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ment à l'abri de leurs coups. Ingres, Paul Delaroche, A. Scheffer, lui ont répondu en s'enfermant dans leur tente, l'illustre Gros en se jetant dans la rivière. Chez les anciens, le goût public étant formé, la critique se faisait tout haut et par tout le monde; un artiste consommé et de grand renom osait seul se faire l'interprète de l'opinion publique. Il en sera bientôt ainsi parmi nous; mais dès aujourd'hui la carrière de la critique devrait être fermée aux littérateurs, qui ne savent rien des arts, et aux artistes manqués, qui en savent trop; elle restera ouverte, non pas aux artistes de génie, qui s'en acquitteraient mieux que tous autres s'ils n'avaient pas un meilleur emploi de leur temps, mais aux hommes de savoir et de goût qui, après avoir pratiqué les arts avec passion, ont conservé assez de loisir pour longuement étudier, beaucoup voyager et recucillir, au contact de l'histoire de tous les temps, dans l'étude des productions de toutes les écoles et dans le commerce des artistes contemporains, cette expérience calme qui donne aux jugements une autorité sérieuse en affranchissant l'esprit du goût malsain des innovations, de la fantaisie des paradoxes et du besoin de briller aux dépens de la justice. Ces nouveaux critiques auront l'indulgence qui donne aux artistes la confiance; ils auront cet enthousiasme de bon aloi qui, dans l'examen de toute œuvre, va droit aux qualités sans se soucier des défauts. L'art est un rude labeur; le plus robuste athlète ne traîne son char, sur la montée rapide, qu'au prix des plus grands efforts. La critique doit-elle s'atteler devant ou derrière, activer ou ralentir la marche, ajouter aux difficultés ou les faire disparaître, tresser des couronnes enfin ou donner le coup de mort? La critique nouvelle viendra en aide aux arts, elle puisera dans leur histoire et dans sa propre expérience les principes immuables, supérieurs aux caprices du jour et aux entraînements de la mode. Liberté et gratuité des entrées. Nos rois ont gâté la France, et la France est, sous certains rapports, trop vicile pour qu'on songe à refaire son éducation. Le Français est habitué à entrer librement, gratuitement, dans les palais, collections et établissements appelés tantôt royaux, tantôt nationaux, dans les cours publics, dans les expositions de tous genres. Parce qu'il paye ses contributions, il croit que l'État doit lui donner des routes bien entretenues et des musées richement garnis, une police vigilante et des professeurs distingués. Reste à savoir si l'État agit sagement en étant aussi libéral, si les générosités de la bourse commune sont compensées par le profit que trouve la nation entière, dans cet enseignement quotidien mis à la portée de tous. Le doute n'est pas possible. Il y va de l'honneur de la France de continuer ces nobles traditions, Les artistes ont été les premiers, je le sais, à faire marchandise de l'exposition de leurs œuvres. Zeuxis imposa un droit d'entrée à tous ceux qui vinrent voir dans son atelier le fameux tableau d'Hélène, et David recueillit 65,627 francs à montrer pendant cinq ans (de nivôse an VIII à prairial an x111) l'Enlèvement des Sabines dans la salle du Louvre, qui se trouvait à côté de son atelier. Ces faits ne doivent pas être donnés en exemple; on pourrait leur

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opposer plus d'un acte de désintéressement. L'État, d'ailleurs, ne songé pas seulement à gagner de l'argent; il sait qu'il est des dépenses fructueuses, et il a pour guide les hautes préoccupations.

MAINTIEN DU GOÛT PUBLIC Par les belleS PUBLICATIONS
À BON MARCHÉ.

