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développe ; l'on en suit la gradation depuis les éléments les plus simples, jusqu'à l'état le plus composé. C'est la faim, c'est la soif, qui, dans l'homme encore sauvage, éveillent les premiers mouvements de l'ame et du corps; ce sont ces besoins qui le font courir, chercher, épier, user d'astuce ou de violence: toute son activité se mesure sur les moyens de pourvoir à sa subsistance. Sont-ils faciles, a-t-il sous sa main les fruits, le gibier, le poisson? il est moins actif, parcequ'en étendant le bras, il se rassasie, et que, rassasié, rien ne l'invite à se mouvoir, jusqu'à ce que l'expérience de diverses jouissances ait éveillé en lui les désirs qui deviennent des besoins nouveaux, de nouveaux mobiles d'activité. Les moyens sont-ils difficiles? le gibier est-il rare et agile, le poisson rusé, les fruits passagers? alors l'homme est forcé d'être plus actif; il faut que son corps et son esprit s'exercent à vaincre les difficultés qu'il rencontre à vivre; il faut qu'il devienne agile comme le gibier, rusé comme le poisson, et prévoyant pour conserver les fruits. Alors, pour étendre ses facultés naturelles, il s'agite, il pense, il médite; alors il imagine de courber un rameau d'arbre pour en faire un arc, d'aiguiser un roseau pour en faire une flèche, d'emmancher un bâton à une pierre tranchante pour en faire une hache; alors il travaille à faire des filets, à abattre des arbres, à en creuser le trone pour en faire des pirogues. Déjà il a franchi les bornes des besoins; déjà l'expérience d'une foule de sensations lui a fait connaître des jouissances et des peines, et il prend un surcroît d'activité pour écarter les unes et multiplier les autres. Il a goûté le plaisir d'un ombrage contre les feux du soleil ; il se fait une cabane. Il a éprouvé qu'une peau le garantit du froid; il se fait un vêtement. Il a bu l'eau-de-vie et fumé le tabac; il les a aimés. Il veut en avoir encore : il ne le peut qu'avec des peaux de castor,des dents d'éléphant, de la poudre d'or, etc.;

il redouble d'activité, et il parvient, à force d'industrie, jusqu'à vendre son semblable (1).

VOLNEY. Voyage en Syrie.

Sully dans la retraite.

L'histoire a peint des sages dans la retraite, des héros dans l'oppression; mais elle n'offre rien de plus grand que la dignité de Sully dans le malheur. C'était la dignité de la vertu même, sur laquelle et les hommes, et les cours, et les rois ne peuvent rien. La grandeur qui était dans son ame se répandait sur toute sa maison. Un nombre prodigieux de domestiques, une foule de gardes, d'écuyers, de gentilshommes ; un luxe, non de frivolité, mais de magnificence; un appareil imposant, le respect de mille vassaux, la subordination d'une famille illustre; des appartements immenses, et où les belles actions de Henri IV étaient représentées avec celles de son ministre ; des parcs où régnaient la simplicité et la grandeur; au milieu de tous ces objets, Sully en cheveux blancs, conservant les modes antiques, portant sur sa poitrine * l'image de Henri IV, la sainte gravité de ses discours, la majesté de ses regards, le siège plus élevé qui le distinguait au milieu de ses enfants, l'accueil honorable que recevaient dans sa maison tous les vieillards, le silence è mêlé de crainte et le respect des jeunes gens que leurs pères conduisaient par la main pour voir ce grand homme: tout cela réuni semblait offrir quelque chose de plus qu'humain, et portait dans les coeurs je ne sais quelle

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(1) Voyez Tableaux, en vers le Besoin, père des Arts etc.

émotion qui élevait l'ame en l'étonnant. O mœurs trop différentes des nôtres ! C'est ainsi qu'il passa trente ans dans la retraite, sans se plaindre des hommes, ni de leur injustice, pleurant son ancien roi, fidèle au nouveau, estimé et haï de Richelieu, ayant survécu à tout, excepté à la vertu. Elle descendit avec lui dans sa tombe. La mort termina une carrière de quatre-vingt-deux ans, dont cinquante furent employés pour le bonheur de l'État, et le reste aurait pu l'être.

THOMAS. Eloge de Sully.

Modestie de Turenne.

