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dèles par toutes les cités de la Grèce, les jeunes gens les plus beaux et les mieux doués choisis dans toutes les palestres pour lutter de grâce, de souplesse et de force; et, après les émotions de ces luttes charmantes, tout cet auditoire parcourant les salles de tableaux et les galeries de statues, ou reposant dans le bois sacré du Dieu, non loin de son temple, magnifique pro. duit de l'architecture, pour écouter les chants des rapsodes, les discours des orateurs et des philosophes, les récits de voyage d'Hérodote et les odes de Pindare. Déjà, plus de cinq siècles avant l'ère chrétienne (59° olympiade), Praxidamas d'Égine eut sa statue, et, depuis lors, pas un vainqueur dont les traits, aussi bien que les formes, ne fussent saisis par le sculpteur le plus habile, les traits dans la noble exaltation de la victoire, les membres dans l'action énergique de la lutte, l'homme, en un mot, et toujours le plus beau, dans le développement le plus heureux pour l'art et le plus difficile pour l'artiste. C'était le réalisme de l'art dans son magnifique développement, car c'était le portrait et la copie du modèle, mais d'un modèle désigné par les applaudissements d'un peuple entier, consacré par la gloire du succès, et qui devenait ainsi le programme et la donnée mère de l'art.

Tous les quatre ans, la Grèce entière, son intelligence et son cœur réunis à Olympie, retrouvait ce musée iconographique complété par les artistes les plus célèbres, car c'était un titre d'honneur, une victoire aussi, de pouvoir placer son œuvre dans ce sanctuaire. Artistes et athlètes briguaient cette faveur, et tout était prétexte, aux individus comme aux municipalités, aux villes rapprochées comme aux colonies lointaines, de prendre part à ce concours, où les rivalités d'école, de nationalité, de voisinage, trouvaient à se déployer sous les yeux de la Grèce réunie. Il suffisait d'un vou exaucé, d'un oracle accompli, pour consacrer une statue de Dieu, un monument votif, un groupe colossal; le dévouement d'un citoyen, la bonne administration d'un tyran, la victoire d'un général, motivaient des statues iconographiques, des bas-reliefs allégoriques, des vases en or, en argent ou en bronze, et chaque

année ajoutant aux prodigalités de l'année précédente, le jardin d'Olympie, ses portiques et ses temples s'étaient remplis d'une population entière de statues qu'on ne peut estimer à moins de cinq à six mille, puisque, sous le règne de Néron seulement, les Romains en enlevèrent trois mille, et que Pausanias, cent ans plus tard, n'éprouvait d'autre regret que de ne pouvoir décrire toutes celles qui s'y trouvaient encore.

D'autres jeux, moins célèbres que ceux d'Olympie, réunissaient aussi le peuple grec : c'étaient les jeux Pythiques, à Delphes, et ceux de l'Isthme, près de Corinthe. Les enceintes de ces réunions étaient également consacrées à la religion et aux arts; on en peut dire autant de l'Acropole d'Athènes et des acropoles de toutes les villes qu'un temple fameux rendait sacrées. Là aussi venaient placer leurs statues et leurs monuments votifs, l'artiste déjà célèbre et l'amateur fier de protéger les arts, la ville des colonies grecques, heureuse de prouver qu'elle n'était pas devenue étrangère aux arts de la mère patrie, et la ville des contrées barbares qui prétendait être digne du nom de Grec. Tous ces sanctuaires vénérés, dépositaires scrupuleux de nombreux chefs-d'œuvre, formaient les véritables musées de l'art grec, puisqu'ils en offraient les débuts et les progrès aux générations qui successivement venaient s'y former le goût; mais, contrairement à l'idée que nous représente un musée, tout dans ces réunions d'objets d'art vivait dlu sentiment qui avait présidé à la consécration de chaque œuvre du génie, rien qui sentît ce froid glacial, cette impression lugubre dont l'âme est saisie dans nos galeries. A Olympie surtout, la beauté du lieu, la richesse des offrandes et le concours immense des spectateurs, venus de la Grèce et de ses colonies les plus éloignées, étaient bien faits pour enthousiasmer toutes les âmes. Aussi l'admiration, exaltée par les nouvelles luttes, s'attachait aux nouvelles statues, revenait aux plus anciennes, comparait les unes et les autres avec les athlètes qui allaient entrer dans la lutte, et qui bientôt en sortaient couverts de lauriers ou suivis de regrets. C'était l'exercice du jugement le mieux préparé dans les circonstances les plus

favorables: un musée de statues à côté d'un musée de modèles; la nature, dans sa plus riche parure de beauté et de force, donnée en étude à l'imagination de l'artiste au moment de sa plus grande exaltation; et quant à la foule, à ce public destiné à devenir le juge de l'artiste, cette étude de l'art par les modèles vivants était pour elle le développement, le complément de l'enseignement donné dans les écoles, car dans toute la Grèce, dès les temps anciens, le dessin fut la première instruction des enfants. Il devint obligatoire, comme l'étaient la natation, la gymnastique et l'équitation, alors que ces exercices avaient déjà développé dans la nation la connaissance et le goût de la beauté des formes. Les pères ne pouvaient soustraire leurs enfants à cet enseignement sans s'exposer à déchoir de leur autorité, et toute la jeunesse apprit ainsi à figurer exactement les objets avant de les décrire vaguement dans des caractères de convention. Le dessin précédait l'écriture. Habitué de cette manière à regarder, préparé à bien voir et à conserver dans la mémoire le souvenir plastique de ce qu'il avait vu, le jeune Grec arrivait à l'âge où l'on entrait dans les palestres, où l'on suivait les exercices du stade institué dans chaque ville, où l'on avait le droit d'assister aux jeux Olympiques.