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L'État, ai-je dit plus haut, doit à l'enseignement public les meilleurs modèles de dessin; il les donnera gratuitement aux pauvres, il les vendra à bas prix aux riches, car sa spéculation est toujours bonne, quoiqu'il y perde, s'il améliore le goût public. Faire pénétrer partout le goût délicat de la perfection, chasser de partout une tendance naturelle à la vulgarité. Retirer son initiative aussitôt que le bon exemple est suivi par l'industrie. Quels sont les besoins de la nation? Une publicité immense qui mettra, pour quelques centimes, dans les mains de tous les chefs-d'œuvre du génie que les gens de loisir et les riches pouvaient seuls posséder ou étudier dans les galeries étrangères. — Le peuple lit beaucoup, mais il Jira davantage, et les images seront toujours sa lecture favorite. C'est par les yeux qu'on l'instruit, disait Horace, c'est par les yeux que le moyen âge lui enseignait sa religion et son histoire; nous lui apporterons de nouveau cette assistance. Un journal en images se prend et se quitte, c'est le véritable livre des moments perdus. L'ouvrier le regardera pendant les courts instants de ses loisirs, et si ses yeux s'arrêtent sur une belle œuvre, bien rendue, il fixera dans sa mémoire un souvenir plus durable que ne le serait une longue lecture, ou, comme il le dit, de grands mots. Aux jours de fête, ou quand la vieillesse conseille le repos, il prendra des livres illustrés. Ces livres n'ont fait leur temps que pour les esprits délicats qui interprètent le texte mieux que l'artiste. N'oublions pas que telles illustrations de la Bible satisfont les lecteurs qui la regardent, si même ils choquent ceux qui la lisent; ne perdons pas de vue non plus que nous sommes à l'aurore de la publicité populaire. Le papier est trop cher, et on trouvera quelque plante filamenteuse qui, cultivée en grand, donnera un papier excellent à 50 p. o/o meilleur marché; l'impression mécanique est lente; on trouvera moyen d'en décupler l'action, si bien que nos petits-enfants auront des in-8° de 500 pages à 50 centimes et des in-12 à 25.

La librairie a-t-elle répondu à ces besoins? s'apprête-t-elle à y répondre? Elle a baissé ses prix, elle a multiplié les publications illustrées, et un nombre prodigieux d'acheteurs a répondu à sa hardiesse. Sont-ce les modèles de la littérature qu'elle répand ou des œuvres littéraires sans valeur? Sont-ce les chefs-d'œuvre de l'art qu'elle propage par la gravure sur bois, ou les misères et les vulgarités de talents faciles dépourvus de vraie originalité? Je le demande à tout homme de goût.—Exceptions honorables.——— La bibliothèque Charpentier, le Magasin pittoresque, l'Illustration, etc. etc. -Ces publications s'adressent aux classes élevées et aux classes moyennes,

XXX JURY.

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ce n'est pas l'œuvre du peuple. A qui celle-ci est-elle confiée? — Allez à Épinal, à Metz, à Nancy, à Montbéliard, à Strasbourg, dans la rue Saint-Jacques à Paris, et vous verrez sortir de sales officines les ignominies qui remplissent la balle des colporteurs sous le titre d'Almanach liégeois, de Messager boiteux, de Vies des saints, de Stations de Jérusalem, de chansons, anecdotes et bons mots. Telle est la bibliothèque, telles sont les gravures qui depuis un demi-siècle salissent l'imagination et le goût des populations de nos campagnes, en ridiculisant par un langage grossier et des dessins sauvages, rehaussés d'un coloriage criard, toutes les légendes faites pour remuer le cœur, les hauts faits de l'histoire, les tableaux de nos glorieuses batailles, les images des vertus et des dévouements. Un gouvernement paternel et prudent étouffera cette librairie, si elle ne crie grâce en s'amendant, et, pour qu'elle s'amende, il fera fabriquer par des artistes et des écrivains, par les premiers graveurs et les meilleurs imprimeurs, des masses correspondantes de bons livres qui, avec les mêmes titres, la même apparence extérieure, feront passer à un prix plus modique la distinction de l'esprit et la perfection de l'art à la place de leurs contraires. Il y a là une œuvre grave à accomplir, et il faut profiter de cette grande extension de publicité pour sauvegarder le bon goût et faire avec le style une concurrence à mort à la vulgarité. Bibliothèques communales de 30 résumés. Bibliothèques cantonales de 300 volumes, offrant le tableau de nos connaissances et l'élite de notre littérature. Appel aux lettres, aux sciences, aux arts et à l'industrie pour composer, avec le concours du clergé, cette encyclopédie populaire du xix siècle. Avec 37,040 communes pour souscripteurs, l'État n'a rien à donner que son adhésion. Livres illustrés. Avec les prétendues illustrations mises en circulation par nos libraires depuis vingt ans, on a sali plus de livres qu'on n'en a orné, on a troublé l'esprit du lecteur plus qu'on ne l'a aidé à comprendre son auteur. Demander à Hébert un Horace, à Gérome un Virgile, à Eug. Flandrin un Homère, à Decamps une Bible de Royaumont, puis abandonner ces coûteuses compositions à l'éditeur honorable qui consentira à faire avec elles de beaux livres à bon marché. — Beaux-arts. Les modèles de dessin, j'en ai traité page 613. — Les publications populaires. — Le 7 nivôse an 11, un décret de la Convention ordonne qu'une gravure représentant la mort du jeune Barra sera envoyée dans toutes les écoles primaires, pour apprendre aux enfants que le dévouement à la patrie est un devoir.- La Convention a fait de plus mauvais décrets que celui-là. — L'État fera parvenir aussi dans toutes les communes de la France les grands faits de nos guerres, les actions d'éclat de nos soldats, les actes de dévouement de tous les citoyens, les portraits des hommes chers à la patrie, tout ce qui va au cœur, tout ce qui est digne d'enflammer l'enthousiasme patriotique. Les Horace Vernet, Bellangé, Raffet, Yvon, Decamps, et tant d'autres dont le talent est devenu populaire parce qu'il est sympathique aux masses, dessineront ces grandes scènes sur bois, et les graveurs les rendront en fac-simile, ou bien ils les peindront, et leurs élèves les exé

