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qui comptait pourtant au nombre des gens de goût de son temps, vante les nouvelles qualités de précision obtenues par la machine, et qui sont devenues si fatales aux médailles. L'empilage, condition rigoureuse de la monnaie. La virole, perfectionnement mécanique. L'art ne fut pas chassé des médailles, mais son champ a été tellement limité, qu'il y peut à peine faire preuve d'existence. Étude des médailles commandées par l'État depuis 50 ans et des jetons faits pour les particuliers dans le même espace de temps. - Impression de profond découragement. - Le saint Georges de Pitrucci, supprimé de nos jours, et remplacé sur les souverains par d'insipides armoiries, a été le dernier exemple d'une monnaie artiste; la tête de la République d'Oudiné restera aussi comme le témoignage des ressources qu'un sentiment élevé et un burin délicat peuvent trouver dans les deux ou trois millimètres d'épaisseur laissés au talent par les exigences de l'empilage. Le véritable art du sculpteur et du graveur en médailles est donc perdu, et je ne sais aucun symptôme plus affligeant, plus humiliant, de l'infériorité des modernes comparée sous ce rapport à la supériorité des anciens. Nous pouvons nous faire illusion en architecture, en sculpture, en peinture; mais, quand il s'agit de médailles, de camées et de pierres gravées, notre défaite est honteuse, car nos productions sont indignes de peuples civilisés. — Moyens de faire renaître ce grand art en remettant les camées et les pierres gravées à la mode, en donnant une large extension aux médailles et aux jetons de présence. Le monde tend à l'unité de la monnaie la plus insignifiante, mais les médailles et les jetons peuvent rendre une libre carrière à l'imagination de nos artistes. — Rétablir l'usage de distribuer des médailles, ne pas souffrir qu'on les remplace par un ignoble sac d'écus ou par un chiffon de papier graisseux payable à la banque de France. — La médaille n'est pas seulement une rémunération, c'est aussi un titre d'honneur qui doit rester dans la famille. Style qui convient aux médailles. — Faciliter la connaissance des médailles antiques par des imitations en soufre et par le procédé de M. Cavelier, de Caen. Exclure le genre pittoresque adopté au xvir® siècle. · Imiter les Grecs, qui évitaient les sujets compliqués. — S'agit-il de médailles de course? Que fait-on des tableaux de l'hippodrome? Je préférerais la tête du cheval vainqueur, accentuée comme Phidias nous en a donné le modèle. S'agit-il de comices agricoles? Voyez comme les sculpteurs grecs rendaient sur leurs médailles les animaux les plus humbles. Médailles de sauvetage, d'actes de dévouement, toutes inspirées par le fait même auquel elles se rapportent. — Les jetons de présence sont devenus si laids, leur effigie si banale, si vulgaire, qu'on a préféré une pièce de cinq francs. Donnez un bon exemple. — Vos commissions gratuites deviennent désertes, ranimez l'exactitude par des jetons de présence. N'eussent-ils qu'une valeur minime, si vous la rehaussez par la beauté de l'exécution, si vous en renouvelez souvent les types qui peuvent trouver dans l'allégorie mille motifs pour exprimer le sujet de la réunion, on viendra les chercher assidûment.

