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anciens, et vous aurez mis une heureuse harmonie entre ces décorations et le sujet continuel des études de l'élève.

On dira, sans doute, que les enfants ne respecteront pas ces peintures. Je le crois, si elles sont médiocres et vulgaires : oh! alors, à un Achille ridicule on donnera une pipe, à une Minerve maniérée des moustaches, et des oreilles d'âne à une Cassandre pleurnicheuse; mais vous avez un moyen sûr pour défendre ces décorations: qu'elles soient d'un style noble et d'un grand caractère; comme le professeur qui conserve sa dignité, elles maintiendront le respect; vous n'avez rien à craindre pour elles.

Quand on en viendra à décorer la salle des examens et des distributions de prix, le luxe des dorures, la magnificence des marbres et des belles matières, devront se joindre aux manifestations de l'art. Comme cette salle aura plusieurs usages, je voudrais qu'elle fût disposée en vaste amphithéâtre imité des plus belles créations de l'antiquité, et dans les meilleures conditions de l'acoustique. Sur les gradins, élèves et professeurs; sur la scène, les représentants du Gouvernement et les dignitaires de l'Université. Puis, quand la cérémonie est terminée, ceux-ci descendent au milieu de la Cavea, laissant libre l'orchestre aux musiciens, la scène aux acteurs. La toile du fond alors se lève et les élèves.viennent alternativement, selon leur classe et leurs études, accompagnés des mélodies contemporaines et nationales, réciter des scènes d'Euripide, de Plaute, de Corneille, de Goethe, de Shakspeare et de Calderon dans la langue originale de ces grands créateurs. Les plus forts élèves du chant se feront entendre, et les mieux disposés des classes de dessin joueront des pantomimes d'un grand caractère ou composeront des scènes d'Homère et de Virgile en tableaux.

Je n'ai pas le temps, je n'ai pas non plus l'intention d'arrêter définitivement un plan; mille circonstances pourraient le modifier, et cependant je ne sais pas de programme d'architecture plus séduisant pour l'artiste que celui d'un collége. Toutes les conditions matérielles et morales se trouvent réu

nies pour inspirer l'architecte, et aucune d'elles ne l'écarte des données heureuses du style le plus noble, des préceptes et des exemples fournis par l'antiquité; il peut même poursuivre cette recherche et cette réhabilitation jusque dans l'ameublement, la vaisselle et tous les ustensiles en usage, car, si l'archéologie pratique est de mise, c'est dans un collége, où, depuis ses livres jusqu'à ses écuelles, tout peut être classique.

A l'œuvre donc! L'art reprend ici son vrai rôle de propagande morale, l'architecture redevient le livre populaire où l'enfance s'instruit.

Ainsi fortifiées par tout l'entourage et enveloppées, pour ainsi dire, de l'atmosphère antique, les études des arts seront encore négligées ou poursuivies mollement, si elles ne deviennent pas une nécessité, une obligation, par l'insertion du dessin au nombre des connaissances exigées dans le programme de tous les examens. Pour démontrer la convenance de cette condition d'admission dans les carrières libérales, sera-t-il nécessaire de prouver de nouveau l'importance du dessin dans chacune d'elles? On la reconnaît sans difficulté pour tous les métiers, pour toutes les carrières industrielles et commerciales; la niera-t-on pour l'homme du monde qui vit dans les salons ou pour le propriétaire qui habite ses terres? Mais combien d'occasions s'offriront à eux où le dessin ne sera pas seulement le plus agréable accompagnement de leurs loisirs, mais le plus indispensable auxiliaire de leurs obligations! Le dessin sera-t-il repoussé par le diplomate? Ne lui conviendrait-il pas mieux, au lieu de décrire longuement une fête, au lieu de s'épuiser en efforts de style pour donner une idée de la beauté d'une nouvelle reine, ou pour représenter l'importance et le caractère de récents travaux de fortifications, d'envoyer un croquis de l'une, un portrait de l'autre, un plan cavalier de ceux-ci? Le dessin sera-t-il dédaigné par l'avocat, le notaire et l'avoué? Je ne le crois pas. M. Chaix-d'Est-Ange, amateur de tableaux comme plusieurs de ses confrères, plaiderait sa cause en prouvant que, dans

