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AU LECTEUR.

OICI enfin la Satire qu'on me demande depuis fi long-tems. Si j'ai tant tardé à la mettre au jour, c'est que j'ai été bien aife qu'elle ne parût qu'avec la nouvelle Edition qu'on faifoit de mon Livre * où je voulois qu'elle fut inferée. Plufieurs de mes Amis, à qui je l'ai luë, en ont parlé dans le monde avec de grans éloges, & ont publié que c'étoit la meilleure de mes Satires. Ils ne m'ont pas en cela fait plaifir. Je connois le Public. Je fai que naturellement il fe revolte contre ces louanges outrées, qu'on donne aux Ouvrages avant qu'ils aient paru; que la plupart des Lecteurs ne lifent ce qu'on leur a elevé fi haut, qu'avec un deffein formé de le rabaiffer.

Je declare donc que je ne veux point profiter de ces difcours avantageux: & non feulement je laffe au Public fon jugement libre, mais je donne plein pouvoir à tous ceux qui ont tant critiqué mon Ode fur Namur, d'exercer auffi contre ma Satire toute la rigueur de leur Critique. J'espère qu'ils le feront avec le même fuccès: 3 je puis les affurer que tous leurs difcours ne m'obligeront point à rompre l'espèce de vœu que j'ai fait de ne jamais défendre mes Ouvrages, quand on n'en attaquera que les mots & les fyllabes. Je faurai fort bien foutenir contre ces Cenfeurs, Homère, Horace, Virgile, & tous ces autres grans Perfonnages dont j'admire les Ecrits: mais pour mes Ecrits que je n'admire point, c'est à ceux qui les approuveront à trouver des raifons pour les défendre. C'est tout l'avis que j'ai à donner ici au Lecteur.

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La bienféance néanmoins voudroit, ce me femble, que je fille quelque excufe au Beau Sexe de la liberté que je me fuis donnée de peindre fes vices. Mais au fond, toutes les peintures que je fais dans ma Satire font fi générales, que bien loin d'appréhender que les Femmes s'en offenfent, c'eft fur leur approbation & fur leur curiofité que je fonde la plus grande efperance du fuccès de mon Ouvrage. One chofe au moins, dont je fuis certain qu'elles me loueront; c'est d'avoir trouvé moïen, dans une matiére auffi délicate qu'eft celle que j'y traite, de ne pas laiffer échaper un feul mot qui pût le moins du monde blefer la pudeur. F'espère donc que j'obtiendrai aifement ma grace, & qu'elles ne Jeront pas plus choquées des prédications que je fais contre leurs défauts dans cette Satire, que des Satires que les Prédicateurs font tous les jours en chaire contre ces mêmes défauts.

* En 1694

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SATIRE X.

NFIN bornant le cours de tes galanteries, Alcippe, il eft donc vrai, dans peu tu te maries. Sur l'argent, c'est tout dire, on eft déja d'accord. Ton Beaupere futur vuide fon coffre fort: Et déja le Notaire a, d'un ftile énergique, Griffonné de ton joug l'Inftrument authentique. C'est bien fait. Il eft tems de fixer tes defirs. Ainfi que ses chagrins l'Hymen a fes plaifirs. Quelle joie en effet, quelle douceur extrême! 10 De fe voir careffé d'une Epouse qu'on aime: De s'entendre appèler petit Cœur, ou mon Bon; De voir autour de foi croître dans fa maison, Sous les paifibles loix d'une agréable Mere, De petits Citoïens dont on croit être Pere!

REMARQUES.

L'Auteur avoit formé le deffein de faire une

Satire contre les Femmes, long-tems avant que de l'éxécuter. Ses occupations Poëtiques avoient été interrompues par le glorieux emploi d'Hiftoriographe du Roi. Il fe rengagea dans la Poelie, pour_venger l'honneur des Anciens, que Mr. Perrault avoit outragez dans un petit Poëme, intitulé, Le Siècle de Louis le Grand, & dans fes Dialogues fur le Parallèle des Anciens & des Modernes.

Notre Auteur fit d'abord une Ode à la manière de Pindare, pour juftifier ce Poëte du faux jugement que Mr.Perrault avoit porté contre lui en particulier*. Mr. Despréaux lui-même fut maltraité dans la fuite des mêmes Dialogues; mais il ne voulut pas répondre à fon Adverfaire par un Ouvrage exprès: étant convaincu, difoit-il, que les Ecrits qui ne roulent que fur des difputes particulières ou perfonnelles, ne font pas de longue durée; & qu'autant qu'on le peut, il faut choifir des fujets généraux pour plaire au Public, & fur tout pour aller à la Pofterité.

