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Bataille de Rocroi..

A la nuit qu'il fallut passer en présence des ennemis ? comme un vigilant capitaine, le duc d'Enghien reposa le dernier; mais jamais il ne reposa plus paisiblement. A la veille d'un si grand jour, et dès la première bataille, il est tranquille, tant il se trouve dans son naturel; et on sait que le lendemain, à l'heure marquéc, il fallut réveiller d'un profond sommeil cet autre Alexandre. Le voyez-vous comme il vole ou à la victoire ou à la mort? Aussitôt qu'il eut porté de rang en rang l'ardeur dont il était animé, on le vit presque en même temps pousser l'aile droite des ennemis, soutenir la nôtre ébranlée, rallier les Français à demi-vaincus, mettre en fuite l'Espagnol victorieux, porter par-tout la terreur, et étonner de ses regards étincelants ceux qui échappaient à ses coups. Restait cette redoutable infanterie de l'armée d'Espagne, dont les gros bataillons serrés, semblables à autant de tours, mais à des tours qui sauraient réparer leurs brêches, demeuraient inébranlables au milieu de tout le reste en déroute, et lançaient des feux de toutes parts. Trois fois le jeune vainqueur s'efforça de rompre ces intrépides combattants, trois fois il fut repoussé par le valeureux comte de Fontaines, qu'on voyait porté dans sa chaise, et, malgré ses infirmités, montrer qu'une ame guerrière est maîtresse du corps qu'elle anime : mais enfin il faut céder. C'est en vain qu'à travers des bois, avec sa cavalerie toute fraîche, Beck précipite sa marche pour tomber sur nos soldats épuisés : le prince l'a prévenu, les bataillons enfoncés demandent quartier, mais la victoire va devenir plus terrible pour le duc d'Enghien que le combat. Pendant qu'avec un air assuré il s'avance pour recevoir la parole de ces braves gens, ceux-ci, toujours en garde, craignent la surprise de quelque nouvelle attaque; leur

effroyale décharge met les nôtres en furie. On ne voit plus que carnage; le sang enivre le soldat, jusqu'à ce que ce grand prince, qui ne put voir égorger ces lions comme de timides brebis, calma les courages émus, et joignit au plaisir de vaincre celui de pardonner. Quel fut alors l'étonnement de ces vieilles troupes, et de leurs braves officiers, lorsqu'ils virent qu'il n'y avait plus de salut pour eux que dans les bras du vainqueur! De quels yeux regardèrent-ils le jeune prince, dont la victoire avait relevé la haute contenance, à qui la clémence ajoutait de nouvelles graces! Qu'il eût encore volontiers sauvé la vie au brave comte de Fontaines! Mais il se trouva par terre, parmi ces milliers de morts dont l'Espagne sent encore la perte. Elle ne savait pas que le prince qui lui fit perdre tant de ses vieux régiments à la journée de Rocroi,en devait achever les restes dans les plaines de Lens. Ainsi la première victoire fut le gage de beaucoup d'autres. Le prince fléchit le genou, et, dans le champ de bataille, il rend au Dieu des armées la gloire qu'il lui envoyait. Là, on célébra Rocroi délivrée, les menaces d'un redoutable ennemi tournées à sa honte, la régence affermie, la France en repos, et un règne qui devait être si beau commencé un si heureux présage.

BOSSUET. Oraisons funèbres.

par

Mort de Bocchoris dans un combat contre ses

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sujets révoltés.

Je voyais ce roi qui animait les siens par son exemple; il paraissait comme le dieu Mars; des ruisseaux de sang coulaient autour de lui: les roues de son char étaient teintes d'un sang noir, épais et écumant ; à peine pouvaient-elles passer sur des tas de corps morts écrasés. Ce

jeune roi, bien fait, vigoureux, d'une mine haute et fière, avait dans ses yeux la fureur et le désespoir; il était comme un beau cheval qui n'a point de bouche; son courage le poussait au hasard, et la sagesse ne modérait pas sa valeur; il ne savait ni réparer ses fautes, ni donner des ordres précis, ni prévoir les maux qui le menaçaient, ni ménager les gens dont il avait le plus grand besoin ce n'est pas qu'il manquât de génie ; ses lumières égalaient son courage; mais il n'avait jamais été instruit par la mauvaise fortune; ses maîtres avaient empoisonné par la flatterie son bon naturel; il était enivré de sa puissance et de son bonheur; il croyait que tout devait céder à ses désirs fougueux; la moindre résistance enflammait sa colère. Alors il ne raisonnait plus ; il était comme hors de lui-même; son orgueil furieux en faisait une bête farouche; sa bonté naturelle et sa droite raison l'abandonnaient en un instant; ses plus fidèles serviteurs étaient réduits à s'enfuir; il n'aimait plus que ceux qui flattaient ses passions. Ainsi il prenait toujours des partis extrêmes contre ses véritables intérêts, et il forçait tous les gens de bien à détester sa folle conduite. Longtemps sa valeur le soutint dans le combat contre la multitude de ses ennemis ; mais enfin il fut accablé ; je le vis périr; le dard d'un Phénicien perça sa poitrine; les rênes lui échappèrent des mains; il tomba de son char sous les pieds des chevaux. Un soldat de l'ile de Chypre lui coupa la tête, et la prenant par les cheveux, il la montra comme en triomphe à toute l'armée victorieuse. Je me souviendrai toute ma vie d'avoir vu cette tête qui nageait dans le sang, ces yeux fermés et éteints, ce visage pâle et défiguré, cette bouche entr'ouverte qui semblait vouloir encore achever des paroles commencées, cet air superbe et menaçant que la mort même n'avait pu effacer; toute ma vie il sera peint devant mes yeux; et si jamais les Dieux me

