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école ; et d'une foule de jeunes gens qui sont réputés étudier sous lui, à peine y en a-t-il un dixième qui soit assidu à l'entendre. Le reste, oisif et vagabond, achète des cahiers écrits, et, quand le temps de l'examen arrive, se fait souffler par un aggrégé la réponse à un petit nombre de questions communiquées. C'est de là cependant que sortent nos avocats et nos juges. Il en est quelques-uns qui, par des conférences et des études particulières, ont le bon esprit de suppléer à cette nullité des études publiques; mais pour le plus grand nombre le temps en est perdu, et l'émulation est anéantie.

Il n'en est pas de même des études de théologie; elles sont suivies dans la faculté de Paris avec une sévère vigilance du côté des maîtres, et autant de chaleur que d'assiduité du côté des étudiants. On les y exerce à parler d'abondance ; c'est les obliger à s'instruire. Ce qu'on appelle licence se fait quand l'esprit est formé. Dans la thèse appelée majeure, les questions purement scolastiques cèdent la place à des questions d'un ordre supérieur ; et cette thèse exige des études variées et approfondies sur des objets d'une utilité et d'une importance réelle. Ainsi l'esprit se trouve habitué à l'exercice et à l'application; et entre cinquante docteurs d'une érudition pédantesque, il en sort tous les ans au moins un, petit nombre qui, doués d'une raison saine, d'un esprit juste et méthodique, quelquefois d'une âme élevée et du génie des affaires, sont propres à remplir les fonctions qui demandent le plus de sagesse, de lumières et de talents. Qu'on suppose la même vigilance, la même suite, la même activité dans des écoles de droit publique, de politique et d'administration; que, pour entrer dans les premiers emplois, on ait à subir, dans ces écoles, examens aussi sévères que dans les écoles du génie, de l'artillerie, dela marine et des ponts-et-chaussées; alors tous les talents d'une utilité importante, également bien cultivés, fourniront avec abondance à tous les besoins de l'État. On ne sera embarrassé du choix que par la foule des hommes de mérite; mais quand même ce serait trop présumer du génie de la nation, il serait vrai du moins, comme partout ailleurs, qu'il faut semer pour recueillir, et imiter les fleuristes de Hollande, qui dans un champ couvert de

des

tulipes communes, s'il y en a seulement quelques-unes de rares, se trouvent richement payés de la culture de leur champ.

Encore un mot sur quelques défauts à corriger dans nos écoles. L'esprit de méthode et de suite, l'unité de principes, la liaison et l'accord, nécessaires dans le système d'une instruction progressive, exigerait que le même régent, attaché aux mêmes disciples, les suivît dans tous leurs degrés. Mais si cela n'est pas possible, au moins doit-il y avoir, entre les maîtres qui se succèdent, une grande conformité d'opinion, de goût et de doctrine; ce qu'on ne peut guère attendre que des hommes vivant ensemble sous une même discipline; et l'on trouverait cet avantage à confier l'instruction à des corps, si les corps n'avaient pas eux-mêmes beaucoup d'autres inconvénients.

Dans l'université de Paris on peut se procurer cette unité d'instruction par la facilité qu'on a de choisir de bons maftres, et singulièrement par la capacité et par la vigilance d'un excellent recteur qui les dirige tous. Mais à cette école florissante on reproche encore deux abus: l'un de consumer en vacances presque la moitié de l'année; l'autre d'admettre dans les classes une trop grande inégalité.

Rien de plus commode sans doute que les congés fréquents, mais rien de plus nuisible; et le moindre mal qui s'ensuit est l'évaporation des esprits, la dissipation des idées, l'interruption de leur chaîne, la perte d'un temps précieux.

L'inégalité dont je parle s'est introduite par une fraude qu'on s'est permise imprudemment. Dans le concours des différents colléges pour disputer les prix, chacun ne songe qu'à sa propre gloire; et pour avoir des écoliers plus forts, ou l'on garde des vétérans, ou des colléges des provinces on fait venir des écoliers plus avancés qu'on ne peut l'être dans la classe où ils sont reçus: en sorte que les jeunes gens qui n'ont fait que suivre de degré en degré le cours de leurs études, quelque application qu'ils yaient mise, et de quelque talent qu'ils soient doués, se sentent faibles, et perdent courage contre des rivaux qui ont sur eux des avantages trop marqués. Il faut absolument que cet abus cesse: sans quoi tous les fruits qu'on a eu lieu d'attendre de l'institution des prix sont perdus pour l'émulation. (Cet abus a cessé.)

ÉGLOGUE. C'est l'imitation des mœurs champêtres dans leur plus agréable simplicité. On peut considérer les bergers dans trois états: ou tels qu'on s'imagine qu'ils ont été dans l'abondance et l'égalité du premier âge, avec l'ingénuité de la nature, la douceur de l'innocence, et la noblesse de la liberté : ou tels qu'ils sont devenus, depuis que l'artifice et la force ont fait des esclaves et des maîtres, réduits à des travaux dégoûtants et pénibles, à des besoins douloureux et grossiers, à des idées basses et tristes; ou tels enfin qu'ils n'ont jamais été, mais tels qu'ils pouvaient être, s'ils avaient conservé assez longtemps leur innocence et leur loisir, pour se polir sans se corrompre, et pour étendre leurs idées sans multiplier leurs besoins. De ces trois états le premier est vraisemblable, le second est réel, le troisième est possible. Dans le premier, le soin des troupeaux, les fleurs, les fruits, le spectacle de la campagne, l'émulation dans les jeux, le charme de la beauté, l'attrait physique de l'amour, partagent toute l'attention et tout l'intérêt des bergers : une imagination riante, mais timide, un sentiment délicat, mais naïf, règnent dans tous leurs discours: rien de réfléchi, rien de raffiné, la nature enfin, mais la nature dans sa fleur: telles sont les mœurs des bergers pris dans l'état d'innocence.

