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d'abord dans des jeux qui ne lui semblent plus tard que fades niaiseries, de même aussi l'humanité tout entière éprouve l'atteinte de l'âge; elle a eu la simplicité des premiers âges et avec le même cœur, elle a besoin d'autres émotions.

Quand on entre bien équipé dans ce chemin ardu de l'art antique, on y fait mille rencontres heureuses qu'on salue suivant qu'elles sympathisent avec notre propre nature : c'est Pierre Lescot, c'est Jean Goujon, c'est Poussin, c'est le Sueur, c'est l'interprétation facile et presque la fusion des natures d'élite avec les données les plus élevées de l'art dans les conditions les plus favorisées. Ainsi Ingres, tout dévoué à l'antique, fait élève de Raphaël, et prend ce guide chez les modernes sans trahir les anciens.

La routine ira redisant : Soyez de votre temps. Je répondrai: Tous ces hommes ont été de leur temps, car le génie n'a pas la force de sortir et de se dégager entièrement de l'atmosphère contemporaine; seulement il est assez puissant pour secouer et repousser les faux engouements, les mauvaises modes, toutes ces plantes parasites qui poussent à l'envi autour de lui et souvent l'étouffent. Sans doute, quand vous aurez copié les bas-reliefs de Phidias, vous n'aurez pas dérobé à l'antiquité tous ses secrets; vous parlerez la langue d'une époque privilégiée; pour faire revivre son éloquence, il faut rentrer dans une atmosphère d'aspirations sublimes, de sentiments élevés, sous l'influence d'un courant idéal et comme d'un souffle divin. Ce n'est donc pas la forme elle-même, le décalque, l'imitation aveugle qu'il faut conquérir, mais l'esprit de l'art et une sorte d'incorporation instinctive qui se prête aux modifications exigées par l'ordre d'idées qui règne de nos jours, par la civilisation du XIXe siècle, par ses mœurs, ses habitudes, ses maisons et ses meubles.

Dans ces dispositions, si l'artiste, porté par son imagination, rêve l'Olympe, il le représentera comme l'ont fait les anciens, et ce ne sera pas un Olympe en frac et en culotte; si, au contraire, inspiré par le côté poétique du grand développement de notre industrie, il veut représenter la forge dans la furie infernale

de ses travaux gigantesques, ou la vapeur dans la fougue domptée de sa course haletante, l'étude de l'antique, le sentiment de la dignité humaine, l'habitude de voir la nature en beau, lui auront appris à rendre poétique la beauté de ces scènes en apparence si ordinaires. Léopold Robert voyant des moissonneurs passer dans la campagne de Rome ou Phidias contemplant la marche des panathénées, Decamps s'arrêtant devant le chasseur de truffes ou Praxitèle concevant sa Vénus célèbre en voyant Phryné sortir des eaux de la mer, aux fêtes d'Éleusis, c'est tout un, quand l'artiste s'est créé son idéal dans l'atmosphère radieuse des beautés de la nature et des chefsd'œuvre de l'art; comme les Mages guidés par l'étoile divine, il marche sur cette terre et atteint le but en regardant le ciel.

DE L'ORGANISATIon des Études du dessin dans toutes les écoles.

Avant d'examiner comment ces principes généraux seront réduits en pratique proportionnée à l'âge des enfants, voyons quels sont nos moyens d'action, nos instruments, nos outils.

La plus parfaite des méthodes enseignée sans intelligence peut devenir mauvaise; la plus défectueuse mise en œuvre avec sagacité, suite et dévouement, devient bonne. L'avenir de l'enseignement du dessin dépendra donc des maîtres; mais, dans toute organisation générale d'un service quelconque, la France se divise en deux parts distinctes et tranchées : Paris et la France. Je m'occuperai moins de la capitale que du pays, parce que beaucoup a été fait pour Paris et rien pour la France, parce que la population parisienne agglomérée, à portée des ressources de tous les genres et de la surveillance administrative, a déjà réalisé de grands progrès, et qu'il sera facile au Gouvernement de lui donner une organisation complète avec le concours du conseil municipal, de la chambre de commerce, de l'Université et des maisons mères des associations religieuses. D'ailleurs, en parlant des asiles, des écoles communales et des lycées, ces trois degrés de l'enseignement, j'aurai en vue à la fois la ville et la campagne.

La France a le bonheur de posséder déjà environ 30,000 écoles communales : c'est à peu près les trois quarts de ses besoins pour élever cinq millions d'enfants. Devons-nous chercher 30,000 artistes pour enseigner le dessin à cette jeunesse? si nous les trouvions, devrions-nous les employer?

L'opinion qu'on a d'un professeur de dessin tient beaucoup des idées qu'on se fait du dessin lui-même. J'ai rectifié celles-ci : examinons maintenant les qualités qu'exige cet enseignement; je dis les qualités, les plaçant fort au-dessus du talent.