cuteront sur bois, à plusieurs rentrées, de manière à les reproduire en couleur dans une vive harmonie de tons, qui donnera une idée juste des originaux. Un million d'épreuves identiques, et plus encore s'il le faut, seront fournies en peu de jours par la typographie associée à la galvanoplastie, et ces belles gravures se vendront dix centimes. On les affichera entre le Moniteur des communes, qu'on devrait lire, et les annonces d'adjudication, qu'on ne lit pas. Ces proclamations parlant aux yeux auront pour les gens de la campagne l'éloquence qu'ils comprennent, et un second exemplaire, conservé à la mairic, formera tous les six mois un fascicule qu'on prêtera aux habitants pour servir de distraction, à la veillée, dans les familles. Ce n'est pas assez les plus beaux tableaux de toutes les écoles, anciennes et modernes, ainsi reproduits, iront jusqu'au fond des plus misérables hameaux égayer les murs nus des cabanes. La Cène de Léonard, la Transfiguration de Raphaël, les Vierges de Murillo, les Pestiférés de Jaffa et la Bataille d'Aboukir de Gros, l'Assaut de Constantine de Vernet et la Victoire de l'Isly, remplaceront d'effroyables caricatures bariolées. Les travaux d'art du Gouvernement, exécutés à Paris et dans les grandes villes, seront ainsi représentés par les architectes mêmes chargés de ces travaux. — Des chemins de la croix dessinés en Orient sur les lieux, et animés de scènes évangéliques par Orsel et Perrin, des légendes, des contes populaires, des calendriers illustrés par Gavarni, Daumier, de Noé, et tant d'autres que je ne cite pas, mais auxquels chacun pense. Pas un artiste qui ne se sentît honoré d'une tâche aussi utile, pas un qui ne donnât un caractère plus élevé à son talent en comprenant la part qu'il prend à cette grave mission de l'enseignement public. - Autres influences. — Au lieu du type ridicule consacré pour les cartes à jouer, en adopter un autre plus noble et aussi fixe, afin de mettre sous les yeux du peuple, même au cabaret, d'élégantes figures au lieu d'affreux magots, qui n'ont pas même pour eux le mérite d'une haute antiquité et le style caractéristique d'une époque. L'impulsion donnée, chacun se mettra au pas. L'industrie d'Epinal et autres lieux se réformera pour échapper à la ruine; les éditeurs d'estampes, de livres, de publications illustrées, de gazettes de modes, seront stimulés et par cet exemple et par le réveil du goût public. L'art grandira sur une base élargie et solide. Les puissantes compagnies industrielles voudront qu'on distingue leurs actions autant par la beauté du titre que par la valeur de l'affaire, et qu'un luxe distingué répandu en toutes choses annonce leur prospérité. Quelque Denière, un Tahan futur, demandera aux Delaroche ou aux Messonnier de l'avenir l'entourage de leurs cartes d'adresse, qu'ils feront graver par les Mercuri et les Calamatta de leur temps. Rien qu'en voyant ces adresses, on saura qu'on a affaire à un homme de goût. - Autres procédés reproducteurs qui peuvent également servir à la propagande. Grands moulages en plâtre, légers comme le carton-pâte. — Les *ateliers de l'École des beaux-arts, en répandant presque gratuitement dans toutes les écoles de la France d'excellents moulages d'après les chefs-d'œuvre

