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BEAUX-ARTS,

PAR M. LE COMTE DE LABORDE,

MEMBRE DE L'INSTITUT.

COMPOSITION DU XXX JURY.

MM. G. DE VIEBANN, conseiller au département du com

Zollverein.

merce, à Berlin.... . . . .

lord COLBORNE...

Angleterre.

Antonio PANIZZI, conservateur des imprimés au Mu-
sée britannique......

C. R. COCKERELL, architecte de la Banque de Londres.
J. GIBSON, Sculpteur.

lord HOLLAND...

le comte DE LABORDE, membre de l'Institut.

le général Georges MANLEY...

C. T. NEWTON, Cconservateur-adjoint des antiquités au
Musée britannique...

Toscane.

Angleterre.

Toscane.
France.
États Pontif.

Angleterre.

A. William PUGIN, architecte...

A. J. QUETELET, secrétaire de l'Académie des beaux-
arts de Bruxelles.......

Belgique.

Richard REDGRAVE, peintre...

J. D. C. SEURMONDT, directeur de la Monnaie,
Utrecht....

....

le D' C. WAAGEN, conservateur des tableaux du Musée
de Berlin...

W. WYON, graveur de la Monnaie, à Londres..

Angleterre.

Hollande.

Prusse.
Angleterre.

AVANT-PROPOS.

L'Exposition universelle de Londres a remué le monde, et les effets de cette commotion se continuent dans les intelligences capables d'apprécier la portée de cet événe

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ment. Personne, en effet, ne croira qu'en fermant les portes du Palais de Cristal on a clos la discussion des grands intérêts débattus dans son enceinte. Loin de là: c'est depuis que les visiteurs sont rentrés dans le courant de leur activité nationale qu'on s'aperçoit à quel point l'horizon de chacun s'est étendu au delà de sa portée ordinaire. Et cependant, si ce contact des intérêts généraux a soulevé toutes les questions, un résultat a dominé ce mouvement : évident pour tous, il est devenu comme le programme universel. Chacun s'est dit : L'avenir des arts, des sciences et de l'industrie est dans leur association.»

Représentant de la France dans le Ve groupe du jury, j'ai dû étudier cette question au point de vue particulier de l'action des arts sur le développement intellectuel et commercial des peuples. Cependant je n'ai pas mission d'écrire l'histoire des beaux-arts; je dois indiquer sommairement le rôle qu'ils ont joué aux époques florissantes de la civilisation, signaler en quoi, de nos jours, ils ont changé leur voie, et quels vices de constitution arrêtent leur essor; puis, après avoir marqué notre place dans l'Exposition universelle de Londres, constater les efforts qui sont faits de tous côtés pour nous ravir le sceptre dont la légitimité a été reconnue dans ce solennel concours; enfin je dois rechercher quelles sont, dans cette nouvelle situation, les mesures à prendre, les réformes à introduire, les institutions à fonder pour soutenir la lutte et maintenir la domination universelle que la France a' exercée à plusieurs reprises depuis Charlemagne, et sans interruption, comme sans conteste, depuis Louis XIV.

Cette tâche est lourde; avant de l'accepter, je me suis fait deux questions: Les arts ont-ils assez d'importance dans la vie d'un peuple pour qu'on doive s'en occuper sérieusement? Ai-je le droit de traiter cette matière difficile? J'ai répondu affirmativement sur les deux questions; le lecteur jugera en dernier ressort.

Je ne me suis occupé que des arts, et cependant je ne sépare de l'industrie ni les lettres ni les sciences; à mon sens,

les arts, les lettres et les sciences ne font qu'un avec l'industrie, et l'édifice industriel menace ruine quand ces trois appuis de sa base perdent de leur solidité. La culture des lettres et des sciences, comme celle des arts, peut avoir lieu, il est vrai, d'une manière abstraite, et se développer dans l'isolement; mais alors ces études sont bornées autant que puériles, ce développement est maladif et n'a aucune portée.

Si l'union est complète, la marche est assurée, et toutefois les progrès différent essentiellement. Les arts ne se laissent arracher que des victoires personnelles et passagères; les sciences accordent à l'humanité des conquêtes inaliénables, définitives, et qui conduisent avec certitude à d'autres conquêtes. Dans les arts, une génération apprend et crée des chefs-d'œuvre; celle qui la suit désapprend et ne laisse rien après elle dans les sciences, depuis l'origine du monde, mais surtout depuis l'invention de l'imprimerie, qui défie les invasions partielles de la barbarie, ce qu'une génération invente devient le patrimoine de la génération qui la suit, le point où l'homme est arrivé sert de point de départ aux nouveaux efforts de ses enfants. Cette différence est surtout sensible lorsque l'enseignement des arts est désorganisé, en même temps que l'étude des sciences est fortement constituée; on voit alors se produire ce qui se passe aujourd'hui sous nos yeux une école d'artistes qui laisse dépérir l'art, une foule de praticiens qui le rabaissent dans des pastiches de tous les styles, tandis que la science unie à l'industrie marche à pas de géant dans une voie élargie, aux horizons sans fin. C'est à rétablir une harmonie indispensable que tendent tous les développements de mon rapport.

