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IDALIE.

Mon frère, vous pouvez aller dire à Agathocle qu'il vous tienne sa parole, et qu'à cette condition je consens à être à lui.

THÉAGÈNE.

Ah! ma sœur quelle reconnaissance assez vive!...

IDALIE.

Allez, mon frère. Ah! ciel! le roi vient.

MADAME,

SCENE VII.

PTOLOMÉE, IDALIE.

PTOLOMÉE.

ADAME, je viens en tremblant recevoir mon arrêt. Je ne doute point de votre choix : vous partirez, et je vous perdrai pour jamais ; et je demeurerai pour jamais privé du plaisir de vous voir, du seul plaisir qui pouvait me toucher.

IDALIE.

Seigneur, si mon éloignement est un malheur pour vous, vous n'avez point ce malheur à craindre. Je ne partirai point.

PTOLOMÉE.

Ah! qu'entends-je ? quel bonheur inespéré ! vous ne partirez point? Et se pourrait-il qu'à cette heureuse résolution vous ajoutassiez encore celle....? Pardonnez-moi, madame, l'espérance renaît malgré moi dans mon cœur. Auriez-vous choisi un époux?

Oui, seigneur.

IDALIE.

PTOLOMÉE.

Dans quel trouble vous me jetez! Tirez-m'en promptement, belle Idalie. Hélas! en faisant votre choix, avez-vous bien pensé à mon amour? Vous êtes-vous souvenue que personne n'aime comme moi?

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Que veut dire cet embarras? Je ne vois que trop quel augure j'en dois tirer. Ah! cruelle, ce n'est

IDALIE.

pas moi que vous avez choisi.

Non, seigneur; les dieux me sont témoins que je connais mieux que personne toutes vos vertus : mais enfin...

PTOLOMÉE.

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Perfide, ce n'est pas

moi! ce n'est pas moi, barbare! Ah!

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partez plutôt pour jamais; et délivrez ces lieux du trouble que vous y causez. Partez, que jamais l'Egypte ne vous revoie; et emportez s'il se peut, avec vous la malheureuse passion que vous avez allumée dans mon cœur.

Il n'est plus temps de partir, seigneur, il faut que je suive mon destin.

Ingrate, je vois le mystère de toute votre conduite. Vous vous entendiez avec Agathocle; mais la difficulté était d'obtenir mon aveu pour votre indigne union. Vous avez feint de vouloir partir; vous m'avez menacé de votre retraite, parce que vous saviez que je n'y pouvais consentir, et que, pour l'empêcher, je consentirais plutôt à tout: vous avez abusé de ma tendresse ; vous en avez tourné les effets con tre moi-même. Mais il suffit que j'aie découvert vos artifices; soyvez bien sûre que vous n'en jouirez pas.

Vous m'accusez d'ainer Agathocle! Ah! que ne savez-vous?.... Agathocle lui-même ne le croit pas.

Et comment ne l'aimeriez-vous pas? Vous le préférez à tout. Quoi donc! Agathocle jouíra du bonheur suprême de voir la plus aimable personne de l'univers, elle qui aurait fait, si elle avait voulu, toute la félicité de ma vie, lui sacrifier un trône et un amour tel que le mien? Idalie, est-il bien vrai que vous y soyiez résolue? Mes larmes ne vous touchent-elles point? Comment avezvous pu croire qu'Agathocle vous aimât comme moi? Aimable Idalie, revenez à vous; repentez-vous de votre injustice: rétractez un choix qui me donne la mort.

IDALIE.

Je voudrais le pouvoir; mais je n'en suis plus la maîtresse. J'ai cru pouvoir jouir de la liberté que vous n'avez donnée. Je ne puis vous en dire davantage, seigneur au nom des dieux, net me suivez point.

ACTE III.

SCÈNE PREMIÈRE.

PTOLOMÉE, EUMÈNE.

PTOLOMÉE.

EUMÈNE, je ne puis t'exprimer ce que je
plaît, tout m'importune; cet indigne choix
me tourmente sans cesse. Quel est, injustes dieux

Tout me dém'agite et descendant

perpétuel d'Agathocle sur moi? Après m'avoir enlevé la royauté dont il ne me laisse qu'une vaine apparence, il m'enle ve encore Idalie. Il en est aimé. Agathocle aimé d'Idalie! Non, je ne puis m'accoutumer à cette funeste idée : il me semble que c'est un songe; j'ai toujours la même peine à le croire.

EUMÈNE.

Je vous avoue, seigneur, que je ne l'eusse pas soupçonné. Agathocle est d'un caractère dur, farouche, incapable de tendresse, lors même qu'il est amoureux : je ne le croyais point destiné à plaire à Idalie; mais enfin il en faut croire les effets : elle lui sacrifie un trône; et quel amour ne faut-il pas pour un pareil sacrifice?

PTOLOMÉE.

Voilà ce qui me désespère. Elle eût pu sans amour épouser un roi; mais elle ne peut sans amour préférer un sujet à un roi. Peut-être aussi est-ce que je ne suis pas assez roi, elle préfère la royauté réelle d'Agathocle, à cette royauté imaginaire, qui n'est pour moi qu'un ornement inutile. Eumene, c'est ta faute : c'est toi qui me retiens dans mes chaînes; mais tu peux t'attendre que je vais les briser. L'état où je suis est la source du mépris qu'Idalie a pour moi; et n'est-il pas juste? Mais je le ferai finir; elle connaîtra qui elle méprisait, et me regrettera.

EUMÈNE.

Seigneur, il est bien certain que ce n'est pas là ce qui vous fait perdre Idalie; mais il l'est aussi que sa perte est le plus grand bonheur qui vous pût arriver.