faisaient régner, je n'oublierais point un si funeste exemple, qu'un roi n'est digne de commander, et n'est heureux dans sa puissance, qu'autant qu'il la soumet à la raison. Eh! quel malheur pour un homme destiné à faire le bonheur public, de n'être le maître de tant d'hommes que pour les rendre malheureux!

FÉNÉLON. Télémaque, liv. II.

Combat des Thermopyles.

PENDANT la nuit, Léonidas avait été instruit du projet des Perses par des transfuges échappés du camp de Xerxès; et le lendemain matin, il le fut de leurs succès par des sentinelles accourues du haut de la montagne. A cette terrible nouvelle, les chefs des Grecs s'assemblèrent. Comme les uns étaient d'avis de s'éloigner des Thermopyles, les autres d'y rester, Léonidas les conjura de se réserver pour des temps plus heureux, et déclara que, quant à lui et à ses compagnons, il ne leur était pas permis de quitter un poste que Sparte leur avait confié. Les Thespiens protestèrent qu'ils n'abandonneraient point les Spartiates; les quatre cents Thébains, soit de gré, soit de force, prirent le même parti; le reste de l'armée eut le temps de sortir du défilé.

Cependant ce prince se disposait à la plus hardie des entreprises. « Ce n'est point ici, dit-il à ses compagnons, que nous devons combattre; il faut marcher à la tente de Xerxès, l'immoler, ou périr au milieu de son camp. » Ses soldats ne répondirent que par un cri de joie. Il leur fait prendre un repas frugal, en ajoutant: «Nous en prendrons bientôt un autre chez Pluton. >> Toutes ses paroles laissaient une impression profonde dans les esprits. Près d'attaquer l'ennemi, il est ému sur le sort de deux Spar

tiates qui lui étaient unis par le sang et par l'amitié: il donne au premier une lettre, au second une commission secrète pour les magistrats de Lacédémone. Nous ne sommes pas ici, disent-ils, pour porter des ordres, mais pour combatire; et, sans attendre sa réponse, ils vont se placer dans les rangs qu'on leur avait assignés.

Au milieu de la nuit, les Grecs, Léonidas à leur tête, sortent du défilé, avancent à pas redoublés dans la plaine, renversent les postes avancés, et pénètrent dans la tente de Xerxès, qui avait déjà pris la fuite : ils entrent dans les tentes voisines, se répandent dans le camp, et se rassasient de carnage. La terreur qu'ils inspirent se reproduit à chaque pas, à chaque instant, avec des circonstances plus effrayantes. Des bruits sourds, des cris affreux annoncent que les troupes d'Hydarmès sont détruites, que toute l'armée le sera bientôt par les forces réunies de la Grèce. Les plus courageux des Perses ne pouvant entendre la voix de leurs généraux, ne sachant où porter leurs pas, où diriger leurs coups, se jetaient au hasard dans la mêlée, et périssaient par les mains les uns des autres, lorsque les premiers rayons du soleil offrirent à leurs yeux le petit nombre des vainqueurs. Ils se forment aussitôt, et attaquent les Grecs de toutes parts. Léonidas tombe sous une grêle de traits. L'honneur d'enlever son corps engage un combat terrible entre ses compagnons et les troupes les plus aguerries de l'armée persane. Deux frères de Xerxès, quantité de Perses, plusieurs Spartiates y perdirent la vie. A la fin, les Grecs, quoique épuisés et affaiblis par leurs pertes, enlèvent leur général, repoussent quatre fois l'ennemi dans leur retraite, et, après avoir gagné le défilé, franchissent le retranchement, et vont se placer sur la petite colline qui est auprès d'Anthéla : ils s'y défendirent encore quelques moments, et contre les troupes qui les suivaient, et contre celles qu'Hydarnès amenait de l'autre côté du détroit.

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