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l'un, et conduits par l'autre ; et cela seul déciderait de la préférence : car on n'a jamais fait un peuple de sages, mais il n'est pas impossible de rendre un peuple heureux. J.J. ROUSSEAU. Discours sur l'Economie politique.

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On voit par toute la vie de Julien, par quelques uns de ses ouvrages, que sa grande ambition était de ressembler à Marc-Aurèle. Si on regarde les talents, il eut plus de génie. Si on regarde le caractère, il eut plus de fermeté peutêtre, et fut plus loin de cette bonté dont on abuse, et qui, voisine de l'excès, peut devenir une vertu plus dangereuse qu'un vice.

Mais aussi, à beaucoup d'égards, Marc-Aurèle eut des avantages sur lui. Ils furent tous deux philosophes; mais leur philosophie ne fut pas la même. Celle de Marc-Aurèle avait plus de profondeur; celle de Julien peut-être plus d'éclat. La philosophie de l'un semblait née avec lui; elle était devenue un sentiment, une passion, mais une passion d'autant plus forte qu'elle était calme, et n'avait pas besoin des secousses de l'enthousiasme. La philosophie de l'autre semblait moins un sentiment qu'un système; elle était plus ardente que soutenue; elle tenait à ses lectures, et avait besoin d'être remontée. Marc-Aurèle agissait et pensait d'après lui; Julien, d'après les anciens philosophes ; il imitait. Un autre caractère du grand homme lui manqua ; c'est cette vertu qui fait que l'ame, sans s'élever, sans s'abaisser, sans s'apercevoir même de ses mouvements, est ce qu'elle doit être, et l'est sans faste comme sans effort. En cela, il fut encore loin de Marc-Aurèle. Son extérieur était simple, son caractère ne l'était pas. Ses discours, ses actions avaient de l'appareil, et semblaient avertir

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qu'il était grand. Suivez-le; la passion pour la gloire. perce par-tout. Il lui faut un théâtre et des battements de mains il s'indigne quand on les refuse. Il se venge, est vrai, plus en homme d'esprit qu'en prince irrité qui commandait à cent mille hommes; mais il se venge. Il court à la renommée; il l'appelle; il flatte pour être flatté. Il veut être tout à la fois Platon, Marc-Aurèle et Alexandre. THOMAS. Essai sur les Éloges.

César et Henri IV.

Si nous avons parmi les modernes un homme qu'on puisse, comparer à César, c'est peut-être Henri IV. On remarque, entre eux beaucoup de traits de ressemblance et d'objets de comparaison. Tous deux avaient reçu de la nature une ame élevée et sensible, un génie également souple et profond dans les affaires politiques, de grands talents pour la guerre: tous deux furent redevables de l'empire à leur courage et å leurs travaux : tous deux pardonnèrent à leurs ennemis, et finirent être les victimes : tous deux connaissaient le par en grand art de s'attacher les hommes, et de les employer, art le plus nécessaire de tous à quiconque commande ou veut commander : tous deux étaient adorés de leurs soldats, et mêlaient les plaisirs aux fatigues militaires et aux intrigues de l'ambition. Farnèse, à qui notre Henri IV eut affaire, valait bien Pompée le rival de César; et la France fut pour tous deux un champ de victoire. César combattait des armées plus nombreuses : Henri eut à vaincre des obstacles de tous les

genres avec moins de moyens. Tous deux avaient une activité prodigieuse, et suivaient ce grand principe, qu'il ne faut laisser faire à d'autres que ce qu'on ne peut pas faire soi-même. Tous deux ont su régner et ont régné trop peu.

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Si l'un eût vécu vingt ans de plus, le système de l'Europe était changé. Si l'autre n'eût pas été enlevé par un assassinat, il eût accoutumé les Romains à la domination, aussi bien qu'Auguste, et aurait fait de plus grandes choses que lui. César prodigua l'argent dans une république qu'il voulait corrompre; Henri le ménagea dans une monarchie qu'il fallait rétablir. Tous deux furent arrachés, par une mort prématurée, aux grands projets qu'ils méditaient ; et l'on peut croire que Henri eût été aussi heureux contre les Espagnols, que César pouvait l'être contre les Parthes. Arques, Fontaine - Française, Coutras, Ivry, ne sont pas d'aussi grands noms dans la mémoire des hommes, et n'entraînaient pas d'aussi grandes destinées que la journée de Pharsale; mais il y avait autant de talents à déployer, avec moins de renommée à obtenir. César joignit la gloire des lettres à celle des armes ; et cet avantage manquait à Henri IV; mais c'était la faute de son éducation et du temps, bien plus que de son génie il avait l'esprit juste, l'élocution facile et souvent noble ; et la harangue de Rouen (1) prouve qu'il eut l'éloquence des grandes ames. Sa cause était en tout légitime et glorieuse : celle de César, qu'il est impossible de justifier en bonne morale, peut s'excuser en politique, si l'on considère qu'il avait nécessairement la conscience de ce qu'il pouvait faire et de ce qu'il devait craindre, et que, parmi plusieurs concurrents qui aspiraient à être aussi criminels qu'il le devint, il fut ou assez heureux, ou assez malheureux pour être dans le cas de se déclarer le premier.

