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it chasse pêle-mêle devant lui et Juifs et Gentils au tombeau; il vient enfin lui-même à la suite du convoi de tant de générations, et marchant appuyé sur Isaïe et sur Jérémie, il élève ses lamentations prophétiques à travers la poudre et les débris du genre humain.

CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme.

Fléchier.

On a souvent comparé Fléchier avec Bossuet : je ne sais s'ils furent rivaux dans leur siècle; mais aujourd'hui ils ne le sont pas. Fléchier possède bien plus l'art et le mécanisme de l'éloquence qu'il n'en a le génie. Il ne s'abandonne jamais ; il n'a aucun de ces mouvements qui annoncent que l'orateur s'oublie, et prend parti dans ce qu'il raconte. Son défaut est de toujours écrire, et de ne jamais parler. Je le vois qui arrange méthodiquement une phrase et en arrondit les sons. Il marche ensuite à une autre ; il y applique le compas ; et de là à une troisième. On remarque et l'on sent tous les repos de son imagination: au lieu les discours de son rival, et peut-être tous les grands ouvrages d'éloquence, sont, ou paraissent du moins, comme ces statues de bronze que l'artiste a fondues d'un seul jet.

que

Après avoir vu les défauts de cet orateur, rendons justice à ses beautés. Son style, qui n'est jamais impétueux et chaud, est du moins toujours élégant. Au défaut de la force, il a la correction et la grace. S'il lui manque de ces expressions originales, et dont quelquefois une seule représente une masse d'idées, il a ce coloris toujours égal qui donne de la valeur aux petites choses, et qui ne dépare point les grandes. Il n'étonne presque jamais l'imagination, mais il la fixe. Il emprunte quelquefois de la poésie, comme

Bossuet, mais il en emprunte plus d'images, et Bossuet

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plus de mouvements. Ses idées ont rarement de la hauteur, mais elles sont toujours justes, et quelquefois ont cette finesse qui réveille l'esprit, et l'exerce sans le fatiguer. Il paraît avoir une connaissance profonde des hommes; parunts tout il les juge en philosophe, et les peint en orateur. Enfin il a le mérite de la double harmonie, soit de celle qui, par B le mélange et l'heureux enchaînement des mots n'est destinée qu'à flatter et à séduire l'oreille, soit de celle qui saisit l'analogie des nombres avec le caractère des idées, et qui, par la douceur ou la force, la lenteur ou la rapl dité des sons, peint à l'oreille en même temps que l'image peint à l'esprit. En général, l'éloquence de Fléchier paraît être formée de l'harmonie et de l'art d'Isocrate, de la tournure ingénieuse de Pline, de la brillante imagination d'un poëté, et d'une certaine lenteur imposante qui net messied peut-être pas à la gravité de la chaire, et qui› était assortie à l'organe de l'orateur.

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THOMAS.

Bourdaloue.

Ce qui me plaît, ce que j'admire principalement dans Bourdaloue, c'est qu'il se fait oublier lui-même ; c'est que, dans un genre trop souvent livré à la déclamation, il n'exagère jamais les devoirs du christianisme, ne change point en préceptes les simples conseils, et que sa morale peut toujours être réduite en pratique; c'est la fécondité inépuisable de ses plans qui ne se ressemblent jamais, et l'heureux talent de disposer ses raisonnements avec cet ordre dont parle Quintilien, lorsqu'il compare le mérite d'un orateur qui compose un discours à l'habileté d'un général qui commande une armée ; c'est cette logique exacte et pressante qui exclut les sophismes, les contra

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dictions, les paradoxes; c'est l'art avec lequel il fonde nos devoirs sur nos intérêts, et ce secret précieux, que je ne vois guère que dans ses sermons, de convertir les détails de mœurs en preuves de son sujet; c'est cette abondance de génie qui ne laisse rien à imaginer au-delà de chacun de ses discours, quoiqu'il en ait composé au moins deux, souvent trois, quelquefois même quatre, sur la même matière, et qu'on ne sache, après les avoir lus, auquel donner la préférence ; c'est la simplicité d'un style nerveux et touchant, naturel et noble, la connaissance la plus profonde de la religion, l'usage admirable qu'il fait de l'Écriture et des Pères. Enfin, je ne pense jamais à ce grand homme, sans me dire à moi-même : « Voilà donc jusqu'où le génie peut s'élever quand il est soutenu par le travail ! »

Le cardinal MAURY. Discours sur l'Éloquence.