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· L'État ne se contentera pas de distribuer ses médailles et ses jetons dans les occasions déjà en usage, it en créera de nouvelles et de fréquentes. — Ses médailles, étant des objets d'art, vaudront plus que leur poids, et se conserveront comme des objets précieux; les grandes se placeront en évidence dans l'habitation, les petites se porteront au cou et dans la coiffure, comme des bijoux. C'est ainsi qu'on marque une époque et qu'on donne une impulsion. Les sociétés de sciences, d'industrie, de bienfaisance, des arts, sont innombrables; ajoutez-y les chambres et tribunaux de commerce de toutes les villes, les prud'hommes de toutes les catégories, les conseils d'hospice, de santé, dé municipalités, de cercles et casinos, etc., tous ou presque tous ont leurs médailles et leurs jetons de présence. Étude des médailles et jetons des sociétés privées. · Monotone et plate insignifiance de cette longue série depuis 50 ans. Mais, quand l'État distribuera de belles médailles, des compagnies industrielles consacreront 20,000 francs pour que leurs jetons de présence répandent partout une grande idée de leur prospérité, et conservent par leur mérite d'exécution un prix plus élevé que leur valeur intrinsèque; les autres sociétés les imiteront, chacune dans la proportion de leurs moyens; le clergé aussi voudra que ses médailles commémoratives de jubilés, indulgences, communions, mariages, allient la beauté de l'art aux charmes des souvenirs. - On étendra cette bienheureuse réforme, ou plutôt, une fois entreprise, elle s'étendra d'elle-même, à la gravure des timbres, à l'ornementation des plombs de douane. → Petits moyens de propagande du bon goût. Il n'en est aucun à dédaigner. La terre de pipe est une admirable matière, la pipe un objet qu'on a continuellement sous les yeux. Il se fabrique annuellement à Saint-Omer, dans les Ardennes, dans le Nord, dans l'Ille-et-Vilaine, 200 millions de pipes; celles qui sont ornées sont d'affreuses caricatures. Donnez ce thème à un artiste de talent, et il trouvera dans le petit espace laissé autour du foyer de la pipe une place suffisante pour des figures gracieusement posées, pour des types de têtes accentués dans un caractère noble et dans une expression vraie. Différentes industries qui comportent ce genre d'intervention, différentes influences qui peuvent exercer une bonne propagande. — Les spectacles en plein vent, les musées forains et les colporteurs. On fera copier par de jeunes artistes les meilleurs tableaux de nos peintres populaires, les batailles d'Horace Vernet par exemple, et on donnera ces bonnes répétitions aux entrepreneurs de spectacles ambulants qui courent les foires. Ils intéresseront le peuple à des faits mémorables dignement représentés, au lieu de lui laisser dans la mémoire des turpitudes, des crimes et toutes sortes de sauvageries qui semblent peintes par les sauvages eux-mêmes. — D'autres entrepreneurs de spectacles forains promènent dans nos campagnes des lions pelés, des éléphants galeux, et des monstruosités naturelles qui n'apprennent rien à personne; on leur donnera en dépôt et on renouvellera de loin en loin des séries de belles gravures, des objets d'art et d'excellents tableaux modernes, qu'ils transporteront et feront goûter jus

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qu'au fond des plus pauvres hameaux, jusqu'au haut de nos montagnes, tous lieux qui échappent à la sollicitude la plus dévouée, à l'influence la plus puissante. Les colporteurs sont les intermédiaires, entre l'éditeur et l'acheteur, entre l'État et le paysan. Chiffre des colporteurs. - Organisation. Ils sont souvent plus immoraux dans leur conduite, plus grossiers dans leurs propos, que les livres et gravures qu'ils vendent sous main; mais, du moment où toutes les carrières sont obstruées, du moment où, par l'impulsion donnée aux publications populaires, aux gravures et aux moulages à bon marché, le métier de colporteur sera devenu lucratif, exigez de ceux qui en exercent le privilége une certaine culture, un don d'éloquence naturel, quelque talent musical pour chanter la complainte; élevez l'homme au niveau de l'importance nouvelle de sa mission. — Encouragements aux plus intelligents, médaille d'honneur du colportage décernée par les préfets.

MAINTIEN DU goût public par les spectacles.

