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et étrangers. Et qu'on ne croie pas qu'il y ait inconvénient ou danger à réunir toutes ces productions, à donner à ce concours ce caractère d'universalité. Il ne s'agit pas, en apprenant à tout le monde à dessiner, de faire croire à chacun qu'il est apte à devenir artiste; il est utile au contraire, en montrant les belles œuvres, de rendre chacun difficile, les pères comme les enfants, difficile pour soi comme pour les autres : ce sera le meilleur moyen de décourager de bonne heure les prétentions vaines et de ne conserver sur la brèche que de vaillants combattants.

Les prix consisteront en médailles d'honneur, offertes par le Gouvernement, et en bourses accordées par le département pour un séjour de trois ans dans la capitale. Les fonds départementaux consacrés à cet utile emploi s'augmenteront des dons d'hommes généreux qui comprennent toute l'importance de ces études. Déjà plusieurs villes jouissent de riches legs institués dans cette intention. Granet, fils d'un maçon, a fondé aux Incurables de Paris deux lits pour de vieux maçons et en même temps 1,500 francs de rente pour un élève de l'école de dessin de la ville d'Aix pendant ses études dans la capitale; le Puy a reçu de Crozatier une somme de 50,000 francs, dont la moitié est applicable à l'entretien d'un jeune artiste à Paris ; Caen doit à Lefrançois 1,200 francs de rente pour la même destination. J'omets sans doute plusieurs estimables fondations du même genre, et je ferai remarquer que celles-ci sont dues à des artistes qui avaient éprouvé eux-mêmes les difficultés et la misère des premiers pas. Bientôt nous verrons chaque localité se glorifier de cette assistance, et trouver des hommes généreux qui, ayant compris l'utilité de ces fondations, détacheront une parcelle de leur héritage pour attacher à leur nom la reconnaissance éternelle de leurs concitoyens. Ces grands prix seront alors si nombreux, que chaque talent naissant verra s'ouvrir devant son ardeur les portes de l'école des Beaux-Arts et de la grande manufacture nationale pour devenir, soit un artiste célèbre, soit un excellent ouvrier, suivant sa capacité, ses tendances ou son ambition.

Ainsi formés dans leurs départements, ainsi députés dans la capitale au bruit des applaudissements de leurs concitoyens, les jeunes artistes conserveront avec le pays natal mille liens de reconnaissance, mille attaches sympathiques. A moins de ces rares succès qui mènent au premier rang, ils délaisseront bientôt le grand tourbillon de Paris pour revenir à la vie plus calme de la province, et ils le feront sans regret, si les municipalités et les conseils généraux réservent aux enfants du pays les travaux qu'ils commandent, les monuments qu'ils construisent, les statues qu'ils érigent à l'honneur de leurs célébrités locales, si l'esprit de dénigrement que les petites localités exercent contre ceux qu'elles ont vus naître fait place à une bienveillance sympathique et, à mérite égal, à une préférence sur les inconnus et les étrangers. Ils retourneront au pays, les uns pour y enseigner l'art qu'ils y ont appris, mais qu'ils ont renouvelé dans un enseignement supérieur, les au tres pour y travailler de leur art ou de leur métier, et ainsi se reconstituera l'activité provinciale et l'originalité géographique, qui sont très-conciliables avec la supériorité de la capitale, avec une communauté d'éducation et une méthode uniforme d'enseignement.

Les académies des arts, en relation continuelle avec tous les artistes, professeurs cantonaux ou inspecteurs d'arrondissement, offriront des ressources précieuses pour constituer la statistique monumentale et artiste de la France. Nous saurons, après tant de révolutions, ce que nous possédons encore en monuments et en objets d'art, et nous aurons partout des sentinelles vigilantes pour les défendre contre la barbarie des destructeurs et la convoitise des brocanteurs. Je voudrais pouvoir compter dans le nombre nos quarante mille desservants, et n'en ai-je pas le droit, connaissant l'esprit distingué et la science libérale de nos évêques? Ces dignes prélats voudront que dorénavant aucun ecclésiastique ne sorte de leurs séminaires inférieur sous le rapport des arts à leurs ouailles, et il est réservé aux générations prochaines de voir quarante mille prêtres expulsant le mauvais goût de leurs églises, comme Jésus

chassait les vendeurs du temple, devenant des guides et des conseils partout où ils donnent déjà l'exemple de leurs vertus. Les sociétés littéraires, scientifiques et archéologiques compteront tous ces nouveaux collaborateurs, religieux et laïques, au nombre de leurs membres, et elles trouveront dans leur concours et dans une heureuse association de la science et de l'art une nouvelle vie pour activer le zèle des érudits et populariser leurs travaux.

SOINS DONNÉS À LA PREMIÈRE ENFANCE DANS LA FAMILLE ET DANS LES ASILES.