Dans tout enseignement, l'autorité, la puissance, et une faculté sympathique qui s'exerce magnétiquement sur les auditeurs, est indispensable; le dessin l'exige comme toute autre étude, et les méthodes d'enseignement réussiront, quelles qu'elles soient, dans les mains de celui qui aura ces qualités. Pour les classes élémentaires, dans les écoles des frères et des sœurs qui donnent à la France un dixième de ses instituteurs et dans les écoles communales qui sont l'instruction publique, le dessin, devenant partie intégrante de l'éducation, doit rester dans les mains de l'instituteur, qui connaît le fort et le faible de ses élèves et sait les conduire. Pour enseigner quelque chose à des enfants de cet âge et de cette capacité ou incapacité intellectuelle, il faut plus que savoir, il faut savoir enseigner. C'est une faculté : l'artiste l'a tout au plus avec ceux qui le comprennent facilement; il ne l'aurait pas du tout avec des commençants. Le maître d'école, au contraire, le frère ignorantin et la sœur grise se sont faits enfants par vocation et par habitude; ils savent montrer ce qu'ils savent, ils peuvent même enseigner ce qu'ils ne savent pas, quand ils ont à leur disposition de bonnes instructions. Pendant dix ans encore, il faudra leur fournir cette assistance; plus tard, vous exigerez d'eux la pratique du dessin et un certain talent avant de leur accorder le brevet de capacité, avant de permettre que les séminaires, les maisons de frères et de sœurs les autorisent à professer. Il serait nécessaire qu'un manuel d'enseignement élémentaire fût dans les mains de

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tous les instituteurs. Ce manuel, facilement intelligible au moyen de nombreuses gravures, serait destiné à rendre uni forme l'exposition des éléments du dessin, en donnant aux maîtres une connaissance méthodique de la figure humaine, en leur exposant les premiers éléments de l'ornementation, pour qu'ils puissent expliquer aux enfants l'origine, la nature et par suite le mouvement propre à chaque ornement consacré dans les monuments qui restent nos modèles, en leur démontrant les principes d'après lesquels la lumière et l'ombre sont impressionnées par les corps et leur donnent la forme, en leur enseignant enfin les éléments de la géométrie figurée ou dessin linéaire et les règles de la perspective.

C'est donc aux qualités, à la vocation pour le professorat qu'on doit avoir surtout égard. Sans doute le plus grand artiste n'est pas de trop pour faire une classe élémentaire de dessin, comme le plus célèbre latiniste n'a pas le droit de dédaigner une classe de sixième. L'enseignement est quelque chose de si difficile, de si respectable en même temps, qu'on ne saurait exiger de trop hautes qualités; mais celles-ci seraient insuffisantes, si elles n'étaient pas assistées d'autres qualités plus modestes et tout aussi indispensables, la vocation, l'aptitude, le savoir qui sait s'expliquer clairement et se mettre en dehors, qui domine, plaît et attache. Le Gouvernement, en formant une école normale des arts, annexe de l'école des Beaux-Arts, dans laquelle se formeront des maîtres de dessin pour toute la France, n'accordera les brevets de professeur d'académie, de département ou de villes importantes, même aux médaillistes des expositions, même aux grands prix de Rome, que lorsqu'ils auront fait un stage dans les écoles communales de Paris et obtenu des inspecteurs un brevet d'aptitude. L'incapacité du talent pour l'enseignement est parfois si complète, qu'il faut savoir fermer les yeux sur des chefs-d'œuvre et exiger du génie même les qualités spéciales du professorat; ces hommes auront, d'ailleurs, l'emploi de leurs rares facultés : ils deviendront les juges des concours et des résultats de l'enseignement; à eux

seraient réservées les fonctions d'inspecteur d'arrondissement et de directeur académique.

Cet état-major est indispensable: il est plus urgent que dans l'instruction primaire, parce que les fausses directions peuvent avoir de plus fâcheuses conséquences; parce que, tandis que chacun se croit obligé de savoir le latin pour critiquer l'enseignement du latin, il n'est personne qui ne se croie apte à juger des arts et de la manière de les enseigner. Or, lorsque la loi de l'instruction primaire fut votée, en 1833, il était convenu qu'elle fonctionnerait en s'appuyant sur l'intérêt commun, représenté gratuitement par des comités cantonaux; mais, en France, chacun veille avec d'autant plus de soin sur ses propres intérêts qu'il abandonne plus complétement l'intérêt commun à l'État, et celui-ci était obligé dès l'année 1835, faute d'un concours actif, d'instituer des inspecteurs, et en 1837, des sous-inspecteurs. Il est vrai qu'on les a supprimés en 1848, en se confiant de nouveau à l'intérêt commun, représenté par des délégués cantonaux; c'est une nouvelle erreur, et il y aurait danger de la prendre pour guide.

La vraie direction des instituteurs communaux doit partir du chef-lieu de canton et du professeur de l'école cantonale, qui aura la surveillance et la haute main sur les écoles de cette région. Nous avons en France 2,846 cantons. Est-il si difficile, quand nous possédons à Paris cinq à six mille artistes, de former en plusieurs années et successivement, suivant la demande des localités et les sacrifices qu'elles s'imposent, ce nombre d'artistes préparés à leur nouvel état de professeur? L'école normale des arts de Paris et les écoles normales établies au chef-lieu universitaire s'acquitteront facilement de cette mission. Chacun de ces maîtres cantonaux recevrait 1,000 francs d'appointements et un logement. Leurs fonctions consisteraient à enseigner le dessin cinq fois par semaine, pendant une heure, aux élèves du cheflieu de canton, deux fois par semaine, pendant deux heures, aux moniteurs et aux instituteurs des écoles communales,

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