Je propose dans ce travail beaucoup d'innovations, sans avoir de prétention au rôle de novateur, au mérite des idées originales, sans me laisser non plus étourdir par les reproches d'esprit chimérique et paradoxal, car la vie se passe à 1axer de vulgarité les chimères de la veille et à nommer aujourd'hui vérité banale ce qui était hier paradoxe insensé; je n'ignore pas qu'une idée n'entre dans la pratique que

lorsqu'elle s'est dépouillée du costume étrange de la nouveauté, et je serai heureux si chacun, en me lisant, peut s'écrier Mais ceci a été fait! mais j'ai déjà eu cette idée! Voilà un projet qui n'est pas nouveau; j'ai vu cette proposition quelque part; les anciens ont fait cela au moyen âge, on ne procédait pas autrement!» Ce sera là mon triomphe, triomphe de courte durée, je le sais; hier, on m'aurait reproché de rêver l'impossible, demain on m'accusera d'avoir proposé des mesures vulgaires et d'être un esprit arriéré : ainsi juge la routine, ainsi marche le progrès.

Me rattachant à toutes les grandes traditions, j'aurai contre moi ceux qui les considèrent comme des vieilleries inutiles; croyant sincèrement que les peuples les mieux doués et les plus avancés sont menacés de décadence quand ils ne marchent pas résolument dans la voie du progrès, j'aurai à lutter contre cette jeunesse qui pense que la génération présente est prédestinée pour les grandes créations de l'art, parce qu'elle a su se débarrasser de toutes les entraves de l'étude; mais ma conviction n'est pas ébranlée par ces dédains superbes, par cette confiance aveugle. J'ai vu partout, dans l'histoire des arts, les renaissances se former avec lenteur de l'habile combinaison d'éléments anciens et nouveaux, à force de labeurs, au prix, de mille efforts, et je crois que la renaissance du XIXe siècle, que j'appelle de tous mes vœux, sera également le résultat d'une comparaison sérieuse et approfondie de tous les modèles de l'art associés aux beautés de la nature, d'études accomplies de bonne foi, avec conscience, persévérance et modestie.

APERÇU HISTORIQUE SUR LA MARCHE DES ARTS

AU MILIEU DES NOMBREUX CHANGEMENTS DE STYLE ET DES DIVERS MODES

D'ENSEIGNEMENT, DE CONTRÔLE ET DE PROTECTION.

L'homme avait à peine commis sa première faute qu'il comprit sa destinée finale. Adam vit qu'il était nu, dit l'Écriture; il se fit industriel pour s'habiller et pour meubler sa demeure. Mais Dieu n'aurait pas voulu donner à sa créature une mission aussi matérielle, aussi bornée; il permit que l'homme emportât du paradis, en souvenir de son existence presque divine, cet amour du beau qui le relève de sa déchéance, qui distrait ses ennuis et le console dans l'adversité.

L'homme est donc né à la fois industriel par besoin et artiste par vocation; mais, de même que les individus sont plus ou moins intelligents, les nations sont plus ou moins bien douées. Ce sentiment d'outre-terre, cet amour du beau, inné en nous comme les principes de la vertu, l'amour filial, le sentiment de l'honneur, la barbarie peut l'étouffer ou le laisser sommeiller, l'éducation et les institutions ont le pouvoir de le développer et de l'exalter. Telle nation est artiste sans industrie, telle autre deviendra industrielle sans avoir le sentiment des arts. Vienne un de ces hommes que les nations nomment grands, et il donnera à celle-ci des bras; à celle-là, une âme; à la nation artiste, des machines, des comptoirs, des vaisseaux; à la nation industrielle, la connaissance et l'amour du beau par l'enseignement des écoles, par la vue des chefs-d'œuvre de l'art répandus sur les voies publiques ou réunis dans les musées.

Tout art a pour loi de développement la diversité dans l'unité, la liberté dans la règle.

L'Égyptien a trouvé dans sa religion, peut-être aussi dans les limites circonscrites de sa vallée, créée successivement et toujours fécondée par le limon du Nil, et en même temps dans la nature monotone de son climat, aux phénomènes

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