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de l'art, obligeront les mouleurs italiens, détestables gâcheurs qui conservent la spécialité de ce colportage dans nos campagnes, à choisir mieux leurs modèles. On leur cédera à bas prix des exemplaires de choix de diverses réductions des chefs-d'œuvre de la sculpture; on fera pour eux des Vierges dignes d'adoration, des bon Dieu vénérables, et toute une série de saints qui éviteront au moins le ridicule. Ils surmouleront ces bons modèles, et iront les débiter jusqu'au fond des plus pauvres hameaux. — MONNAIES, MÉDAILLES ET JETONS. Ce sont les agents les plus actifs de la propagation du bon goût;" ils circulent en tous lieux et pénètrent partout. — Les villes de la Grèce tenaient à honneur d'émettre la plus belle monnaie pour propager au loin, avec leurs noms, l'idée de haute civilisation, synonyme de puissance. — Les villes des colonies grecques rivalisaient avec les villes mères, la Sicile avec la Macédoine. — Les anciens avaient compris que la médaille allait plus droit et aussi sûrement à la postérité que le livre, car il y a toujours quelques exemplaires qui échappent au désastre, qui surnagent au naufrage, et, quand les nations qui ne savent plus lire succèdent, comme en Asie, aux nations qui ont écrit, quand elles ont brûlé les monuments de leurs ancêtres, brisé ou fondu leurs statues, les médailles se conservent, les unes en bronze dans la terre, les autres en or et en argent, enfilées en colliers ou suspendues en boucles d'oreilles et portées par les femmes. Les sculpteurs les plus renommés s'appliquaient à la gravure des médailles, des pierres gravées et des camées. La présence des mêmes noms sur les unes et sur les autres prouve que les mêmes artistes, en délaissant momentanément la grande sculpture, transportaient dans cette sculpture en miniature une hauteur de style et un savoir profond, qui semblent prendre plus de puissance en se condensant dans de si faibles proportions. Les Romains s'ingénièrent par tous les moyens à remplacer le procédé si simple de l'imprimerie, qu'ils ne purent trouver, quoiqu'ils en eussent dans les mains tous les éléments, quoiqu'ils le cherchassent certainement, car ils en avaient dans leur immense administration un impérieux besoin. A défaut d'imprimerie, ils reproduisirent à coups de marteau sur des médailles les événements dont ils croyaient utile de répandre et de perpétuer le souvenir : les victoires de la guerre et de la palestre, les grands travaux d'utilité publique, les monuments magnifiques de la ville éternelle, tous les faits, en un mot, qui constataient leur force, l'étendue de leur puissance et la vigilance de leur immense administration. Le goût des médailles tra

verse les siècles. Sceaux du moyen âge.

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Grands médaillons des XV

et XVI siècles. On en fait à Lyon qui respirent le grand art et sont comme un reflet de l'atelier des Pisans. - Benvenuto Cellini grave la médaille de François I". — Tous les Valois se préoccupent, autant qu'Alexandre le Grand, de leurs portraits et de la beauté de leurs médailles. — Henri III, Germain Pilon et François Clouet. — Médaillon de Marie de Médicis gravé par Dupré, en 1624, dernier témoignage de ce grand art. Le goût de la perfection l'abandonne et la mécanique le tue. En 1640, de Chambray,

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