Massillon.

Il excelle dans la partie de l'orateur qui seule peut tenir lieu de toutes les autres, dans cette éloquence qui va droit à l'ame, mais qui l'agite sans la renverser, qui la consterne sans la flétrir, et qui la pénètre sans la déchirer. Il va chercher au fond du cœur ces replis cachés où les passions s'enveloppent, ces sophismes secrets dont elles savent si bien s'aider pour nous aveugler et nous séduire. Pour combattre et détruire ces sophismes, il lui suffit presque de les développer avec une onction si affectueuse et si tendre, qu'il subjugue moins qu'il n'entraîne, et qu'en nous offrant même la peinture de nos vices, il sait encore nous attacher et nous plaire. Sa diction, toujours facile, élégante et pure, est par-tout de cette simplicité noble, sans laquelle il n'y a ni bon goût, ni véritable

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éloquence; simplicité qui, réunie dans Massillon à l'harmonie la plus séduisante et la plus douce, en emprunte encore des graces nouvelles ; et ce qui met le comble au charme que fait éprouver ce style enchanteur, on sent que tant de beautés ont coulé de source, et n'ont rien coûté à celui qui les a produites. Il lui échappe même quelquefois, soit dans les expressions, soit dans les tours, soit dans la mélodie si touchante de son style, des négligences qu'on peut appeler heureuses, parcequ'elles achèvent de faire disparaître non seulement l'empreinte, mais jusqu'au soupçon du travail. C'est par cet abandon de lui-même que Massillon se faisait autant d'amis que d'auditeurs ;'il savait que plus un orateur paraît occupé d'enlever l'admiration, moins ceux qui l'écoutent sont disposés à l'accorder, et que cette ambition est l'écueil de tant de prédicateurs qui, chargés, si on peut s'exprimer ainsi, des intérêts de Dieu même, veulent y mêler les intérêts si minces de leur vanité.

D'ALEMBERT. Éloge de Massillon.

Santeuil.

Concevez un homme facile, doux, complaisant, traitable, et tout d'un coup violent, colère, fougueux, capricieux. Imaginez-vous un homme simple, ingénu, crédule, badin, volage, un enfant en cheveux gris; mais permettezlui de se recueillir, ou plutôt de se livrer à un génie qui agit en lui, j'ose dire, sans qu'il y prenne part, et comme à son insçu: quelle verve! quelles images! Parlez-vous d'une même personne, me direz-vous? Oui, du même, de Théodas et de lui seul. Il crie, il s'agite, il se roule à terre, il se relève, il tonne, il éclate; et du milieu de cette tempête, il sort une lumière qui brille, qui réjouit :

disons-ler sans figure, il parle comme un fou, et pense comme un homme sage; il dit ridiculement des choses vraies, et follement des choses sensées et raisonnables: on est surpris de voir naître et éclore le bon sens du sein de la bouffonnerie, parmi les grimaces et les contorsions. Qu'ajouterai-je davantage? Il dit, et il fait mieux qu'il ne sait : ce sont en lui comme deux ames qui ne se connaissent point, qui ne dépendent point l'une de l'autre, qui ont chacune leur tour, ou leurs fonctions toutes séparées. Il manquerait un trait à cette peinture si surprenante, si j'oubliais de dire qu'il est tout à la fois avide et insatiable de louanges, près de se jeter aux yeux de ses eritiques, ét dans le fond assez docile pour profiter de leur censure. Je commence à me persuader moi-même que j'ai fait le portrait de deux personnages tout différents; il ne serait pas même impossible d'en trouver un troisième dans Théodas, car il est bon homme, il est plaisant homme, et il est excellent homme.

LA BRUYÈRE.

La Fontaine.

Il est donc aussi des honneurs publics pour l'homme simple et le talent aimable! Ainsi donc la postérité, plus promptement frappée en tout genre de ce qui se présente à ses yeux avec un éclat imposant, occupée d'abord de célébrer ceux qui ont produit des révolutions mémorables dans l'esprit humain, ou qui ont régné sur les peuples par les puissantes illusions du théâtre ; la postérité a tourné ses regards sur un homme qui, sans avoir à lui offrir des titres aussi magnifiques, ni d'aussi grands monuments, ne méritait pas moins ses attentions et ses hommages; sur un écrivain original et enchanteur, le premier de tous dans un genre d'ouvrage plus fait pour être goûté avee

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