* Parallèle des Anciens & des Modernes. Dial. I. p. 27. Suiv.

Tom. I.

Ce fut à cette occafion qu'il reprit fon premier deffein, & qu'il compofa cette Satire dixième, dans laquelle il fe contenta de toucher, en paffant, les Dialogues de Mr. Perrault contre les Anciens, comme on le verra dans la fuite. Elle fut achevée en 1693. & publiée l'année suivante.

Vers 1. Enfin, bornant le cours de tes galanteries, &c.] Mr. Racine n'étoit pas content de ces deux vers: la conftruction ne lui en paroiffoit pas affez nette. Il le manda à Mr. de Maucroix, Chanoine de Rheims, leur Ami commun, & Mr. de Maucroix les tourna de cette manière:

Alcippe, il eft donc vrai qu'enfin l'on te ma

rie,

Et que tu prens congé de la galanterie. Mais Mr. Defpréaux ne s'en accommoda point, les aïant trouvez foibles & profaïques. Alcippe eft un Perfonnage inventé. Vers 6.

L'Inftrument authentique.] Inftrument, en ftile de Pratique, fignifie un Contract, un Acte public.

Vers 11.
Petit Cœur, ou mon Bon.]
Madame Colbert appeloit ainfi fon Mari.

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15 Quel charme, au moindre mal qui nous vient menacer.
De la voir auffi-tôt accourir, s'empreffer,
S'effraïer d'un péril qui n'a point d'apparence,
Et fouvent de douleur fe pâmer par avance!
Car tu ne feras point de ces Jaloux affreux,
20 Habiles à se rendre inquiets, malheureux,
Qui tandis qu'une Epouse à leurs yeux fe désole,
Pensent toûjours qu'un Autre en fecret la confole.

Mais quoi, je voi déja que ce difcours t'aigrit?
Charmé de Juvénal, & plein de fon efprit
25 Venez-vous, diras-tu, dans une pièce outrée,
Comme lui nous chanter: Que des le tems de Rhée,
La Chafteté déja, la rougeur fur le front,
Avoit chez les Humains reçû plus d'un affront:
Qu'on vit avec le fer naître les Injustices,
30 L'Impieté, l'Orgueil, & tous les autres Vices,
Mais que la Bonne Foi dans l'amour conjugal
N'alla point jufqu'au tems du troisième Métal?
Ces mots ont dans fa bouche une emphaze admirable:
Mais je vous dirai, moi, fans alléguer la fable,
35 Que fi fous Adam même, & loin avant Noé,
Le Vice audacieux, des Hommes avoué,
A la triste Innocence en tous lieux fit la guerre,

REMARQUES.

Vers 18. Et fouvent de douleur fe pamer par avance.] Ce caractère convient à la plupart des femmes. Cependant le Poëte a eu particulièrement en vue Madame B. . . . qui témoignoit des fraieurs exceffives au moindre mal dont fon mari étoit menacé: elle fe pâmoit: il lui faloit jetter de l'eau fur le vilage.

Vers 24. Charmé de Juvénal, &c.] Juvénal a fait une Satire contre les femmes, qui eft fon plus bel Ouvrage. Cette Note eft de l'Auteur même, qui l'avoit mife à la marge

de cette Satire dixième.

Vers 26. Que dès le tems de Rhée, &c.] A côté de ce vers & des fix fuivans, -l'Auteur avoit mis cette Note: Paroles du

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Vers 44. Il en est jusqu'à Trois, &c.] A la rigueur on en trouveroit peut-être davantage, difoit l'Auteur en plaifantant.

Il demeura pourtant de l'honneur fur la Terre: Qu'aux tems les plus féconds en Phrynés, en Laïs, 40 Plus d'une Pénélope honora fon païs;

Et que même aujourd'hui, fur ce fameux modèle,
On peut trouver encor quelque Femme fidèle.
Sans doute; & dans Paris, fi je fai bien compter,
Il en eft jufqu'à Trois, que je pourrois citer.
45 Ton Epouse dans peu fera la quatrième.

