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dont la figure grotesque faisait contraste avec la taille svelte et dégagée des Nymphes qui cherchaient à éviter leurs poursuites.

COUSIN-DESPRÉAUX. Histoire de la Grèce.

Le jeune Bacchus et le Faune.

Un jour le jeune Bacchus, que Silène instruisait, cherchait les Muses dans un bocage dont le silence n'était troublé que par le bruit des fontaines et par le chant des oiseaux. Le soleil n'en pouvait, avec ses rayons, percer la sombre verdure. L'enfant de Sémélé, pour étudier la langue des Dieux, s'assit dans un coin au pied d'un vieux chêne, du tronc duquel plusieurs hommes de l'âge d'or étaient nés. Il avait même autrefois rendu des oracles, et le temps n'avait osé l'abattre de sa tranchanțe faux. Auprès de ce chêne sacré et antique se cachait un jeune Faune, qui prêtait l'oreille aux vers que chantait l'enfant, et qui marquait à Silène, par un ris moqueur, toutes les fautes que faisait son disciple. Aussitôt les Naïades et les autres Nymphes du bois souriaient aussi. Le critique était jeune, gracieux et folâtre : sa tête était couronnée de lierre et de pampre; ses tempes étaient ornées de grappes de raisin. De son épaule gauche, pendait, sur son côté droit, en écharpe, un feston de lierre, et le jeune Bacchus se plaisait à voir ces feuilles consacrées à sa divinité. Le Faune était enveloppé au-dessous de la ceinture par la dépouille affreuse et hérissée d'une jeune lionne qu'il avait tuée dans les forêts. Il tenait dans sa main une houlette courbée et noueuse. Sa queue paraissait derrière comme se jouant sur son dos. Mais comme Bacchus ne pouvait souffrir un rieur malin, toujours prêt à se moquer de ses expressions, si elles n'étaient pures et élégantes, il lui dit d'un ton fier et

impatient : « Comment oses-tu te moquer du fils de Jupiter?» Le Faune répondit sans s'émouvoir: « Hé, comment le fils de Jupiter ose-t-il faire quelque faute?»>

FÉNÉLON.

Le Singe.

Un vieux singe malin étant mort, son ombre descendit dans la sombre demeure de Pluton, où elle demanda à retourner parmi les vivants. Pluton voulait la renvoyer dans

le

corps d'un âne pesant et stupide, pour lui ôter sa souplesse, sa vivacité et sa malice. Mais elle fit tant de tours plaisants et badins, que l'inflexible roi des enfers ne put s'empêcher de rire, et lui laissa le choix d'une condition. Elle demanda à entrer dans le corps d'un perroquet. «Au moins, disait-elle, je conserverai par-là quelque ressemblance avec les hommes que j'ai long-tempsimités. «Étant singe, je faisais des gestes comme eux; et étant perroquet, je parlerai avec eux dans les plus agréables conversations. >> A peine l'ame du singe fut introduite dans ce nouveau métier, qu'une vieille femme causeuse l'acheta. Il fit ses délielle le mit dans une belle cage. Il faisait bonne chère, et discourait toute la journée avec la vieille radoteuse, qui ne parlait pas plus sensément que lui. Il joignait à son nouveau talent d'étourdir tout le monde, je ne sais quoi de son ancienne profession. Il remuait sa tête ridiculement; il faisait craquer son bec; il agitait ses ailes de cent façons, et faisait de ses pattes plusieurs tours qui sentaient encore les grimaces de Fagotin. La vieille prenait à toute heure ses lunettes pour l'admirer; elle était bien fachée d'être un peu sourde, et de perdre quelquefois des paroles de son perroquet, à qui elle trouvait plus d'esprit qu'à personne. Ce perroquet gâté devint bavard, importun et fou. Il se

ces;

tourmenta si fort dans sa cage, et but tant de vin avec la vieille, qu'il en mourut. Le voilà revenu devant Pluton, qui voulut cette fois le faire passer dans le corps d'un poisson, pour le rendre muet. Mais il fit encore une farce devant le roi des ombres; et les princes ne résistent guère aux demandes des mauvais plaisants qui les flattent. Pluton accorda donc à celui-ci qu'il irait dans le corps d'un homme; mais comme le Dieu eut honte de l'envoyer dans le corps d'un homme sage et vertueux, il le destina au corps d'un harangueur ennuyeux et importun, qui mentait, qui se vantait sans cesse, qui faisait des gestes ridicules, qui se moquait de tout le monde, qui interrompait toutes les conversations les plus polies et les plus solides, pour dire rien, ou les sottises les plus grossières. Mercure, qui le reconnut dans ce nouvel état, lui dit en riant: «Ho, ho, je te reconnais; tu n'es qu'un composé du singe et du perroquet, que j'ai vu autrefois. Qui t'ôterait tes gestes, et tes paroles apprises par cœur sans jugement, ne laisserait rien de toi : d'un joli singe et d'un bon perroquet, on n'en fait qu'un sot homme. »

Le méme.