LA HARPE.

Le siècle d'Auguste et le siècle de Louis XIV.

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On a remarqué, avec raison, que les règnes d'Auguste (1) Voyez, plus haut, Discours.

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et de Louis XIV se ressemblaient par le concours des grands hommes dans tous les genres qui a illustré leurs règnes. Mais on ne doit pas croire que ce soit l'effet seul du hasard; et, si ces deux règnes ont de grands rapports, c'est qu'ils ont été accompagnés à peu près des mêmes circonstances. Ces deux princes sortaient des guerres civiles, de ce temps où les peuples, toujours armes, nourris sans cesse au milieu des périls, entêtés des plus hardis desseins, ne voient rien où ils ne puissent atteindre; de ce temps où les évènements heureux et malheureux, mille fois répétés, étendent les idées, fortifient l'ame à force d'épreuves, augmentent son ressort, et lui donnent ce désir de gloire qui ne manque jamais de produire de grandes choses.

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Voilà comme Auguste et Louis XIV trouvèrent le monde. César s'en était rendu le maître, et avait devancé Auguste; Henri IV avait conquis son propre royaume, et fut l'aïeul de Louis XIV: même fermentation dans les esprits; les peuples, de part et d'autre, n'avaient été pour la plupart que des soldats, et les capitaines, des héros. A tant d'agitations, à tant de troubles intestins succède le calme que produit l'autorité réunie. Les prétentions des républicains et les folles entreprises des séditieux détruites, laissent le pouvoir dans les mains d'un seul; et ces deux princes devenus les maîtres (quoiqu'à des titres bien différents), n'ont plus à s'occuper qu'à rendre utile à leurs Etats cette même chaleur qui jusqu'alors n'avait servi qu'au malheur public. Leur génie et leur caractère particulier se ressemblaient encore par-là, ainsi que leurs siècles. L'ambition et l'ardeur de la gloire avaient été égales entre eux : héros sans être téméraires, entreprenants sans être aventuriers, tous deux avaient été exposés aux orages de la guerre civile; tous deux avaient commandé leurs armées en personne; l'un et l'autre avaient su vaincre et pardonner. La paix les trouva encore semblables par un certain air de

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grandeur, par leur magnificence et leur libéralité. Chacun d'eux possédait ce goût naturel, cet instinct heureux qui sert à démêler les hommes. Leurs ministres pensaient comme eux; et Mécène protégeait auprès d'Auguste, ainsi que Colbert auprès de Louis XIV, tout ce que Rome et la France avaient de génies distingués. Enfin, le hasard les ayant fait naître l'un et l'autre dans le même mois, tous deux moururent presque au même âge; et ce qui contribue à rendre ces règnes célèbres, aucuns princes ne régnèrent si long-temps.

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25.

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Par combien de moyens il fallait que la nature préparât deux siècles si beaux! Le même fonds qui avait produit des hommes illustres dans la guerre produisit des génies sublimes dans les lettres, dans les arts et dans les sciences: l'émulation prit la place de la révolte; les esprits accoutumés à l'indépendance ne la cherchèrent plus que dans les vues saines de la philosophie. Il n'était plus question d'entreprendre sur ses pareils ; il fallut s'en faire admirer; la supériorité acquise par les armes fut remplacée par celle que donnent les talents de l'esprit ; en un mot, les mêmes circonstances réunies donnèrent à l'univers les règnes d'Auguste et de Louis XIV.

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Le Président HENAULT.

Colbert et Sully.

Colbert et Sully (1)! quels noms ! C'est un spectacle intéressant de rapprocher ces deux hommes célèbres, qui font époque dans notre histoire, et peut-être dans celle 'de l'Europe.

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(1) Voyez plus haut leurs portraits; et, Tableaux, Sully dans la retraite.

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