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tations de lapis associé aux autres pierres précieuses; en outre, André-Charles Boulle, un grand artiste, qui ne voulut être que le premier ébéniste de son temps et qui tira un parti heureux de la marqueterie dans ses développements les plus ingénieux. Quatre mosaïstes de Florence, les nommés Horace et Ferdinand Megliorini, Branchi et Gachetti, travaillaient à de magnifiques tables de pietra dura qui égalaient, quant au soin habile de l'exécution, ce qui se faisait de mieux en Italie, et qui avaient l'avantage d'être copiées sur de meilleurs dessins. La broderie, dans cette résurrection de toutes les bonnes traditions, devait trouver place à la manufacture royale: on sait ses prodiges pendant le moyen âge et au xvr° siècle; on la vit renaître aux Gobelins sur gros de Tours et de Naples, sur moire et toile d'argent, d'après les patrons soigneusement peints par Bailly, Bonnemer, Testelin et Boulongne le jeune. Pour les grandes tapisseries à personnages, tous les artistes y concourent, depuis Lebrun, qui fournit ses grandes batailles, jusqu'aux peintres de fleurs et d'animaux. Les ouvriers étaient tous venus de Flandre avec les bonnes traditions d'un pays qui avait été, pendant les xv et xvr° siècles, l'atelier le plus actif de cette belle industrie. Quelles étaient ces traditions? de considérer la destination de la tapisserie, ses moyens d'exécution et l'altération que le temps inflige aux couleurs de la laine, et de se régler là-dessus pour faire une traduction qui est la peinture de tapisserie, pour éviter surtout de chercher à atteindre une pénible imitation de peintures achevées, sottement tendues sur châssis et clouées à poste fixe dans un cadre pour mieux recueillir la poussière, les araignées et les vers qui bientôt en ont raison; trompe-l'œil insensé qui, au premier rayon du soleil, a perdu cette fidélité si péniblement obtenue, et l'a perdue non pas tant par un affaiblissement général des tons qui conserverait leur harmonie que par l'altération partielle de certaines nuances qui font des vides et des taches. Ces tapisseries des Gobelins furent donc encore, pendant tout le siècle de Louis XIV, ce qu'elles n'auraient pas dû cesser d'être, des peintures conventionnelles d'un certain éclat, dans une

gamme propre à la laine, et telles qu'il convenait à des décorations qu'on accrochait aux murs, qu'on tendait tout à coup et à toutes occasions pour dissimuler la nudité des parois. Lebrun exigea seulement des maîtres tapissiers une plus grande exactitude dans le trait du dessin et un meilleur rendu du modelé.

Ces vastes et actifs ateliers de la manufacture royale des meubles de la couronne recevaient gratuitement soixante et jusqu'à cent apprentis qui venaient se former aux diverses industries. Ces jeunes ouvriers, en même temps qu'ils s'initiaient aux difficiles pratiques du métier, qu'ils en suivaient manuellement tous les procédés, se réunissaient, à de certaines heures de la journée, pour dessiner, d'après l'antique et le modèle vivant, sous la direction de quatre membres de l'académie c'étaient, en 1691, les sculpteurs Tuby et Coysevox, les peintres Le Clerc et Verdier, c'est-à-dire des hommes maîtres dans leur art.

Il fallait entrer dans ces détails pour donner l'explication de l'impression harmonieuse dont est saisi le promeneur, à Versailles et aux Tuileries, à la vue de tout ce qui provient de cette époque, depuis le plafond peint jusqu'à l'espagnolette de la fenêtre et jusqu'au verrou de la porte; pour donner aussi une idée du rayonnement d'influences heureuses qui partait de cette grande école de l'art appliqué à l'industrie sous la direction d'artistes habiles et de praticiens consommés dans leur métier. Ce qu'il y a de bon goût, de distinction appropriée, d'innovations bien entendues, dans tout ce qui émane de ce foyer actif ne se comprend que lorsqu'on voit les noms des artistes les plus renommés au bas des dessins charmants et des maqueites spirituelles qui ont servi de modèles, architectes, peintres et sculpteurs attachés à la maison même, y demeurant, y vivant et ne donnant essor à leur imagination qu'après avoir étudié les exigences et les ressources de chaque métier. Dès 1607, Henri IV avait étendu aux ouvriers établis par lui dans son palais du Louvre tous les droits de la maîtrise, et le Parlement, l'année suivante, enregistra les lettres patentes

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par lesquelles il leur était permis « de travailler pour le public, en quelque lieu que ce fut, et aux apprentis qui auraient fait « leur apprentissage sous lesdits maistres pendant le temps requis, autorisation de tenir boutique, tant en la ville de « Paris qu'en toute autre ville du royaume, tout ainsi que s'ils eussent fait leur apprentissage sous les maistres desdites « villes. Louis XIV confirma, comme nous venons de le voir, et étendit encore cette utile intervention de la manufacture royale, qui déversait chaque année dans les corporations son trop-plein de progrès et d'innovations. Les jeunes ouvriers devenus des artistes dans chacune de leurs parties spéciales, après six années d'apprentissage et quatre années de service, étaient reçus maîtres tant pour Paris que pour le royaume, sans avoir besoin de produire le chef-d'œuvre; et ils allaient dans toute la France répandre les notions les plus élevées de l'art acquises dans l'étude de la nature et des grands modèles, faire connaître les procédés les plus perfectionnés dont ils avaient conquis la pratique en exécutant toutes les pièces de l'ameublement splendide des palais royaux, initier enfin la ville et la province aux principes du bon goût qui, comme une atmosphère, les avaient enveloppés pendant un séjour de dix ans dans la grande manufacture royale. Si l'on n'insistait pas sur des faits de cette nature, si, à l'exemple de tant d'esprits étroits, on s'attachait à montrer les inconvénients des maîtrises sans chercher à découvrir ce qui tempérait les défauts de leur organisation et venait s'associer à leurs incontestables mérites, il serait impossible de comprendre comment l'industrie française a pu conquérir au moyen âge et conserver pendant les xvII et XVIIe siècles la suprématie sur l'industrie de l'Europe entière. Il y avait certainement dans cette organisation un principe de force et de vitalité puissant, et il serait inutile de chercher ailleurs la cause de cette unité, de cette noble tenue et de cet ensemble complet. L'influence personnelle du souverain y comptait pour beaucoup sans doute; mais, en l'absence de direction générale, c'est aux architectes, peintres, sculpteurs, musiciens, industriels, en un mot, aux

