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tentissait du bourdonnement des insectes qui cherchaient à se désaltérer dans le sang des hommes et des animaux.

Cependant ces chaleurs excessives élevèrent de l'Océan des vapeurs qui couvrirent l'île comme un vaste parasol. Les sommets des montagnes les rassemblaient autour d'eux, et de longs sillons de feu sortaient de temps en temps de leurs pitons embrumés. Bientôt des tonnerres affreux firent retentir de leurs éclats les bois, les plaines et les vallons; des pluies épouvantables, semblables à des cataractes, tombèrent du ciel. Des torrents écumeux se précipitaient le long des flancs de cette montagne; le fond de ce bassin était devenu une mer; le plateau où sont assises les cabanes une petite île, et l'entrée de ce vallon une écluse par où sortaient pêle-mêle, avec les eaux mugissantes, les terres, les arbres et les rochers. Sur le soir la pluie cessa, le vent alisé du sud-est reprit son cours ordinaire; les nuages orageux furent jetés vers le nord-ouest, et le soleil couchant parut à l'horizon. (1)

BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. Paul et Virginie.

Combat d'Adraste et de Télémaque.

9.

D'une main tremblante et précipitée, Adraste lance son dard contre Télémaque. Celui-ci, intrépide comme l'ami des Dieux, se couvre de son bouclier : il semble que la victoire, le couvrant de ses ailes, tient déjà une couronne suspendue au-dessus de sa tête; le courage doux et paisible reluit dans ses yeux: on le prendrait pour Minerve même, tant il paraît sage et mesuré au milieu des plus grands périls; le dard lancé par Adraste est repoussé par le bouclier : alors Adraste se hâte de tirer son épée, pour

(1) Voyez les Narrations et Descriptions d'Orage, en prose et

en vers.

ôter au fils d'Ulysse l'avantage de lancer son dard à son tour. Télémaque voyant Adraste l'épée à la main, se hâte de la mettre aussi, et laisse son dard inutile.

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Quand on les vit ainsi tous deux combattre de près, tous les autres combattants en silence mirent bas les armes pour les regarder attentivement, et on attendit de leur combat la destinée de toute la guerre. Les deux glaives brillants comme les éclairs d'où partent les foudres se croisent plusieurs fois, et portent des coups inutiles sur les armes polies, qui en retentissent. Les deux combattants s'alongent, se replient, s'abaissent, se relèvent tout d'un coup, et enfin se saisissent. Le lierre, en naissant au pied d'un ormeau ne serre pas plus étroitement le tronc dur et noueux par ses rameaux entrelacés jusques aux plus hautes branches de l'arbre, que ces deux combattants se serrent l'un l'autre. Adraste n'avait encore rien perdu de sa force: Télémaque n'avait pas encore toute la sienne. Adraste fait plusieurs efforts pour surprendre son ennemi et pour l'ébranler: il tâche de saisir l'épée du jeune Grec; mais en vain. Dans le moment où il la cherche, Télémaque l'enlève de terre, et le renverse sur le sable. Alors cet impie, qui avait toujours méprisé les Dieux, montre une lâche crainte de la mort ; il a honte de demander la vie, et il ne peut s'empêcher de témoigner qu'il la désire il tâche d'émouvoir la compassion de Télémaque. « Fils d'Ulysse, lui dit-il, enfin c'est maintenant que je connais les justes Dieux; ils me punissent comme je l'ai mérité ; il n'y a que le malheur qui ouvre les yeux des hommes pour voir la vérité : je la vois, elle me condamne; mais qu'un roi malheureux vous fasse souvenir de votre père, qui est loin d'Ithaque, et qu'il touche votre

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cœur. >>>

Télémaque qui, le tenant sous ses genoux, avait le glaive déjà levé pour lui percer la gorge, répondit aussitôt :

«Je n'ai voulu que la victoire et la paix des nations que je suis venu secourir; je n'aime point à répandre le sang. Vivez donc Adraste; mais vivez pour réparer vos fautes rendez tout ce que vous avez usurpé ; rétablissez le calme et la justice sur la côte de la grande Hespérie, que vous avez souillée par tant de massacres et de trahisons; vivez, et devenez un autre homme; apprenez par votre chute que les Dieux sont justes, que les méchants sont malheureux, qu'ils se trompent en cherchant la félicité dans la violence, dans l'inhumanité et dans le mensonge; qu'enfin rien n'est si doux, ni si heureux, qué la simple et constante vertu ; donnez-nous pour otages votre fils Metrodore, avec douze des principaux de votre na'tion. >>