Ne nous étonnons pas des progrès de l'art grec, quand la nature, ainsi présentée, lui sert de guide. Cette étude, la mère nourricière de l'art, donna, non pas seulement aux artistes, mais au peuple entier, le sentiment des justes proportions en toutes choses; aussi n'y eut-il chez les Grecs ni paysagistes, ni sculpteurs d'animaux, ni peintres de genre et de nature morte, ni miniaturistes, ni industriels chargés d'appliquer l'art aux objets de la vie privée : il y avait des artistes (chacun était artiste) qui, formés par l'étude du corps humain, étaient devenus maîtres de leur art et l'appliquaient ensuite avec succès à la donnée la plus difficile, comme à ses programmes inférieurs. Je ne citerai pas, la liste en serait longue, les architectes qui furent sculpteurs, et les sculpteurs qui, comme Polyclète, excellaient dans l'architecture, ceux d'entre eux qui

pratiquaient en même temps la peinture: Phidias débuta par être peintre; mais je donnerai deux exemples de l'art associé aux lettres et s'alliant sans hésitation avec l'industrie. Paul

Émile ayant demandé aux Athéniens, pour élever ses enfants, le plus célèbre de leurs philosophes, et, pour peindre son triomphe, le meilleur de leurs peintres, ils ne choisirent qu'un seul homme: Métrodore réunissait ces deux mérites. Pausias, un peintre célèbre, dont le talent avait inspiré assez de confiance pour qu'on le chargeât de restaurer les peintures de Polygnote sur les murs de Thèbes, Pausias peignait en même temps des décorations d'appartements, de murs, de lambris et de plafonds. L'histoire des arts dans l'antiquité est remplie de ces faits. Zeuxis même, et c'est tout dire quand il s'agit de talent incontestable et de gloire acquise, Zeuxis, enrichi par l'exercice de son art et remplissant la Grèce de sa renommée, ne dédaignait pas de tracer ses compositions sur les vases de la céramique la plus ordinaire. Cette limite si précise que nous prétendons tracer entre l'art et l'industrie n'existait donc pas, on du moins la transition était si insensible que l'industrie semblait être un emploi courant, facile et comme secondaire des facultés de l'artiste. Elle était abandonnée à des élèves livrés à eux-mêmes soit par le départ, soit par la mort de leurs maîtres, et à des artistes qui, n'ayant pas réussi dans les grandes œuvres de l'imagination, trouvaient chez un bronzier, un orfèvre ou un potier l'emploi d'un talent, incomplet sans doute, mais préparé par les plus sérieuses études et nourri des meilleurs principes. Ces jeunes gens apportaient dans la décoration d'un fauteuil ou d'un lit, d'une lampe, d'un bouclier, d'un coffret ou d'un vase, un sentiment supérieur à leur œuvre et des traditions de goût maintenues avec d'autant plus de respect qu'elles étaient rigoureusement exigées par une clientèle difficile à satisfaire. De cette domination exercée par l'ouvrier sur l'œuvre qu'il entreprend découle le bon sens ou la convenance des formes, l'application heureuse de la décoration des monuments aux ustensiles les plus vulgaires, en un mot l'alliance de l'art et de l'industrie.

Il n'y eut donc pas chez les Grecs des artistes et des industriels, mais il y avait des artistes à divers degrés de talent, dont les productions se distinguaient surtout par la différence de leur destination. Un exemple excellent de cette confusion, disons mieux, de cette fusion, se trouve dans Plutarque. L'illustre biographe parle des magnifiques constructions entreprises à Athènes par Périclès, et menées si rapidement à bien aux dépens du trésor commun des villes alliées : « Il meit en avant au peuple des entreprises de grands édifices et des des⚫ seings d'ouvrages de plusieurs mestiers qui ne se pouvoyent ⚫achever que avec long traict de temps, afin que les citoyens • qui demouroyent en la maison eussent moyen de prendre part aux deniers publics, et de s'en enrichir aussi bien comme ceufx qui alloyent à la guerre, qui servoyent aux vaisseaux ⚫sur la mer ou qui estoyent en garnison à la garde des places : pour ce que les uns gaignoyent à fournir les matières, ⚫ comme la pierre, le cuyvre, l'yvoire, l'or, l'ébène et le cyprez; les autres à les mettre en œuvre et à en besongner, comme les charpentiers, mouleurs, fondeurs, imagers, maçons, tailleurs de pierres, teinturiers, orfèvres, menuisiers, besongnans d'yvoire, peintres, ouvriers de marquetterie, tourneurs; les autres à conduire les estoffes et à les fournir, ⚫ comme marchands, mariniers, pilotes ès choses qui s'ame⚫noyent par la mer, et par terre les charrons, voituriers, chartiers, cordiers, carriers, selliers, bourreliers, pionniers pour ⚫applanir les chemins, fouilleurs de mines. Davantage chasque ⚫ mestier comme capitaine avoit soubz soy sa propre armée de maneuvres, gaignans leur vie à la peine de leurs bras ⚫ seulement, pour servir comme d'outilz et d'aides aux mais⚫tres ouvriers; de manière que la besongne, par ce moyen, ⚫ venoit à espandre et distribuer le gaing à toute aage et à toute qualité et condition de gens.

Or, celuy qui luy conduisoit tout et avoit la superinten⚫dance sur toute la besongne estoit Phidias, combien qu'il y eust plusieurs autres maistres souverains et ouvriers trèsexcellents à chasque ouvrage. »

D

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