bommes spéciaux chargés de chaque service, qu'il faut attribuer cet heureux résultat.

Si les goûts distingués de Sublet de Noyers et le choix des hommes dont il sut s'entourer donnèrent, sous un roi indolent, plus d'importance à la charge de surintendant des bâtiments, le premier architecte du roi et son premier peintre n'en restèrent pas moins les directeurs des travaux, les hommes compétents, les influences dirigeantes. Sans doute quand un homme de goût avait la charge de surintendant, il l'exerçait avec une autorité que ne pouvait avoir un homme de cour, qui était alors un simple intermédiaire entre le souverain et les artistes: aussi doit-on regretter que M. de Chantelou n'ait pas accepté ces fonctions, qui lui furent offertes par la reine mère en 1643; mais on comprend un refus: son protecteur, M. de Noyers, n'était attaché à la cour que par ce faible lien; le briser c'était lui ôter dans sa retraite de Dangu, je dirai presque dans son exil, l'illusion qu'il tenait encore à la cour et pouvait, un jour ou l'autre, y être rappelé. En 1645, l'ancien ministre de Richelieu et de Louis XIII mourut, et la surintendance des bâtiments fut donnée à M. Ratabon, qui ne trouva ni en lui, ni dans quinze années de troubles, les moyens de marquer dans sa charge. Il est bien question de la reprise des travaux du Louvre en 1659, et à cette occasion Loret, le gazetier, chante les louanges du surintendant; mais annulé par Mazarin autant qu'annihilé par les événements, il n'aurait pu se signaler qu'au moment où Louis XIV, prenant les rênes du gouvernement, se jeta dans les constructions et se déclara le protecteur des arts et des lettres; mais alors c'est Colbert qui lui succède. L'ancien intendant de Mazarin était déjà le secrétaire d'État le plus important, le plus en faveur, lorsqu'il réunit à ses autres fonctions la charge de « surintendant et ordonnateur général des maisons royales, jardins et tapisseries de Sa Majesté, arts et manufactures de France. Tels sont les titres inscrits dans les États de la France, où l'on énumère aussi dans le service de la surintendance: quatre intendants, trois contrôleurs, trois trésoriers et le premier architecte du

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roi, alors Le Veau. Qu'apporta Colbert dans sa charge? rien de ce qu'y avait introduit M. de Noyers, beaucoup de ce que Sully y avait mis: j'entends l'esprit de hiérarchie, d'ordre, de contrôle rigoureux, et en outre une intelligence qui s'étendait à tout et un sentiment de la grandeur de la France qui s'était emparé de tous ceux qui approchaient Louis XIV. Avec ces qualités, il n'eut aucune initiative, mais il fut un intermédiaire éclairé, facile, obligeant, entre les goûts du souverain et l'autorité des chefs de service, et ce rôle du surintendant resta le même pendant toute la durée de la monarchie; il ne changea même pas lorsqu'un artiste, par exception, en fut chargé. Au moment de l'organisation des arts sur la vaste base que leur donnait Louis XIV, au moment de la création de tant d'institutions utiles et de l'entreprise de si vastes travaux, il importait que la surintendance des bâtiments fût dans la main du secrétaire d'État des finances. En 1677, Colbert obtint la survivance de sa charge pour son fils, et j'ignore pourquoi le marquis de Blainville donna sa démission à la mort de son père, en 1683; mais, à la suite sans doute de quelque arrangement, le marquis de Louvois, ministre de la guerre, l'homme déjà tout-puissant, lui succède. Ce choix prouve assez le peu de soin qu'on avait de la compétence de l'homme; mais l'affaire si connue de la fenêtre du Grand-Trianon prouva surabondamment le danger d'associer les bâtiments à la guerre. Le 8 août 1686, M. Colbert, seigneur de Villacerf, parent de Louvois, est «commis pendant trois ans pour, en « l'absence de M. le marquis de Louvois, et sous son autorité en sa présence, avoir une inspection générale sur tout ce qui a se fera dans les bâtiments et en recevoir les ordres du roy." C'était une sorte de survivance, et en effet, après la mort du ministre, son cousin germain lui succède sans autre titre que la faveur. Cette derniere raison fut aussi celle qui motiva le choix de son successeur, lorsque les désordres de sa gestion obligèrent M. Colbert de Villacerf à se démettre de cette charge. « Le roi, dit le duc de Saint-Simon, donna les bâtiments à Mansart, son premier architecte, qui était neveu

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