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quand il se trouvera d'aussi justes appréciateurs du mérite que les Romains.

MABLY. Observations sur l'Histoire de France.

Le Peuple Athénien.

L'histoire nous le représente, tantôt comme un vieillard qu'on peut tromper sans crainte, tantôt comme un enfant qu'il faut amuser sans cesse ; quelquefois déployant les lumières et les sentiments des grandes ames; aimant à l'excès les plaisirs et la liberté, le repos et la gloire; s'enivrant des éloges qu'il reçoit, applaudissant aux reproches qu'il mérite; assez pénétrant pour saisir aux premiers mots les projets qu'on lui communique, trop impatient pour en écouter les détails et en prévoir les suites; faisant trembler ses magistrats dans l'instant même qu'il pardonne à ses plus cruels ennemis; passant avec la rapidité d'un éclair, de la fureur à la pitié, du découragement à l'insolence, de l'injustice au repentir; mobile sur-tout et frivole, au point que, dans les affaires les plus graves, et quelquefois les plus désespérées, une parole dite au hasard, une saillie heureuse, le moindre objet, le moindre accident, pourvu qu'il soit inopiné, suffit pour le distraire de ses craintes ou le détourner de son intérêt.

BARTHÉLEMY. Voyage d'Anacharsis.

Le même.

Il y a eu un peuple fier et poli, savant et guerrier, passionné pour la gloire et pour le plaisir, qui, par le haut degré d'excellence où il porta tous les arts, condamna les âges suivants à l'éternelle nécessité de les imiter, et au

désespoir de les surpasser jamais. L'Athénien, disposé aux émotions douces avant même qu'il vît le jour, par le soin qu'il fallait avoir de n'offrir aux yeux d'une mère enceinte que des objets agréables; l'Athénien qui, dès ses premières années, réglait tous ses mouvements sur les sons cadencés et mélodieux de la voix et des instruments; qui, dès son enfance, formait ses yeux au discernement des plus belles formes, en les dessinant lui-même ; qui puisait ses premières instructions dans les vers les plus harmonieux de la plus harmonieuse des langues, et dont l'ame, successivement préparée par la jouissance de chefs-d'oeuvres de musique, de peinture, de sculpture et d'architecture, recevait au théâtre l'impression simultanée de tous les arts combinés et réunis; l'Athénien dut être et fut en effet prodigieusement sensible aux charmes de l'éloquence; il abhorrait les fers de la tyrannie, mais il volait au-devant des chaînes de la persuasion.

L'abbé ARNAud.

Les Mours de Sybaris.

On ne met point, dans cette ville, de différence entre les voluptés et les besoins; on bannit tous les arts qui pourraient troubler un sommeil tranquille; on donne des prix, aux dépens du public, à ceux qui peuvent découvrir des voluptés nouvelles. Les citoyens ne se souviennent que des bouffons qui les ont divertis, et ont perdu la mémoire des magistrats qui les ont gouvernés.

On y abuse de la fertilité du terroir, qui y produit une abondance éternelle; et les faveurs des Dieux sur Sybaris ne servent qu'à encourager le luxe et à flatter la mollesse.

Les hommes sont si efféminés, leur parure est si semblable à celle des femmes, ils composent si bien leur teint, ils se frisent avec tant d'art, ils emploient tant de temps à se corriger à leur miroir, qu'il semble qu'il n'y ait qu'un sexe dans toute la ville.

Bien loin que la multitude des plaisirs donne aux Sybarites plus de délicatesse, ils ne peuvent plus distinguer un sentiment d'avec un sentiment.

Leur ame, incapable de sentir les plaisirs, semble n'avoir de délicatesse que pour les peines un citoyen fut fatigué toute la nuit d'une rose qui s'était repliée dans son lit.

La mollesse a tellement affaibli leurs corps, qu'ils ne sauraient remuer les moindres fardeaux; ils peuvent à peine se soutenir sur leurs pieds; les voitures les plus douces les font évanouir; lorsqu'ils sont dans les festins, l'estomac leur manque à tous les instants.

sur

Ils passent leur vie sur des sièges renversés, lesquels ils sont obligés de se reposer tout le jour sans être fatigués; ils sont brisés quand ils vont languir ailleurs.

