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poids du jour, force une terre ingrate à produire de quoi vous nourrir ? Vous le verrez revenir ce soir accablé de fatigue, dégouttant de sueur; etc..» Cette églogue ne sera-t-elle pas aussi touchante que naturelle ?

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L'églogue est un récit, ou un entretien, ou un mélange de l'un et de l'autre dans tout les cas, elle doit être absolue dans son plan, c'est-à-dire ne laisser rien à désirer dans son commencement, dans son milieu, ni dans sa fin: règle contre laquelle pèche toute églogue dont les personnages ne savent à quel propos ils commencent, ils continuent, ou ils finissent de parler. Voyez DIALOGUE.

Dans l'églogue en récit, ou c'est le poëte, ou c'est l'un de ses bergers qui raconte. Si c'est le poëte, il lui est permis de donner à son style un peu plus d'élégance et d'éclat; mais il n'en doit prendre les ornements que dans les mœurs et les objets champêtres: il ne doit être lui-même que le mieux instruit et plus in. génieux des bergers. Si c'est un berger qui raconte, le style et le ton de l'églogue en récit ne diffèrent en rien du style et du ton de l'églogue en dialogue. Dans l'une et l'autre ce doit être un tissu d'images familières, mais choisies, c'est-à-dire ou gracieuses ou touchantes: c'est là ce qui met les pastorales anciennes si fort au-dessus des modernes. Il n'est point de galerie si vaste, qu'un peintre habile ne pût orner avec une seule des églogues de Virgile. C'est une erreur assez généralement répandue, que le style figuré n'est point naturel; en attendant que j'essaye de la détruire, relativement à la poésie en général (Voyez IMAGE), je vais la combattre en peu de mots à l'égard de la poésie champêtre. Non-seulement il est dans la nature que le style des bergers soit figuré, mais il est contre toute vraisemblance qu'il ne le soit pas. Employer le style figuré, c'est, à peu près comine Lucain l'a dit de l'écriture,

Donner de la couleur et du corps aux pensées ;

et c'est ce que fait naturellement un berger. Un ruisseau serpente dans la prairie, le berger ne pénètre point la cause physique de ses détours: mais, attribuant au ruisseau un penchant analogue au sien, il se persuade que c'est pour caresser les fleurs et couler plus longtemps autour d'elles, que le ruisseau s'égare et pro

longe son cours. Un berger sent épanouir son âme au retour de sa bergère les termes abstraits lui manquent pour exprimer ce sentiment; il a recours aux images sensibles; l'herbe que ranime la rosée, la nature renaissante au lever du soleil, les fleurs écloses au premier souffle du zéphir, lui prêtent les couleurs les plus vives pour exprimer ce qu'un métaphysicien aurait bien de la peine à rendre. Telle est l'origine du langage figuré, le seul qui convienne à la pastorale, par la raison qu'il est le seul que la nature ait enseigné.

Cependant, autant que des images détachées sont naturelles dans ce style, autant une allégorie continue y paraîtrait artificielle. La comparaison même ne convient à l'églogue que lorsqu'elle semble se présenter sans qu'on la cherche, et dans des moments de repos. De là vient que celle-ci manque de naturel, employée comme elle est dans une situation qui ne permet pas de parcourir tous ces rapports.

Nec lacrymis crudelis amor, nec gramina rivis,

Nec cytiso saturantur apes, nec fronde capellæ 1.

Le dialogue est une partie essentielle de l'églogue: mais comme il a les mêmes règles dans tous les genres de poésie, voyez DIA

LOGUE.

ÉLÉGANCE. Celle du style suppose la correction, la justesse, la pureté de la diction, c'est-à-dire la fidélité la plus sévère aux règles de la langue, au sens de la pensée, aux lois de l'usage et du goût: mais tout cela contribue à l'élégance, et n'y suffit pas. Elle exige encore une liberté noble, un air facile et naturel, qui, sans nuire à la correction, déguise l'étude et la gêne. Le style de Despréaux est correct; celui de Racine et de Quinault est élégant. «L'élégance consiste, dit l'auteur des Synonymes français, dans un tour de pensée noble et poli, rendu par des expressions châtiées, coulantes et gracieuses à l'oreille. » Disons mieux :

1 « Nile cruel amour ne se rassasie de larmes; ni les ruisseaux, de gazon ; ni les abeilles, de fleurs; ni les chèvres, de feuillage. » ( Je traduis mot à mot ce que je ne saurais rendre avec la grâce du vers latin.)

c'est la réunion de toutes les grâces du style; et c'est par là qu'un ouvrage relu sans cesse est sans cesse nouveau.

La langueur et la mollesse du style sont les écueils voisins de l'élégance; et parmi ceux qui la recherchent, il en est peu qui les évitent : pour donner de l'aisance à l'expression, ils la rendent faible et diffuse; leur style est poli mais efféminé. La première cause de cette faiblesse est dans la manière de concevoir et de sentir. Tout ce qu'on peut exiger de l'élégance c'est de ne pas énerver le sentiment ou la pensée ; mais on ne doit pas s'attendre qu'elle donne de la chaleur ou de la force à ce qui n'en a pas.

Le point essentiel et difficile est de concilier l'élégance avec le naturel. L'élégance suppose le choix de l'expression or le moyen de choisir, quand l'expression naturelle est unique? le moyen d'accorder cette vérité, ce naturel, avec toutes les convenances des mœurs, de l'usage, et du goût; avec ces idées factices de bienséance et de noblesse, qui varient d'un siècle à l'autre, et qui font loi dans tous les temps? Comment faire parler naturelle.. ment un villageois, un homme du peuple, sans blesser la délicatesse d'un homme poli, cultivé?