PTOLOMÉE.

Un bonheur ! et je sens que je vais en mourir !

/EUMÈNE.

Si Idalie eût accepté votre trône, Agathocle l'eût renversé. Je sais même qu'il n'eût pas souffert son départ : rien ne pouvait prévenir sûrement les désordres qui allaient arriver, que le parti qu'elle a pris; et elle a agi d'une manière si conforme à vos intérêts, que.....

PTOLOMÉE.

Je fais réflexion à ce que tu me disais tout-à-l'heure: Agathocle n'est point fait pour lui plaire; car enfin, tout ingrate qu'elle est pour moi, il faut lui rendre justice : je sens dans tous ses discours, dans toutes ses actions, une impression de vertu, qui ne peut partir que d'un cœur bien fait; et c'est ce qui m'attache à elle encore plus que sa beauté. Elle ne peut trouver dans le caractère d'Agathocle ce qui lui conviendrait :

elle m'a nié absolument qu'elle l'aimât; il me semble qu'il y a dans toute sa conduite, je ne sais quoi d'enveloppé que nous ne pénétrons point. Non, elle n'a point d'amour pour lui.

EUMÈNE.

Elle en a, mais elle en rougit; elle est entraînée malgré elle vers Agathocle, et condamne son propre choix.

PTOLOMÉE.

Tu conviens donc que sa raison est pour moi? O dieux ! avec quel art je me fais de vaines consolations! Non, elle aime Agathocle, elle me hait; et je n'ai rien à espérer. Je me serais contenté qu'elle m'eût préféré seulement par ambition. Hélas! ce bonheur si imparfait était encore trop pour moi.

EUMÈNE.

Son amour pour Agathocle vous a bien servi, seigneur : voilà à quoi il faut s'en tenir. Dans peu vous rendrez grâces aux dieux de ce qui vous désespère aujourd'hui. L'Egypte allait être en feu; une guerre intestine allait s'y allumer, et la ravager de concert avec celle de Syrie. Heureusement Agathocle est content; il va jouir de sa conquête; mais il faut qu'il en jouisse sans défiance et sans crainte. Plus vous lui paraîtrez tranquille, plus il vous sera aisé de préparer secrètement les moyens d'affaiblir son autorité, et de vous ressaisir de la vôtre.

PTOLOMÉE.

Agathocle jouirait paisiblement de la conquête d'Idalie? Et quels jours passerais-je, grands dieux, en la voyant entre les bras d'un rival? Non, Eumène, non; je n'essuierai pas cet affreux supplice.

E UMÈNE.

Songez, seigneur, que le choix d'Idalie donne à Agathocle un droit qu'il n'avait pas. Avec de pareilles armes, il est plus redoutable que jamais. Que ne fera-t-il pas de cette apparence de justice qui est pour lui? Combien sa fierté en augmentera-t-elle ?

PTOLOMÉE.

Hélas! il n'aura que trop de raison. Et qui ne serait fier d'être aimé d'Idalie? Mais quelque fier, quelque redoutable qu'il soit, je veux enfin me montrer à lui tel que je suis. Si je parais le craindre toujours, il se rendra toujours plus à craindre. Dès que je ne le craindrai plus, il me craindra. Les puissances usurpées sont timides devant les légitimes. Et combien a-t-on vu de favoris redoutables à leur maître même, tomber au premier coup d'oeil de ce maître irrité? Idalie retournera en Sicile, et Agathocle ne l'épousera point. Je sais quel affreux tourment ce

sera pour

moi que son absence; mais j'en souffrirai encore moins que de son indigne mariage; et du moins je la punirai.

EU MÈNE.

Mais, seigneur, vous avez laissé une entière liberté à Idalie : vous avez donné votre parole; c'est la parole d'un roi, vous ne pouvez plus rien.

PTOLOMÉE.

Cruel Eumène, que me dis-tu ? Pourquoi veux-tu arrêter une si légitime vengeance?

SCENE II.

PTOLOMÉE, EUMÈNE, THÉAGÈNE.

THÉAGÈNE.

SEIGNEUR, je sais la douleur où vous êtes, et je viens vous demander pardon d'en être la cause, et en même temps la faire cesser. Il n'est pas juste que pour les intérêts de Théagène un grand roi soit malheureux, et un roi à qui ma sœur et moi nous devons tout!

PTOLOMÉE.

Que voulez-vous dire, Théagène? Expliquez-vous.

THÉAGÈNE.

Ma sœur a choisi Agathocle; c'est moi qui l'ai déterminée à ce triste choix. J'aime Agathoclée; et son frère me la promettait, si je pouvais porter ma sœur à le choisir. Idalie m'aime avec toute la tendresse dont une sœur est capable pour un frère: jamais le sang n'a formé de liens si forts; elle s'est résolue, pour me rendre heureux, à vous préférer Agathocle, à me sacrifier un trône; mais que cet effort lui a coûté! A peine sortiez-vous d'avec elle, seigneur, que, fondant en larmes, et pressée de la douleur la plus vive....

PTOLOMÉ E.

Eumène, Agathocle n'est point aimé; et voilà le mystère que nous ne pénétrions pas. Je commence à respirer de l'accablement où j'étais. Poursuivez, Théagène : Idalie est-elle toujours dans la même douleur?

THÉAGÈNE.

Oui, seigneur; elle est tombée entre les bras des femmes qui l'environnaient. Ses yeux ont perdu plusieurs fois la lumière, et ils ne la recouvraient que pour la reperdre aussitôt. J'ai tremblé pour ses jours. Quel barbare pourrait se résoudre à être heureux par les larmes et par les tourmens d'une aussi aimable sœur qu'Idalie!

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