Qui fit jamais de si grandes choses? qui les dit avec plus de retenue? Remportait-il quelque avantage? à l'entendre, ce n'était pas qu'il fût habile, mais l'ennemi s'était trompé. Rendait-il compte d'une bataille, il n'oubliait rien, sinon que c'était lui qui l'avait gagnée. Racontait-il quelques unes de ces actions qui l'avaient rendu si célèbre? on eût dit qu'il n'en avait été que le spectateur, et l'on doutait si c'était lui qui se trompait, ou la renommée. Revenait-il de ces glorieuses campagnes qui rendront son nom immortel? il fuyait les acclamations -populaires, il rougissait de ses victoires, il venait recevoir edes éloges comme on vient faire des apologies, et n'osait 99 presque aborder le roi, parcequ'il était obligé, par respect, de souffrir patiemment les louanges dont sa majesté one manquait jamais de l'honorer.

lq C'est alors que dans le doux repos d'une condition privée, ce prince, se dépouillant de toute la gloire qu'il -avait acquise pendant la guerre, et se renfermant dans une société peu nombreuse de quelques amis choisis, il

s'exerçait sans bruit aux vertus civiles: sincère dans ses discours, simple dans ses actions, fidèle dans ses amitiés, exact dans ses devoirs, réglé dans ses désirs, grand même dans les moindres choses. Il se cache, mais sa réputation le découvre; il marche sans suite et sans équipage, mais chacun dans son esprit le met sur un char de triomphe. On compte, en le voyant, les ennemis qu'il a vaincus, non pas les serviteurs qui le suivent: tout seul qu'il est, on se figure autour de lui ses vertus et ses victoires qui l'accompagnent. Il y a je ne sais quoi de noble dans cette honnête simplicité, et moins il est superbe, plus il devient vénérable.

FLÉCHIER. Oraison funèbre de Turenne.

Même sujet.

Il revenait de ses campagnes triomphantes avec la même froideur et la même tranquillité que s'il fût revenu d'une promenade, plus vide de sa propre gloire que le public n'en était occupé. En vain, dans les assemblées, ceux qui avaient l'honneur de le connaître le montraient des yeux, du geste et de la voix, à ceux qui ne le connaissaient pas ; en vain sa seule présence, sans train et sans suite, faisait sur les ames cette impression presque divine qui attire tant de respect, et qui est le fruit le plus doux et le plus innocent de la vertu héroïque : toutes ces choses si propres à faire rentrer un homme en lui-même par une vanité raffinée, ou à le faire répandre au-dehors par l'agitation d'une vanité moins réglée, n'altéraient en aucune manière la situation tranquille de son ame, et il ne tenait pas à lui qu'on n'oubliat ses victoires et ses triomphes.

MASCARON. Oraison funèbre de Turenne,

Vie privée de Fénélon (1).

Son humeur était égale, sa politesse affectueuse et simple, sa conversation féconde et animée. Une gaieté douce tempérait en lui la dignité de son ministère, et le zèle de la religion n'eut jamais chez lui ni sécheresse, ni amertume. Sa table était ouverte, pendant la guerre, à tous les officiers ennemis ou nationaux que sa réputation attirait en foule à Cambray. Il trouvait encore des moments à leur donner, au milieu des devoirs et des fatigues de l'épiscopat. Son sommeil était court, ses repas d'une extrême frugalité, ses mœurs d'une pureté irréprochable. Il ne connaissait ni le jeu, ni l'ennui: son seul délassement était la promenade; encore trouvait-il le secret de la faire rentrer dans ses exercices de bienfaisance. Il rencontrait des paysans, il se plaisait à les entretenir. On le voyait assis sur l'herbe au milieu d'eux, comme autrefois saint Louis sous le chêne de Vincennes. Il entrait même dans leurs cabanes, et recevait avec plaisir tout ce que lui offrait leur simplicité hospitalière. Sans doute ceux qu'il honora de semblables visites racontèrent plus d'une fois à la génération qu'ils virent naître, que leur toit rustique avait reçu Fénélon.

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LA HARPE. Eloge de Fénelon.

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arbres, les arbrisseaux, les plantes sont la parure et le vêtement d de la terre. Rien n'est si triste que l'aspect d'une can do campagne nue et pelée, qui n'étale aux yeux que

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(1) Voyez, Narrations, en prose, les Fléaux de 1709.

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