bien des circonstances, les tribunaux sont appelés à décider dans des questions d'expertises, dans des appréciations du domaine des arts, et qu'un avocat au fait de ces matières en parlera plus pertinemment que celui qui y est resté étranger. Est-ce l'archiviste paléographe chargé de fixer l'âge d'un manuscrit par ses signes extérieurs, et de porter dans toute l'archéologie les investigations de la critique, qui récuserait le dessin? Mais ne sait-il pas que dans toutes ces questions c'est avec ses yeux qu'il décide, et que partout il demande les originaux ou des fac-simile exacts, tant est nécessaire dans ces appréciations délicates la sagacité de l'œil, qui est le dessin intuitif grandement assisté dans tous les travaux d'érudition par le dessin pratique? Est-ce le savant dans sa chaire qui proclamera l'inutilité de cette écriture pittoresque? Cuvier et Blainville s'aidaient au tableau de cet auxiliaire docile; MM. Regnault et Focillon, aujourd'hui, ont souvent recours au dessin pour compléter leur pensée; et je ne sache pas que l'auditoire se soit montré ingrat envers ce truchement fidèle et rapidement communicatif. Est-ce au médecin et au chirurgien, est-ce à l'agronome que le dessin ne rendrait aucun service? Je sais que sur la longue liste des cours professés aux écoles de médecine de Paris et des départements, aux écoles de pharmacie, aux écoles d'agriculture, on trouve des cours de diagnostic, c'està-dire de l'étude des maladies par la physionomie, des cours de botanique, de génie rural et de législation rurale, et pas un cours de dessin; mais je sais aussi qu'un médecin exercé dès l'enfance à l'étude des arts saisira dans la physionomie de son malade des détails caractéristiques, des traits concordants à des expériences antérieures, des altérations sympto matiques qui échapperont à des confrères moins exercés, et l'aideront singulièrement dans le labeur délicat du diagnostic. Veut-il entrer dans la vaste carrière de la littérature médicale, il s'y présentera avec des ressources nouvelles, car il ajoutera à la description toujours vague de ses observations des études précises et toutes nouvelles sur les altérations du visage figurées d'après nature par le dessin, et sur les modifications du

teint exprimées par le coloris; s'il est chirurgien, il rendra dans les planches de son ouvrage jusqu'à la teinte et la physionomie des plaies palpitantes; ils feront faire ainsi l'un et l'autre un pas nouveau à la science, et ils devront ce mérite à l'étude des arts. Quant à l'agronome, le dessin lui servira à faire aménager ses bâtiments suivant ses vues et ses besoins, à introduire dans ses instruments aratoires et dans ses machines les modifications suggérées par l'expérience, à choisir mieux son bétail, en distinguant les meilleurs élèves; il lui sera utile en tout, et il ne lui est enseigné nulle part.

En exigeant le dessin dans tous les examens, je ne crois pas non plus qu'il soit nécessaire d'établir de nouveau que ce talent n'est pas réservé à certaines facultés innées, et qu'on ne l'acquiert pas avec la meilleure volonté du monde quand on n'y est pas prédisposé; j'ai suffisamment démontré que le dessin est un genre d'écriture à la portée de toutes les intelligences; seulement, on a un bon ou un mauvais dessin, et les examens exigeront qu'il soit bon.

Dès qu'une loi aura dit qu'à partir de telle année, car il faut laisser du temps aux jeunes gens pour se préparer, on ne sera plus admis sans un certain talent de dessin aux examens de baccalauréat ès lettres,

de baccalauréat ès sciences,
de l'École des chartes,

de l'École de médecine,
de l'École d'Alfort,

de l'École forestière,

soyez assurés que vous aurez des candidats mieux préparés et plus forts que ceux qui se présentent, ainsi exercés, aux exa

mens

de l'École polytechnique,

de l'École militaire,

de l'École centrale des arts et métiers,

de l'École de commerce,

c'est-à-dire quand on saura qu'on ne sera apte à rien et admis

dans aucune carrière, si l'on ne fait pas preuve de ce développement de son écriture; alors l'éducation dans la famille et dans les institutions privées sera complétée par le dessin comme dans l'enseignement public. Il s'ensuivra que les maîtres de dessin brevetés par l'Administration, les artistes auxquels elle aura reconnu dans des examens sérieux le talent propre à l'enseignement, seront recherchés de tous, et qu'elle pourra être d'autant plus sévère en leur accordant ces brevets de capacité, qu'un plus grand nombre d'artistes sollicitera ce titre, qu'une meilleure position leur sera assurée.

Enfin, au sommet de l'instruction publique siégent les comités départementaux, les conseils académiques et le conseil général de l'université; qu'une place dans chacun d'eux soit réservée aux artistes, aux amateurs, aux membres de la classe des beaux-arts de l'Institut, qui prennent intérêt et qui ont consacré leurs études à cette partie de l'enseignement. Ils y seront les avocats de toutes les bonnes mesures et les adversaires des nouveaux envahissements de la routine.

ENSEIGNEMENT DU DESSIN AUX APPRENTIS ET AUX OUVRIERS. L'INDUSTRIE FORMANT SES ARTISTES ELLE-MÊME.

Nous voici arrivés à un point extrême, à une halte, à un carrefour, où les routes se croisent et se bifurquent. Jusqu'à présent, nous n'avons eu en vue que l'éducation générale, l'enseignement de tous, les arts du chant et du dessin y trouvant leur part comme toutes ces notions de langues mortes, d'histoire et de science que chacun doit posséder, quelle que soit d'ailleurs la carrière qu'il embrasse. Maintenant, nous allons entrer dans un autre ordre d'idées, en abordant l'enseignement des arts appliqués à des carrières déterminées, soit qu'il s'agisse d'enseignement spécial pour les apprentis et les ouvriers, soit qu'on se préoccupe d'enseignement supérieur pour les artistes.

Occupons-nous d'abord du sort des apprentis, tout modeste et inaperçu qu'il soit; on verra bientôt qu'il est digne d'un

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