"A ces paroles, Télémaque laisse relever Adraste, et lui tend th la main sans se méfier de sa mauvaise foi; mais aussitôt Adraste lui lance un second dard fort court, qu'il tenait caché. Le dard était si aigu, et lancé avec tant d'adresse, qu'il eût percé les armes de Télémaque, si elles n'eussent été divines. En même temps Adraste se jette derrière un arbre, pour éviter la poursuite du jeune Grec. Alors celui-ci s'écrie : « Dauniens, vous le voyez, la victoire est à nous; l'impie ne se sauve que par la trahison. Celui qui ne craint point les Dieux craint la mort : au contraire, celui qui les craint ne craint qu'eux. » En disant ces paroles, il s'avance vers les Dauniens, et fait signe aux siens, qui étaient de l'autre côté de l'arbre, de couper le chemin au perfide Adraste. Adraste craint d'être surpris, fait semblant de retourner sur ses pas, veut renverser les Crétois qui se présentent à son passage. Mais tout à coup Télémaque, prompt comme la foudre que la 'main du père des Dieux lance du haut Olympe sur les têtes coupables, vient fondre sur son ennemi il le saisit d'une main victorieuse, il le renverse; et comme un

cruel aquilon abat les tendres moissons qui dorent la campagne, il ne l'écoute plus, quoique l'impie ose encore une fois essayer d'abuser de la bonté de son cœur. Il lui enfonce son glaive, et le précipite dans les flammes du noir Tartare, digne châtiment de ses crimes (1).***> <! FENELON. Télémaque, liv. XX.''''

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Songe de Marc-Aurèle!

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Je voulus méditer sur la douleur: la nuit était déjà avancée; le besoin du sommeil fatiguait ma paupière, je luttai quelque temps enfin, je fus obligé de céder je m'assoupis; mais dans cet intervalle je crus avoir un songe. Il me sembla voir dans un vaste portique une multitude d'hommes rassemblés; ils avaient tous quelque d'auguste et de grand. Quoique je n'eusse jamais vécu avec eux, leurs traits pourtant ne m'étaient pas étrangers; je crus me rappeler que j'avais souvent contemplé leurs statues dans Rome. Je les regardais tous, quand une voix terrible et forte retentit sous le portique: Mortels, apprenez à souffrir! Au même instant, devant l'un je vis s'allumer des flammes, et il y posa la main. On apporta à l'autre du poison; il but, et fit une libation aux Dieux. Le troisième était debout auprès d'une statue de la Liberté brisée; il tenait d'une main un livre; de l'autre il prit une épée, dont il regardait la pointe. Plus loin je distinguai un homme tout sanglant, mais calme et plus tranquille que ses bourreaux ; je courus à lui, en m'écriant; «O Régulus! est-ce toi? » Je ne pus soutenir le spectacle de ses maux, et je détournai mes regards. Alors j'aperçus Fabricius dans la pauvreté, Scipion

(1) Voyez, Prose et Vers, les autres Narrations ou Descriptions de combats,

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mourant dans l'exil, Epictète écrivant dans les chaînes, Sénèque et Thraséas les veines ouvertes, et regardant d'un œil tranquille leur sang couler. Environné de tous ces grands hommes malheureux, je versais des larmes; ils parurent étonnés. L'un d'eux, ce fut Caton, approcha de moi, et me dit : « Ne nous plains pas, mais imitenous; et toi aussi, apprends à vaincre la douleur ! » Cependant il me parut prêt à tourner contre lui le fer qu'il tenait à la main; je voulus l'arrêter, je frémis, et je ́ m'éveillai. Je réfléchis sur ce songe, et je conçus que ces prétendus maux n'avaient pas le droit d'ébranler mon courage; je résolus d'être homme, de souffrir, et de faire le bien.

THOMAS. Eloge de Marc-Aurèle.

Télémaque raconte à Calypso les occupations et les plaisirs de sa captivité en Egypte.

Ma voix avait une harmonie divine; je me sentais ému et comme hors de moi-même, pour chanter les graces dont la nature a ornéla campagne; nous passions les jours entiers et une partie des nuits à chanter ensemble: tous les bergers oubliant leurs cabanes et leurs troupeaux, étaient suspendus et immobiles autour de moi, pendant que je leur donnais des leçons; il semblait que ces déserts n'eussent plus rien de sauvage; tout y était doux et riant; la politesse des habitants semblait adoucir la terre. Nous nous assemblions souvent pour offrir des sacrifices dans ce temple d'Apollon, où Thermosiris était prêtre; les bergers y allaient couronnés de lauriers en l'honneur du Dieu. Nous faisions un festin champêtre; nos plus doux mêts étaient le lait de nos chèvres et de nos brebis, que nous avions soin de

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