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ciel; je me heurtai légèrement contre un palmier; saisi d'effroi, je portai ma main sur ce corps étranger; je le jugeai tel, parcequ'il ne me rendit pas sentiment pour sentiment. Je me détournai avec une espèce d'horreur et je connus, pour la première fois, qu'il y avait quelque chose hors de moi.

Plus agité par cette nouvelle découverte que je ne l'avais été par toutes les autres, j'eus peine à me rassurer; et, après avoir médité sur cet évènement, je conclus que je devais juger des objets extérieurs comme j'avais jugé des parties de mon corps, et qu'il n'y avait que le toucher qui pût m'assurer de leur existence.

Je cherchai donc à toucher tout ce que je voyais : je voulais toucher le soleil; j'étendais les bras pour embrasser l'horizon, et je ne trouvais que le vide des airs.

A chaque expérience que je tentais, je tombais de surprise en surprise; car tous les objets me paraissaient être également près de moi, et ce ne fut qu'après une infinité d'épreuves que j'appris à me servir de mes yeux pour guider ma main; et comme elle me donnait des idées toutes différentes des impressions que je recevais par le sens de la vue, mes sensations n'étant pas d'accord entre elles, mes jugements n'en étaient que plus imparfaits, et le total de mon être n'était encore pour moi-même qu'une existence en confusion.

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Profondément occupé de moi, de ce que j'étais, de ce que je pouvais être, les contrariétés que je venais d'é→ prouver m'humilièrent. Plus je réfléchissais, plus il se présentait de doutes. Lassé de tant d'incertitudes, fatigué des mouvements de mon ame, mes genoux fléchirent, et je me trouvai dans une situation de repos. Cet état de tranquillité donna de nouvelles forces à mes sens.

J'étais assis à l'ombre d'un bel arbre; des fruits d'une couleur vermeille descendaient, en forme de grappe,

portée de ma main. Je les touchai légèrement : aussitôt ils se séparèrent de la branche, comme la figue s'en sépare dans le temps de sa maturité.

J'avais saisi un de ces fruits; je m'imaginais avoir fait une conquète, et je me glorifiai de la faculté que je sentais de pouvoir contenir dans ma main un autre être tout entier. Sa pesanteur, quoique peu sensible, me parut une résistance animée que je me faisais un plaisir de vaincre. J'avais approché ce fruit de mes yeux, j'en considérais la forme et les couleurs. Une odeur délicieuse me le fit approcher davantage; il se trouva près de mes lèvres; je tirais à longues inspirations le parfum, et goûtais à longs traits les plaisirs de l'odorat. J'étais intérieurement rempli de cet air embaumé. Ma bouche s'ouvrit pour l'exhaler; elle se rouvrit pour en reprendre : je sentis que je possédais un odorat intérieur plus fin, plus délicat encore que le premier : enfin, je goûtai.

Quelle saveur ! quelle nouveauté de sensation! Jusquelà je n'avais eu que des plaisirs; le goût me donna le sentiment de la volupté. L'intimité de la jouissance fit naître l'idée de la possession. Je crus que la substance de ce fruit était devenue la mienne, et que j'étais le maître de transformer les êtres.

Flatté dé cette idée de puissance, incité par le plaisir' que j'avais senti, je cueillis un second et un troisième fruit, et je ne me lassais pas d'exercer ma main pour satisfaire mon goût; mais une langueur agréable s'emparant peu à peu de tous mes sens, appesantit mes membres, et suspendit l'activité de mon ame. Je jugeai de son inaction par la mollesse de mes pensées; mes sensations émoussées arrondissaient tous les objets, et ne me présentaient que des images faibles et mal terminées. Dans cet instant mes yeux, devenus inutiles, se fermèrent, et ma tête n'étant plus soutenue par la force des muscles, pencha

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pour trouver un appui sur le gazon. Tout fut effacé, tout disparut. La trace de mes pensées fut interrompue, je perdis le sentiment de mon existence. Ce sommeil fut fond; mais je ne sais s'il fut de longue durée, n'ayant point encore l'idée du temps, et ne pouvant le mesurer. Mon réveil ne fut qu'une seconde naissance, et je sentis seulement que j'avais cessé d'être. Cet anéantissement que je venais d'éprouver me donna quelque idée de crainte, et me fit sentir que je ne devais pas exister toujours.