THÉÂTRES. Considérations générales. Le théâtre était envisagé chez les Grecs comme un moyen d'enseignement, d'utile propagande, de civilisation bienfaisante. L'accepter ainsi, et, pour répondre aux besoins démocratiques de la société nouvelle, ouvrir d'immenses théâtres. Les innovations modernes semblent nées de cette participation du grand nombre à toutes les jouissances. — Paquebots énormes, convois indéfinis de chemins de fer, omnibus de cent voyageurs. A leur tour, les théâtres renouvelés contiendront 30,000 spectateurs commodément assis, voyant bien le spectacle et entendant parfaitement les acteurs. Nous voulons plus encore, car le velamen de l'antiquité est un abri médiocre à côté des ressources de tous genres offertes à nos architectes par les nouveaux matériaux de construction. 30,000 spectateurs préservés de la pluie et du vent, de la chaleur et du froid, ventilés en été avec des courants d'air mêlés aux senteurs de toutes les fleurs, échauffés en hiver par des courants de chaleur tiède et parfumée. - Le public parisien, qui se compose de l'élite du monde, a droit à de beaux et bons théâtres, car il leur jette chaque année 20 millions, et il leur en donnera bientôt 50. Répondent-ils à ces générosités de grand seigneur? On pourra le croire, si l'on compte les théâtres, les acteurs, les pièces représentées chaque année; on protestera, si l'on a le moindre souci de ses aises, le plus faible sentiment de la distinction et du style dans l'architecture, le goût de l'originalité dans les nouveautés et de la vraie gaieté dans les bouffonneries, de l'esprit de bon aloi dans les comédies, de la grâce inspirée par la nature dans les ballets, de l'âme, du talent, du génie, dans les drames, opéras et tragédies.-Toutes les fois que le peuple a compté, on lui a donné de magnifiques théâtres. Les Grecs lui construisaient des théâtres en marbre de la plus belle architecture, où il venait entendre les chefsd'œuvre des poètes, entouré des chefs-d'œuvre de la peinture et de la sculp

ture. Les Romains lui offraient, dans des cirques et dans des hippodromes immenses, les combats d'animaux et les courses de chars. Tant que ces nations furent dignes d'elles-mêmes, ces spectacles excitèrent les plus nobles sentiments, le sentiment du beau dans les arts et l'enthousiasme guerrier. Pourquoi laisser se perdre ces moyens faciles d'une influence féconde? — La construction des grands théâtres ne devrait être confiée qu'à l'architecte le plus ingénieux et le plus artiste parmi les plus habiles (voir plus loin, p. 1008). Le théâtre est un enseignement qui développe la morale, l'esprit, le goût par les lettres, l'harmonie et le plaisir des yeux. Donnez au peuple le moyen de s'y distraire à bas prix, et souvent d'y entrer gratuitement. -Périclès payait sur la caisse publique l'entrée des citoyens pauvres dans les théâtres d'Athènes, et, à son imitation, toutes les municipalités de la Grèce prirent à leur charge cette utile distraction du peuple. Je ne parle pas des libéralités impériales chez les Romains, elles avaient un but plus politique que moral; je remarquerai seulement que nos dix théâtres contiennent 15,000 spectateurs, et que Rome en mit 87,000 à l'aise dans le Colisée seul. DES DIRECTEURS. Placer à la tête de vos théâtres des hommes convaincus, celui-ci de l'autorité de la musique, celui-là des vrais principes de toute saine littérature, tous de la dignité de l'art, et, si l'on vous dit que tel directeur a fait de plus grosses recettes que son prédécesseur, cherchez, non pas au fond de sa caisse, mais dans son répertoire, ce qui restera de sa gestion.—Direction littéraire. Mélange heureux qui satisfait le goût tenace des beautés éternelles et les goûts passagers des gentillesses de mode.-Théâtres Français. Premier, second et troisième théâtre Français.— Le théâtre Français reprendra sa mission. Il est la bibliothèque dramatique que la génération actuelle ne lit pas, et qu'il lui récite avec tout le charme, toute la séduction capables de faire accepter de vieux chefs-d'œuvre. Qui lit Rotrou? pour n'en citer qu'un parmi les bons. Faites en sorte qu'on vienne l'entendre dans votre théâtre.— Ainsi l'enfant accepte la boisson salutaire dont vous savez dissimuler l'amertume.— Mais, pour bien jouer les œuvres du génie, il faut être presque un génie soi-même : aussi, quand les Talma, les Mars, les Rachel, viennent au secours de Néron, de Célimène et de Phèdre, tuez le veau gras, fêtez la bonne venue et ne reculez devant aucun sacrifice pour conserver aux lettres ces divins interprètes.-On médit des caprices de M" Rachel, de sa tyrannie, detous ses travers enfin; l'État ne doit se souvenir que d'une chose, c'est que Corneille, Racine, Voltaire et nos illustres écrivains revivent en elle, et en elle seulement. Quel artiste, un peu grand, ne porte pas ses défauts au niveau de ses succès, ses caprices à la hauteur de son génie? Jules II ne voyait dans Michel-Ange que son talent, il oubliait sa brutalité; et, quand l'artiste parvenait à s'enfuir de Rome, il menaçait la ville de Florence de l'excommunier et de lui déclarer la guerre, si elle ne rendait pas son peintre à la chapelleSixtine. L'histoire des arts est pleine des méfaits de ces grands artistes, et des preuves de mansuétude des papes, des souverains et d'un public non moins intelligent qu'enthousiaste, non moins épris du talent que sourd auz

