, pour éviter la prison, ou pour en fortir. Le bénefice de la Ceffion avoit été introduit chez les Romains par une Loi particulière*, pour tempérer la rigueur de la Loi des douze Tables, qui rendoit les créanciers maîtres de la liberté, & de la vie même de leurs débiteurs. Les Ceffions de biens devinrent fi fréquentes, que l'on crût devoir en arrêter la trop grande facilité par la crainte de la honte publique; & l'on s'avifa en quelques endroits d'Italie d'obliger tout Ceffionaire de biens de porter un bonnet ou chapeau orangé; & à Rome, un bonnet vert: pour marquer, dit Pafquier †, que celui

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D'où jamais ni l'Huiffier, ni le Sergent n'aproche;
Et fans laffer le Ciel par des vœux impuissans,
Mettons-nous à l'abri des injures du tems;

Tandis que

libre encor, malgré les destinées, 30 Mon corps n'est point courbé fous le faix des années ; Qu'on ne voit point mes pas fous l'âge chanceler, Et qu'il reste à la Parque encor dequoi filer.

C'est-là dans mon malheur le feul confeil à fuivre.
Que George vive ici, puisque George y fait vivre,
35 Qu'un million comptant, par fes fourbes aquis,
De Clerc, jadis Laquais, a fait Comte & Marquis.
Que Jaquin vive ici, dont l'adreffe funeste

A plus caufé de maux que la guerre
& la pefte,
Qui de fes revenus écrits par alphabet,

40 Peut fournir aisément un Calépin complet.

Qu'il regne dans ces lieux; il a droit de s'y plaire. Mais moi, vivre à Paris! Eh, qu'y voudrois-je faire ? Je ne fai ni tromper, ni feindre, ni mentir, Et quand je le pourrois je n'y puis consentir. 45 Je ne fai point en lâche effuïer les outrages

D'un Faquin orgueilleux qui vous tient à ses gages,

REMARQUES.

lui qui fait Ceffion de biens eft devenu pauvre par fa folie. Cette peine ne s'eft introduite en France que depuis la fin du feizième Siècle, fuivant les Arrêts raportez par nos Jurifconfultes; mais elle eft comme abolie depuis quelque tems parmi nous.

IMITATIONS. Vers 21. Puisqu'en ce lieu, jadis aux Mufes fi commode.] C'est ici particuliérement que commence l'imitation de Juvénal, Sat. 3. v. 21.

quando artibus,inquit,honeftis Nullus in Urbe locus, nulla emolumenta laborum; &c.

IMITATIONS. Vers 29. Tandis que libre encor &c.] Juvénal au même endroit:

Dùm nova canities, dùm prima & recta fenectus,

Dùm fupereft Lachefi quod torqueat,& pe

dibus me

Porto meis; nullo dextram fubeunte bacillo.

Vers 34. Que George vive ici, &c.] Vers 37. Que faquin &c.] Sous ces noms-là l'Auteur déligne les Partisans en géneral.

IMITATIONS. Ibid. Que George vive ici.] Juvénal au même endroit :

Vivant Arturius illic, Et Catulus: maneant qui nigrum in candida vertunt. Vers 40. Un Calepin complet.] Le Dictionaire de Calépin est en deux gros volumes.

IMITATIONS. Vers 42. Mais moi, vivre à Paris! &c.] Juvénal, là-même, v. 41. Quid Rome faciam? mentiri nefcio. IMITATIONS. Vers 45. Je ne fai point en láche &c.] Térence dans l'Eunuque. At ego infelix, neque ridiculus effe, neque plagas pati Poffum. A&.2.fc. 3. v. 14.

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De mes Sonnets flateurs laffer tout l'Univers, Et vendre au plus offrant mon encens & mes vers. Pour un fi bas emploi ma Muse est trop altiere. 50 Je suis rustique & fier, & j'ai l'ame groffiere. Je ne puis rien nommer, fi ce n'eft par fon nom. J'appelle un chat un chat, & Rolet un fripon. De fervir un Amant, je n'en ai pas l'adreffe. J'ignore ce grand art qui gagne une maîtresse, 55 Et je fuis à Paris, trifte, pauvre & reclus, Ainfi qu'un corps fans ame, ou devenu perclus.

REMARQUES.

Vers 47. De mes Sonnets flateurs.] Allufion aux Sonnets que Pelletier faifoit à la louange de toutes fortes de gens. Voyez la Remarque fur le vers 54.du Difcours au Roi. Vers 50. Je fuis rustique & fier, &c.] Caractère du Sieur Caffandre, qui étoit farouche & groffier jufqu'à la rufticité.

Vers 51. Je ne puis rien nommer, fi ce n'eft par fon nom.] L'Auteur fait allufion à la belle réponse que Philippe Roi de Macedoine fit à Lafthène Olynthien, qui s'étoit retiré à la Cour de ce Prince après lui avoir vendu par trahifon la ville d'Olynthe fa patrie. Lafthène alla fe plaindre à Philippe, de quelques Courtifans Macédoniens qui l'avoient apelé Traitre; & demanda Juftice de cette injure. Ce Roi lui répondit froidement: Les Macédoniens font fi groffiers, qu'ils ne favent nommer les chofes que par leur nom. Plut.dans les Apopht. des Rois & des Capitaines.

Vers 52. J'appelle un chat un chat; &c.] Ce vers a paffé en proverbe parmi nous, à caufe de fa fimplicité, & du fens naïf qu'il renferme. Les Grecs avoient auffi un proverbe, dont le fens répond à celui-ci: Tauna cuna, Tv σná v oнáy Néywv. Il apelle les figues des figues, & un bateau il Vapelle un bateau. Erafine, dans fes Adages, Chil. 2. Cent. 3. n. 5. Rabelais a eû ce proverbe en vûë quand il a dit: Nous fommes fimples gens, puifqu'il plait à Dieu, & appelons les figues figues &c. L. IV. 54.