L'Académie silencieuse, ou les Emblèmes.

Il y avait à Amadan une célèbre académie, dont le premier statut était conçu en ces termes : Les Académiciens penseront beaucoup, écriront peu, et ne parleront que le moins qu'il sera possible. On l'appelait l'Académie silencieuse, et il n'était point en Perse de vrai savant qui n'eût l'ambition d'y être admis. Le docteur Zeb, auteur d'un petit livre excellent, intitulé Le Baillon, apprit au fond de sa province, qu'il vaquait une place dans l'Académie silencieuse. Il part aussitôt; il arrive à Amadan,

et se présentant à la porte de la salle où les académiciens sont assemblés, il prie l'huissier de remettre au président ce billet: Le docteur Zeb demande humblement la place vacante. L'huissier s'acquitta sur-le-champ de la commission; mais le docteur et son billet arrivaient trop tard, la place était déjà remplie.

L'Académie fut désolée de ce contre-temps; elle reçut, un peu malgré elle, un bel-esprit de la cour, dont l'éloquence vive et légère faisait l'admiration de toutes les ruelles, et elle se voyait réduite à refuser le docteur Zeb, le fléau des bavards; une tête si bien faite, si bien meublée ! Le président, chargé d'annoncer au docteur cette nouvelle désagréable, ne pouvait presque s'y résoudre, et ne savait comment s'y prendre. Après avoir un peu révé, il fit remplir d'eau une grande coupe, mais si bien remplir, qu'une goutte de plus eût fait déborder la liqueur; puis il fit signe qu'on introduisît le candidat. Il parut avec cet air simple et modeste, qui annonce presque toujours le vrai mérite. Le président se leva, et, sans proférer une seule parole, il lui montra d'un air affligé la coupe emblématique, cette coupe si exactement pleine. Le docteur comprit de reste qu'il n'y avait plus de place à l'Académie; mais sans perdre courage, il songeait à faire comprendre qu'un académicien surnuméraire n'y dérangerait rien. Il voit à ses pieds une feuille de rose ; il la ramasse il la délicatement sur la surface de l'eau, pose et fait si bien qu'il n'en échappe pas une seule goutte. A cette réponse ingénieuse, tout le monde battit des mains on laissa dormir les règles pour ce jour-là, et le docteur Zeb fut reçu par acclamation. On lui présenta sur-le-champ le registre de l'Académie, où les récipiendaires devaient s'inscrire eux-mêmes. Ils'y inscrivit donc; et il ne lui restait plus qu'à prononcer, selon l'usage, une phrase de remercîment. Mais, en académicien vraiment

:

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silencieux, le docteur Zeb remercia sans dire mot. II écrivit en marge le nombre cent, c'était celui de ses nouveaux confrères; puis en mettant un zéro devant le chiffre, il écrivit au-dessous : Ils n'en vaudront ni moins, ni plus (0100). Le président répondit au modeste docteur avec autant de politesse que de présence d'esprit. Il mit le chiffre un devant le nombre cent, et il écrivit Ils en vaudront dix fois davantage. ( 1100.)

:

L'abbé BLANCHET. Apologues orientaux.

graces

Le Séjour du Temps.

Sous le pôle arctique, aux extrémités du monde connu, et au couchant de l'astre du jour, est une plaine inculte et aride, où le Temps, monstre créé avec la Terre, règne despotiquement. Ce fier tyran de tout ce qui respire, élevé sur une colonne de marbre blanc, étale sur un même front les de l'adolescence et les rides de la vieillesse. Son visage mi-parti par une longue barbe grise, laisse voir une décrépitude parfaite à côté de l'embonpoint de la jeune virilité; son corps, toujours prêt à voler, ne porte que sur un pied, qu'il appuie légèrement sur une horloge de sable; les Heures qui le font couler en comptent scrupuleusement tous les grains; lui-même il tient une faux tranchante dans ses mains; et de ses yeux perçants qui ne se livrent jamais au sommeil, il choisit ses victimes dans la multitude innombrable de mortels suppliants qui implorent sa pitié. Mais ce monstre également dur et sourd, sans égard ni pour l'âge qu'il affaiblit, ni pour les conditions qu'il anéantit, ni pour les sexes qu'il confond, ni pour la beauté qu'il flétrit, ni pour l'esprit qu'il énerve, agitant ses ailes longues et bleuâtres, chasse loin de lui les jours, les mois, les années, et frappe indistinctement tantôt un fils unique,

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