J'eus une autre inquiétude : je ne savais si je n'avais pas laissé dans le sommeil quelque partie de mon être. J'essayai mes sens; je cherchai à me reconnaître.

Dans cet instant l'astre du jour, sur la fin de sa course, éteignit son flambeau. Je m'aperçus à peine que je perdais le sens de la vue; j'existais trop pour craindre de cesser d'être, et ce fut vainement que l'obscurité où je me trouvai me rappela l'idée de mon premier sommeil.

BUFFON. Histoire naturelle de l'Homme.

TABLEAUX.

Soyez simple avec art,

Sublime sans orgueil, agréable sans fard.

BOILEAU. Art poet., ch. Ier,

Dignité de l'Homme; Excellence de sa Nature.

L'HOMME a la force et la majesté; les graces et la beauté sont l'apanage de l'autre sexe.

Tout annonce dans tous deux les maîtres de la terre; tout marque dans l'homme, même à l'extérieur, sa supériorité sur tous les êtres vivants ; il se soutient droit et élevé, son attitude est celle du commandement; sa tête regarde le ciel, et présente une face auguste sur laquelle est imprimé le caractère de sa dignité; l'image de l'ame y est peinte par la physionomie; l'excellence de sa nature perce à travers les organes matériels, et anime d'un feu divin les traits de son visage; son port majestueux, sa démarche ferme et hardie, annoncent sa noblesse et son rang; il ne touche à la terre que par ses extrémités les plus éloignées, il ne la voit que de loin, et semble la dédaigner; les bras ne lui sont pas donnés pour servir de piliers d'appui à la masse de son corps; sa main ne doit pas fouler la terre, et perdre, par des frottements réitérés, la finesse du toucher dont elle est le principal organe; le bras et la main sont faits pour servir à des usages plus nobles, pour exécuter les ordres de la volonté, pour saisir les choses éloignées, pour écarter les obstacles, pour prévenir les rencontres et le choc de ce qui pourrait nuire, pour embrasser et retenir ce qui peut plaire, pour le mettre à portée des autres sens.

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Lorsque l'ame est tranquille, toutes les parties du visage sont dans un état de repos; leur proportion, leur union, leur ensemble, marquent encore assez la douce harmonie des pensées, et répondent au calme de l'intérieur; mais lorsque l'ame est agitée, la face humaine devient un tableau vivant, où les passions sont rendues avec autant de délicatesse que d'énergie; où chaque mouvement de l'ame est exprimé par un trait, chaque action par un caractère dont l'impression vive et prompte devance la volonté, nous décèle, et rend au dehors, par des signes pathétiques, les images de nos secrètes agitations.

C'est sur-tout dans les yeux qu'elles se peignent et qu'on peut les reconnaître : l'œil appartient à l'ame plus qu'aucun autre organe; il semble y toucher et participer à tous ses mouvements; il en exprime les passions les plus vives et les émotions les plus tumultueuses, comme les mouvements les plus doux et les sentiments les plus délicats; il les rend dans toute leur force, dans toute leur pureté, tels qu'ils viennent de naître ; il les transmet par des traits rapides qui portent dans une autre ame feu, l'action, l'image de celle dont ils partent; l'œil reçoit et réfléchit en même temps la lumière de la pensée 'et la chaleur du sentiment; c'est le sens de l'esprit, et la langue de l'intelligence.

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BUFFON. Histoire naturelle.

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Toute activité, soit de corps, soit d'esprit; prend sa source dans les besoins ; c'est en raison de leur étendue, de leurs développements, qu'elle-même s'étend set. se

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