Dans une salle égayée par l'air qui circule, par la lumière du jour qui s'y précipite comme avec joie, par une décoration fraîche et simple, quatre murs ont reçu dans leurs compartiments, qui forment autant de cadres, des tableaux mobiles, imprimés sur toile, qui varient souvent en instruisant toujours. Les uns offrent les rudiments d'un dessin élémentaire, les autres, de grandes inscriptions donnant, en irréprochable calligraphie, des sentences morales; ici, ils dérouleraient sous les yeux des enfants les costumes de tous les peuples, les animaux de tous les genres; là, ils livreraient à leur curiosité une géographie monumentale: l'Égypte personnifiée dans les pyramides, la Grèce dans le Parthénon, Rome dans le Colysée, et ainsi de toute la terre. Que de choses excellentes pour des enfants de deux à six ans! car remarquez que je ne me suis pas arrêté à votre surprise, lorsque j'ai proposé comme moyen d'enseignement des tableaux contenant les éléments du dessin; c'est que je n'admets pas cet étonnement. Voir, dessiner et écrire, c'est la progression et la transformation obligée de deux sentiments naturels à l'homme: curiosité et imitation. Attelez donc à ces deux moteurs vos moyens d'éducation, satisfaites la curiosité par des procédés ingénieux, offrez à l'esprit imitatif des applications utiles. L'exécution est dans la main, a dit Michel-Ange, mais le jugement des choses est dans l'œil. On ne saurait exercer de trop bonne heure cette dernière faculté, afin d'habituer l'œil aux proportions justes,

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à la beauté des formes, aux conditions du style. Comme l'air pur et sain que vous faites respirer à l'enfant, et qui anime son sang ou favorise sa croissance sans qu'il en ait la conscience, ainsi les créations de la nature et de l'art forment son goût sans qu'il s'en doute. Les tableaux dont j'ai parlé sont imprimés en couleur sur toile; ils représentent, autant que possible, les objets de grandeur naturelle, et se succèdent sous les yeux des enfants. C'est un spectacle récréatif, c'est une instruction utile. Ces objets frappent leur attention, excitent l'intelligence et développent le sens pittoresque. Dans la gradation de ces tableaux, l'enfant passe de la fleur au papillon, à l'oiseau, au quadrupède, à l'homme, aux paysages animés, aux effets du jour et de la nuit, aux monuments de l'art. L'explication de la maîtresse est écoutée, est dévorée, parce qu'elle s'allie à l'objet qui, dans le moment même, absorbe l'enfant, et tous ces tableaux laissent dans ces jeunes imaginations une empreinte que le vieillard lui-même retrouvera au fond de sa mémoire.

Les Arabes du désert, qui sont encore des enfants, s'exercent à une étude qu'ils nomment la lecture du sable : c'est l'examen attentif des empreintes laissées sur le sol par les hommes ou les animaux; c'est aussi la conséquence à tirer sur la nature, l'âge, l'époque du passage et la direction des auteurs de ces traces. Nos valets de limier, en observant le pied des animaux, ont quelque idée de cette étude, au moins autant que le besoin de défendre sa vie, ses enfants, son avoir, peut être comparé au soin d'un plaisir. La sagacité qu'atteignent les Arabes dans la lecture de cette écriture pittoresque prouve suffisamment quel secours l'étude des objets seuls et le travail de l'observation peuvent apporter à la formation du jugement.

Les exercices de Frédéric Fræbel se rattachent à cette méthode instruire par les yeux en habituant l'esprit à se rendre compte de ce qu'ils voient. Il est possible, même dans ce jeune âge, d'aller plus loin, et je ne serais pas étonné que l'imitation de certaines formes architecturales à l'aide de cubes en bois conduisît les plus intelligents à dessiner ces mêmes formes

sur des surfaces planes. L'enfant, ainsi amusé, ainsi occupé par la tête et par les mains, perdra cette faculté destructive qui amène le désordre des vêtements et la malpropreté ; il lui substituera toutes les dispositions heureuses.

37,000 asiles pourraient préparer ainsi l'enfance dans nos 37,000 communes. Il y en a peut-être 1,500 aujourd'hui dans toute la France, et j'entends des âmes charitables dire qu'il n'y a plus de bien à faire, ou demander quel bien elles pourraient encore faire.

De cette éducation artificielle, inventée par la charité pour débarrasser la mère du poids de son enfant et lui donner l'usage fructueux de ses bras, passons à ces rangs de la société où le bien-être et la richesse permettent l'éducation naturelle, l'éducation si douce pour la mère, si utile pour les enfants. Mais cette question de la première éducation éveille mille pensées, et je ne veux pas sortir de mon cadre. Il s'agit d'enfants de deux à six ans : qu'ai-je à prouver? En premier lieu, que l'éducation artiste porte des fruits dès cet âge; en second lieu, qu'il n'est pas indifférent de donner à des enfants de fausses ou de justes idées sur le beau.

De deux ans à six ans, on peut apprendre à voir en habituant à regarder. Le pauvre enfant qui passe ces quatre années entre des murs enfumés et n'a pour occupation que des pages imprimées en gros et en petits caractères, pour distraction qu'une horrible et crasseuse poupée ou un grossier chariot, cet enfant-là entrera dans l'école communale en arrière de quatre ans sur celui qui aura passé ce temps à jouer avec la création en image, à la comprendre par les yeux, de façon à la reconnaître à première vue, à devenir dessinateur et peintre, pour ainsi dire in petto, sans tenir un crayon, mais en ouvrant les yeux et en y mettant le compas, comme s'exprime le peuple. Je montre à un enfant de trois ans un hippopotame, une girafe, un cochon, je lui dis les noms de ces quadrupèdes, et l'enfant les répète; le lendemain, je lui montre les mêmes figures, et il les reconnaît, et il nomme ces animaux. N'est-ce pas le début d'un peintre? Cet enfant n'a-t-il pas des

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