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C'est là sans doute une des plus grandes difficultés de l'art, et peu d'écrivains ont su la vaincre. Toutefois, il y en a deux moyens : le choix des idées et des choses, et le talent de placer les mots. Le style n'est le plus souvent bas et commun que par les idées. Dire comme tout le monde ce que tout le monde a pensé, ce n'est pas la peine d'écrire vouloir dire des choses communes d'une façon nouvelle et qui n'appartienne qu'à nous, c'est courir le risque d'être précieux, affecté, peu naturel : dire des choses que nous avons tous confusément dans l'âme, mais que personne n'a pris soin encore de démêler, d'exprimer, de placer à propos, les dire dans les termes les plus simples et en apparence les moins recherchés, c'est le moyen d'être à la fois naturel et ingénieux.

Le sage est ménager du temps et des paroles.

Qui ne l'eût pas dit comme la Fontaine? Qui n'eût pas dit comme lui,

Qu'un ami véritable est une douce chose!

Il cherche vos besoins au fond de votre cœur,

ou plutôt qui l'eût dit avec cette vérité si touchante ?

Le moyen le plus sûr d'avoir un style à soi, ce serait de s'exprimer comme la nature; et le poëte que je viens de citer en est la preuve et l'exemple: mais si le vrai seul est aimable, il faut avouer qu'il ne l'est pas toujours. Il est donc important de choisir dans la nature des détails dignes de plaire, et dont l'expression naïve et simple n'ait rien de grossier ni de bas par exemple, tout ce qu'on peint des mœurs des villageois doit être vrai sans être dégoûtant; et il y a moyen de donner à ces détails de la grâce et de la noblesse.

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Il en est du moral comme du physique, et si la nature est choisie avec goût, les mots qui doivent l'exprimer seront décents et gracieux comme elle. L'art de placer, d'assortir les mots, de les relever l'un par l'autre, de ménager à celui qui manque de clarté, de couleur, de noblesse, le reflet d'un terme plus noble, plus lumineux, plus coloré; cet art, dis-je, ne peut se prescrire : c'est l'étude et l'exercice qui le donnent, secondés du talent, sans lequel l'exemple est infructueux, et le travail même inutile.

Mais si le sujet présente inévitablement des objets rebutants ou ingrats à décrire, quelle sera, pour être élégant, la ressource de l'écrivain? Fléchier va vous l'apprendre dans la description qu'il fait d'un hôpital. ( Oraison funèbre de la reine.) « Voyonsla, dit-il, dans ces hôpitaux où elle pratiquait ses miséricordes publiques; dans ces lieux où se ramassent toutes les infirmités et tous les accidents de la vie humaine; où les gémissements et les plaintes de ceux qui souffrent remplissent l'âme d'une tristesse importune; où l'odeur qui s'exhale de tant de corps languissants porte dans le cœur de ceux qui les servent le dégoût et la défaillance; où l'on voit la douleur et la pauvreté exercer à l'envi leur funeste empire; et où l'image de la misère et de la mort entre presque par tous les sens. >>

Dans ce tableau, chaque trait présente une image affligeante, un sentiment pénible; et rien n'y est rebutant; et tout y est ennobli par le choix de l'expression.

On demande pourquoi il est des auteurs dont le style a moins vieilli que celui de leurs contemporains; en voici la cause. Il est rare que l'usage retranche d'une langue les termes qui réunissent l'harmonie, le coloris, et la clarté ; quoique bizarre dans ses décisions, l'usage ne laisse pas de prendre assez souvent conseil de l'esprit, et surtout de l'oreille; on peut donc compter assez sur le pouvoir du sentiment et de la raison pour garantir qu'à mérite égal, celui des écrivains qui, dans le choix des termes, aura le plus d'égard à la clarté, au coloris, à l'harmonie, sera celui qui vieillira le moins.

Un sort opposé attend ces écrivains qui s'empressent à saisir les mots dès qu'ils viennent d'éclore et avant même qu'ils soient reçus. Ces móts que la Bruyère appelle aventuriers, qui font d'abord quelque fortune dans le monde et qui s'éclipsent au bout de six mois, sont, dans le style comme dans les tableaux, ces couleurs brillantes et fragiles qui, après nous avoir séduits quelque temps, noircissent et font une tache. Le secret de Pascal est d'avoir bien choisi ses couleurs.

Le dictionnaire d'un écrivain, ce sont les poëtes, les historiens, les orateurs qui ont excellé dans l'art d'écrire. C'est là qu'il doit étudier les finesses, les délicatesses, les richesses de sa langue; non pas à mesure qu'il en a besoin, mais avant de prendre la plume; non pas pour se faire un style des débris de leurs phrases et de leurs vers mutilés, mais pour saisir avec précision le sens des termes et leurs rapports, leur opposition, leur analogie, leur caractère et leurs nuances, l'étendue et les limites des idées qu'on y attache, l'art de les placer, de les combiner, de les faire valoir l'un par l'autre, en un mot, d'en former un tissu où la nature vienne se peindre comme sur la toile, sans que l'art paraisse y avoir mis la main. Pour cela ce n'est pas assez d'une lecture indolente et superficielle, il faut une étude sérieuse et profondément réfléchie. Cette étude serait pénible autant qu'ennuyeuse si elle était isolée; mais en étudiant les modèles on étudie tout l'art à la fois; et ce qu'il y a de sec et d'abstrait s'apprend sans qu'on s'en aperçoive, dans le temps même qu'on admire ce qu'il y a de plus ravissant.

Je finis cet article par un passage de Cicéron sur le soin que

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