Mais ce genre est peu vaste. Les poëtes, s'y trouvant à l'étroit, se sont répandus, les uns, comme Théocrite, dans l'état de grossièreté et de bassesse; les autres, comme quelques-uns des modernes, dans l'état de culture et de raffinement: les uns et les autres ont manqué d'unité dans le dessin, et ils se sont éloignés de leur but.

L'objet de la poésie pastorale me semble devoir être de présenter aux hommes l'état le plus heureux dont il leur soit permis de jouir, et de les en faire jouir en idée par le charme de l'illusion. Or l'état de grossièreté et de bassesse n'est point cet heureux état. Personne, par exemple, n'est tenté d'envier le sort de deux bergers qui se traitent de voleurs et d'infâmes. ( Virg. Egl. 3. ) D'un autre côté, l'état de raffinement et de culture ne se concilie pas assez dans notre opinion avec l'état d'innocence, pour que le mélange nous en paraisse vraisemblable. Ainsi, plus la poésie pastorale tient de la rusticité ou du raffinement, plus elle s'éloigne de son objet.

Virgile était fait pour l'orner de toutes les grâces de la nature, si, au lieu de mettre ses bergers à sa place, il se fût mis lui-même à la place de ses bergers. Mais comme presque toutes ses églogues sont allégoriques, le fond perce à travers le voile et en altère les couleurs. A l'ombre des hêtres on entend parler de calamités publiques, d'usurpation, de servitude : les idées de tranquillité, de liberté, d'innocence, d'égalité, disparaissent; et avec elles s'évanouit cette douce illusion qui, dans le dessein du poëte, devait faire le charme de ses pastorales.

<< Il imagina des dialogues allégoriques entre des bergers, afin de rendre ses pastorales plus intéressantes,» a dit l'un des traducteurs de Virgile. Mais ne confondons pas l'intérêt relatif et passager des allusions, avec l'intérêt essentiel et durable de la chose. Il arrive quelquefois que ce qui a produit l'un pour un temps, nuit dans tous les temps à l'autre. Il ne faut pas douter, par exemple, que la composition de ces tableaux où l'on voit l'enfant Jésus caressant un moine n'ait été ingénieuse et intéressante pour ceux à qui ces tableaux étaient destinés. Le moine n'en est pas moins ridiculement placé dans ces peintures allégoriques.

Rien de plus délicat, de plus ingénieux, que les églagues de quelques-uns de nos poëtes: l'esprit y est employé avec tout l'art qui peut le déguiser. On ne sait ce qui manque à leur style pour être naïf; mais on sent bien qu'il ne l'est pas : cela vient de ce que leurs bergers pensent au lieu de sentir, et analysent au lieu de peindre.

Tout l'esprit de l'églogue doit être en sentiments et en images; on ne veut voir dans les bergers que des hommes bien organisés par la nature, et à qui l'art n'ait point appris à composer et à décomposer leurs idées. Ce n'est que par les sens qu'ils sont instruits et affectés ; et leur langage doit être comme le miroir où ces impressions se retracent. C'est là le mérite dominant des églogues de Virgile.

Ite, meæ, felix quondam pecus, ite, capellæ..
Non ego vos posthac, viridi projectus in antro,
Dumosa pendere procul de rupe videbo 1.

< Allez, mes chèvres, allez, troupeau jadis heureux. Je ne vous verrai plus

Fortunate senex, hic inter flumina nota,
Et fontes sacros, frigus captabis opacum '.

« Comme on suppose ses acteurs, a dit la Motte en parlant de l'églogue, dans cette première ingénuité que l'art et le raffinement n'avaient point encore altérée, ils sont d'autant plus touchants, qu'ils sont plus émus et qu'ils raisonnent moins..... Mais qu'on y prenne garde : rien n'est souvent si ingénieux que le sentiment; non pas qu'il soit jamais recherché, mais parce qu'il supprime tout raisonnement. » Cette réflexion est très-fine et très-séduisante. Essayons d'y démêler le vrai. Le sentiment franchit le milieu des idées; mais il embrasse des rapports plus ou moins éloignés, suivant qu'ils sont plus ou moins connus : et ceci dépend de la réflexion et de la culture.

Je viens de la voir qu'elle est belle!

Vous ne sauriez trop la punir. (QUINAULT.)

Ce passage est naturel dans le langage d'un héros, il ne le serait pas dans celui d'un berger.

Un berger ne doit apercevoir que ce qu'aperçoit l'homme le plus simple, sans réflexion et sans effort. Il est éloigné de sa bergère, il voit préparer des jeux, et il s'écrie :

Quel jour ! quel triste jour! et l'on songe à des fêtes!

(FONTENELLE.)

Il croit toucher au moment où de barbares soldats vont arracher ses plants; et il se dit à lui-même.

Insere nunc, Melibæe, pyros; pone ordine vites 2.

(VIRGILE.)

La naïveté n'exclut pas la délicatesse; celle-ci consiste dans

tranquillement coiché dans une grotte de verdure, je ne vous verrai plus loin de moi suspendues au bord d'un roc er bussonneux. »

« O fortuné vieillard, vivant ici au milieu de ces fleuves célèbres et de ces fontaines sacrées, vous goûterez paisiblement la fraîcheur d'un ombrage épais. »

2 « A présent, Mélibée, va te donner la peine de planter des poiriers et d'aligner des vignes. »

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