So

menées de l'envie. M" Rachel sert les lettres et elle protége aussi les arts. Inspirée par ce sentiment antique qui vit dans tous les chefs-d'œuvre de notre littérature, elle les interprète non pas seulement par sa savante diction, mais aussi par la noblesse de la pose, la grandeur du geste, la distinction des attitudes et les ajustements incomparables du costume. A une autre époque, dans d'autres contrées, cette femme eût eu des statues sur la voie publique et dans les temples. — Utiliser ces rares intelligences en se tenant à l'affût des moindres tendances favorables au style et des jeunes talents qui, par une pente naturelle, sont disposés à s'y associer. phocle et Euripide remis sur un piedestal digne de leur génie. — Aucun détail négligé dans ces résurrections de l'art antique, car il suffit d'un détail fautif pour faire trébucher ces essais. Mais, quand on saura que MM. Boissonade, Rossignol, Lebas, ont vérifié la traduction de MM. Ponsard et Augier; que MM. le duc de Luynes, de Saulcy, de Rougé, ont présidé à la mise en scène et au choix des costumes; que MM. Hittorf, Paccard, Maxime du Camp, ont dirigé les peintres décorateurs; que MM. Mérimée, Ampère et Patin ont surveillé les mille détails de la vie privée et des usages, alors l'attention sera confiante et respectueuse au milieu des étrangetés, et, à moins d'un obstacle imprévu, comme un Oreste nasillard ou une Électre grasseyante, le succès sera assuré et d'une véritable portée. Il n'y aura que vingt représentations, car il faut limiter ces plaisirs exceptionnels comme on enchâsse des pierres précieuses; mais, pendant la durée de ces représentations, on ne parle que de cela, la conversation des gens du monde s'en nourrit, l'imagination des artistes s'y échauffe, les modes elles-mêmes s'inspirent de la noblesse des ajustements et se plient à cette élégante simplicité. Cela fait, on abandonne décoration et poëme, sans réserve de droits d'auteurs, à l'entrepreneur quelconque d'un théâtre de boulevard, qui tire alors parti d'un succès sanctionné par l'élite de la société et rend populaire jusque dans les provinces ce qui, tenté par le premier venu, écrivain ou directeur de théâtre, n'eût inspiré que dédain et pitié pour cette sublime antiquité. — Mais après ce succès on ne se croise pas les bras, on recommence autre chose, marchant au même but. — Le problème ne change pas; combattre ce qui monte d'en bas, répandre et généraliser ce qui descend d'en haut. — Notre premier théâtre tragique ne doit pas être seulement le Louvre des vieux maîtres, il est encore le musée du Luxembourg des maîtres vivants. — Moyens de stimuler les auteurs en proportionnant les moyens d'exécution au talent. — Unité d'impulsion en embrassant les différents genres dramatiques dans une même action dirigeante. — Nous avons un second théâtre Français, l'Odéon, qui est trop indépendant du théâtre de la rue de Richelieu. — Public particulier, la jeunesse des écoles. -Que lui faudrait-il? l'ancien répertoire joué par des artistes de talent, et les pièces nouvelles dont le mérite aurait été consacré par un public d'élite. -- Que lui donne-t-on à entendre?— Historique des vingt années dernières. Des tragédies dont le théâtre Français n'accepte pas même la lecture

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