Je le veux croire ainfi. Mais la Chasteté même,
Sous ce beau nom d'Epouse, entrât-elle chez toi;
De retour d'un voïage en arrivant, croi-moi,
Fais toûjours du logis avertir la Maîtreffe.
50 Tel partit tout baigné des pleurs de fa Lucrèce;
Qui, faute d'avoir pris ce foin judicieux,

Trouva. Tu fais.... Je fais que d'un conte odieux
Vous avez comme moi fali votre mémoire.
Mais laissons-là, dis-tu, Joconde & son Histoire.
55 Du projet d'un Hymen déja fort avancé,
Devant vous aujourd'hui criminel dénoncé,
Et mis fur la fellette aux piés de la Critique,
Je voi bien tout de bon qu'il faut que je m'explique.
Jeune autrefois par vous dans le monde conduit,
60 J'ai trop bien profité, pour n'être pas inftruit

REMARQUES.

Vers 52. Trouva. Tu fais....] Tout le monde fait l'Hiftoire de Joconde mife en vers par le célèbre La Fontaine; mais tout le monde ne fait pas que la Differtation fur Joconde, imprimée parmi les Contes de cet Auteur, eft de Mr. Defpréaux. Bouillon, *méchant Poëte, avoit auffi mis en vers François la même Avanture de Joconde, tirée de l'Ariofte. Il y eût une gageure confiderable fur la préference de ces deux Ouvrages, entre l'Abbé Le Vayer, & un nommé St. Gilles, Homme d'un caractère fort particulier. Ils s'en raportèrent à Moliere, qui ne voulut pas dire fon fentiment de peur de faire * Il mourut en 1662, & fes Poëfies furent imprimées en

1663.

perdre la gageure à St. Gilles; mais Mr. Defpréaux décida le differend par cette Differtation. Il étoit fort jeune alors: & dans la fuite il témoignoit à fes Amis un grand regret d'avoir emploïé fa plume à défendre un Ouvrage du caractère de Joconde.

Vers 59. Jeune autrefois par vous &c.] Ce vers & le fuivant n'étoient pas ainfi. Mr. le Prince de Conti, à qui l'Auteur récita cette Satire, n'aprouvoit pas que l'un des deux Interlocuteurs de ce Dialogue tutoïât l'autre. Cette objection obligea notre Poëte de faire dire à celui qui fe va marier, qu'il a été autrefois fous la conduite de l'autre : ce qui autorife ce dernier à le traiter plus familière

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A quels difcours malins le Mariage expofe.
Je fai, que c'eft un texte où chacun fait sa glose.
Que de Maris trompez tout rit dans l'Univers,
Epigrammes, Chanfons, Rondeaux, Fables en vers,
65 Satire, Comédie: & fur cette matiere,

J'ai vu tout ce qu'ont fait La Fontaine & Moliere:
J'ai lu tout ce qu'ont dit Villon & Saint Gelais,
Ariofte, Marot, Bocace, Rabelais,

Et tous ces vieux Recueils de Satires naïves, 70 Des malices du Sexe immortelles archives.

Mais tout bien balancé, j'ai pourtant reconnu,
Que de ces contes vains le Monde entretenu
N'en a pas de l'Hymen moins vû fleurir l'usage;
Que fous ce joug moqué, tout à la fin s'engage:
75 Qu'à ce commun filet les Railleurs mêmes pris,
Ont été très-fouvent de commodes Maris;
Et que pour être heureux fous ce joug falutaire,
Tout dépend, en un mot, du bon choix qu'on fait faire.
Enfin, il faut ici parler de bonne foi,

80 Je vieillis, & ne puis regarder sans effroi,
Ces Neveux affamez, dont l'importun visage
De mon bien à mes yeux fait déja le partage.
Je croi déja les voir, au moment annoncé

Qu'à la fin, fans retour, leur cher Oncle eft paffé, 85 Sur quelques pleurs forcez, qu'ils auront foin qu'on voie, Se faire confoler du fujet de leur joie.

Je me fais un plaifir, à ne vous rien celer,
De pouvoir, moi vivant, dans peu les désoler;

REMAR QUE S..

Vers 69. Et tous ces vieux Recueils de Satires naives.] Les Contes de la Reine de Navarre: &c.

Vers 75. Qu'à ce commun filet les Railleurs mêmes pris.] La Fontaine, après avoir plaifanté en mille endroits de fes Poëfies, fur la galanterie, & l'infidélité des femmes, ne laiffa pas de fe marier.

Vers 97. Ces Hiftoires de morts, &c.F Blandin & De Roffet ont compofé les Hiftoires tragiques de notre tems, où font contenues les morts funeftes & lamentables de plufieurs perfonnes, &C.

Vers 103. Et fi,durant un jour,notre pre-
mier Aseul,.

Plas riche d'une côte, avoit vécu tout seul.]
L'Au-

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