Ibid. Et Rolet un fripon.] Charles Rolet, Procureur au Parlement, étoit fort décrié, & on l'appeloit communément au Palais, l'ame damnée. Mr. le Premier Préfident de Lamoignon emploïoit le nom de Rolet, pour fignifier un Fripon infigne: C'est

un Rolet, difoit-il ordinairement. On peut voir le caractère de ce Procureur, fous le nom de Vollichon, dans le Roman Bourgeois de Furetiére pages 24 & 27. Ed. d'Amft.1714. Il avoit été fouvent noté en juftice; mais enfin ayant été convaincu d'avoir fait revivre une obligation de cinq cens livres, dont il avoit déja reçu le payement; il fut condamné par Arrêt, au bannitlement pour neuf ans, en 4000. livres de réparation civile, en diverfes amendes, & aux dépens. La minute & la groffe de cette obligation furent déclarées nulles, & il fut ordonné qu'elles feroient lacérées par le Greffier en la préfence de Rolet. Cet Arrêt eft du 12. Août 168r. Rolet fut enfuite déchargé de la peine du banniffement, & obtint une place de Garde au Château de Vincennes, où il mourut. Dans la feconde Edition des Satires, l'Au teur mit cette note à côté du nom de Rolet:

Hôtelier du Pais Blaifois; afin de dépaïfer les Lecteurs: mais par malheur il fe trouva en ce païs-là un Hôtelier de même nom, qui lui en fit faire de grandes plaintes. Dans une première Edition qui fut faite en 1665. à Rouen, fans la participation de l'Auteur, on avoit mis un autre nom que celui de Rolet.

IMITATIONS. Vers 56.Ainfi qu'un corps fans ame, ou devenu perclus.] Juvénal, dans la même Satire troisième, v. 46.

Tamquam Mancus, & exftincte corpus non utile dex

træ.

IMITATIONS. Vers 63. Et que le Sort
burlefque &c.] Juvénal Sat. VII. v. 197.
Si Fortuna volet, fies de Rhetore Conful:
Si volet hæc eadem, fies de Confule Rhetor.
Pline le Jeune a dit à peu près la même

cho

Mais, pourquoi, dira-t-on, cette Vertu fauvage,
Qui court à l'hôpital, & n'eft plus en usage?
La Richeffe permet une jufte fierté.

60 Mais il faut être fouple avec la Pauvreté.
C'est par-là qu'un Auteur, que preffe l'indigence,
Peut des Aftres malins corriger l'influence,

Et que le Sort burlesque, en ce fiècle de fer, D'un Pédant, quand il veut, fait faire un Duc & Pair. 65 Ainfi de la Vertu, la Fortune fe jouë.

Tel aujourd'hui triomphe au plus haut de sa rouë,

REMARQUES.

chofe: Quos tibi, Fortuna, lados facis? facis enim ex Profefforibus Senatores, ex Senatoribus Profeffores.

Ibid.

En ce fiècle de fer.] M. le Duc de Montauzier condamnoit hautement les Satires de notre Auteur, & fur tout ces deux vers, qu'il difoit être extrémement injurieux à la perfonne du Roi à cause de ces mots: En ce fiècle de fer. Mais cette accufation ne rendit point le Poëte coupable aux yeux de Sa Majesté.

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Vers 64. D'un Pédant fait faire un Duc & Pair.] En 1655. l'Abbé de la Rivière, Louis Barbier, fut fait Evêque de Langres, Duc & Pair de France. Il avoit été Régent au Collège du Pleffis, & enfuite Aumônier de M. Habert, Evêque de Cahors, Premier Aumônier de Gafton Duc d'Orleans, qui le mit auprès de ce Prince. L'Abbé de la Rivière entra fi habilement dans toutes les inclinations de fon Maître, qu'il devint luimême le maître abfolu de fon cœur & de fon efprit; mais il ne fe fervit de la confiance du Prince, que pour le trahir, en découvrant tous fes fecrets au Cardinal Mazarin. Pour récompenfe il obtint fucceffivement plufieurs Abbaïes, & enfin l'Evêché de Langres. Il mourut à Paris, en 1670. Il avoit été nommé au Cardinalat.

Vers 65. Ainfi de la Vertu.] Avant ce vers il y en avoit vingt-quatre autres, que l'Auteur retrancha dans l'édition de 1674. ne les trouvant pas dignes du refte. Les voici:

Je fai bien que fouvent, un cœur láche &
Servile

A trouvé chez les Grands un esclavage utile:
Et qu'un Riche pourroit, dans la fuite du

tems,

D'un flateur affamé payer les foins ardents. Mais avant que pour vous il parle, ou qu'il agiffe,

Il faut de fes forfaits devenir le Complice; Et fachant de fa vie l'horreur, & le cours, Le tenir en état de vous craindre toûjours: De trembler qu'à toute heure, un remors légitime

Ne vous force à le perdre, en découvrant fon crime.

Car n'en attendez rien, fi fon efprit difcret
Ne vous a confié qu'un honnête fecret.
Pour de fi hauts projets je me fens trop tim
mide:

L'incefte me fait peur, & je bais l'homicide:
L'adultere && le vol allarment mes efprits.
Je ne veux point d'un bien qu'on achete ace
prix.

Non, non, c'eft vainement qu'au mépris du Parnaffe,

Firois de porte en porte étaler ma difgrace. Il n'est plus d'honnête homme, & Diogène

en vain,

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