Incapables de porter le poids des armes, timides devant leurs concitoyens, lâches devant les étrangers, ils sont des esclaves tout prêts pour le premier maître. MONTESQUIEU.

Les Nations modernes.

Que de traits caractéristiques n'offrent point les nations nouvelles? ici ce sont les Germains, peuple où la profonde corruption des grands n'a jamais influé sur les petits, où l'indifférence des premiers pour la patrie n'empêche

point les seconds de l'aimer; peuples où l'esprit de révolte et de fidélité, d'esclavage et d'indépendance, ne s'est jamais démenti depuis les jours de Tacite : là ce sont ces industrieux Bataves qui ont de l'esprit par bon sens, du génie par industrie, des vertus par froideur, et des passions par raison. L'Italie aux cent princes et aux magnifiques souvenirs contraste avec la Suisse obscure et républicaine. L'Espagne, séparée des autres nations, présente encore à l'historien un caractère plus original: l'espèce de stagnation de mœurs dans laquelle elle repose lui sera peut-être utile un jour; et lorsque tous les peuples européens seront usés par la corruption, elle seule pourra reparaître avec éclat sur la scène du monde, parceque le fond des mœurs subsistera chez elle.

Mélange du sang allemand et du sang français, le peuple anglais décèle de toutes parts sa double origine; son gouvernement, formé de royauté et d'aristocratie, sa religion moins pompeuse que la catholique, et plus brillante que la luthérienne, son militaire à la fois lourd et actif, sa littérature et ses arts, chez lui enfin, le langage, les traits, et jusqu'aux formes du corps, tout participe des deux sources dont il découle. Il réunit à la simplicité, au calme, au bon sens, à la lenteur germanique, l'éclat, l'emportement, la déraison, la vivacité et l'élégance de l'esprit français.

Les Anglais ont l'esprit public, et nous l'honneur national; nos belles qualités sont plutôt des dons de la faveur divine, que des fruits d'une éducation politique : comme les demi-dieux, nous tenons moins de la terre que du ciel.

Fils aînés de l'antiquité, les Français, Romains par le génie, sont Grecs par le caractère. Inquiets et volages dans le bonheur, constants et invincibles dans l'adversité; formés pour tous les arts; civilisés jusqu'à l'excès durant le calme de l'État; grossiers et sauvages dans les troubles

politiques; flottants, comme des vaisseaux sans lest, au gré de toutes les passions; à présent dans les cieux, l'instant d'après dans l'abime; enthousiastes et du bien et du mal, faisant le premier sans en exiger de reconnaissance, et le second sans en sentir de remords; ne se souvenant ni de leurs crimes ni de leurs vertus; amants pusillanimes de la vie pendant la paix, prodigues de leurs jours dans les batailles; vains, railleurs, ambitieux, à la fois routiniers et novateurs, méprisant tout ce qui n'est pas eux; individuellement, les plus aimables des hommes; en corps; les plus désagréables de tous; charmants dans leur propre pays, insupportables chez l'étranger; tour à tour plus doux, plus innocents que l'agneau qu'on égorge, et plus impitoyables, plus féroces que le tigre qui déchire: tels furent les Athéniens d'autrefois, et tels sont les Français d'aujourd'hui.

CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme.

Les Francais.

C'est le seul peuple dont les mœurs peuvent se dépraver sans que le fond du cœur se corrompe, ni que le courage s'altère; il allie les qualités héroïques avec le plaisir, le luxe et la mollesse ; ses vertus ont peu de consistance, ses vices n'ont point de racines. Le caractère d'Alcibiade n'est pas rare en France. Le dérèglement des mœurs et de l'imagination ne donne point atteinte à la franchise, à la bonté naturelle du Français. L'amour-propre contribue à le rendre aimable; plus il croit plaire, plus il a de penchant à aimer. La frivolité qui nuit au développement de ses talents et de ses vertus, le préserve en même temps des crimes noirs et réfléchis. La perfidie lui est étrangère, et il est bientôt fatigué de l'intrigue. Le Français est l'enfant

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