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devant Thèbes, qui étaient des tragédies mâles, et capables d'animer les citoyens aux grandes choses; mais qu'il a représenté des Sténobées et des Phèdres, caractères vicieux et de mauvais exemple. Il dit que quoique ces histoires, à la vérité, soient connues de tout le monde, un poëte n'en doit pourtant pas réveiller le souvenir; que pour lui, il ne croit pas avoir mis sur le théâtre une femme amante. Il me semble que Corneille et Racine pourraient à peu près faire ensemble les mêmes scènes que font Eschyle et Euripide. Euripide est encore bien blâmé par Eschyle, de ce qu'il habillait quelquefois ses héros de haillons, afin qu'ils fissent plus de pitié au peuple. Ensuite ils vont jusqu'à critiquer quelques vers l'un de l'autre. Eschyle prétend faire voir que tous les prologues d'Euripide sont sur le même ton. Euripide en commence vingt, et à tous Eschyle leur fait convenir le ληχσθιον ἀπῶλεσεν. On ne sait bonnement ce que cela veut dire. M. Blondel m'a dit qu'il soupçonnait que anobiov àæãdeσev était le refrain de quelque chanson de ce temps-là, comme landeriri, landerirette; et que comme cela revenait toujours à la fin de la chauson, Eschyle, en remettant toujours partout Anxobiov Atos, marquait l'uniformité des prologues d'Euripide.

Selon Aristophane, voici l'ordre des tragiques grecs; Eschyle, Sophocle, Euripide. Il est fort plaisant de faire mettre dans des balances des vers d'Eschyle contre des vers d'Euripide, et de faire que ceux d'Eschyle, qui sont forts et nombreux, et composés de grands mots, l'emportent sur ceux d'Euripide, qui sont faibles et minces, mais plus peignés.

c'est toujours

Les Cavaliers sont un peu ennuyeux, parce que la même chose; toujours la dispute de Cléon et d'Agoracrite, toujours des scènes d'injures de l'un contre l'autre. Mais, à cela près, cette pièce-là est une satire fort plaisante de la facilité qu'avait le peuple d'Athènes à se laisser gouverner par des gens de rien et par des fourbes; car Cléon, qui gouvernait alors, était tanneur; et Aristophane, pour lui donner un rival digne de lui, lui oppose un charcutier. Toutes les qualités qu'il trouve à ce charcutier pour être le premier homme de la république, comme d'être ignorant, accoutumé à couper et à trancher de tort et de travers, à survendre sa marchandise, à brouiller tout dans les boudins qu'il fait, tout cela est très-bien imaginé. J'aime bien encore les contestations de Cléon et d'Agoracrite, à qui criera le plus haut et sera le plus méchant, les caresses et les présens qu'ils font au peuple, etc. L'un lui apporte une casaque, l'autre un habit entier ; l'un des gâteaux, l'autre une soupe, etc. Ce gâteau à la lacédémonienne que Démosthène dit qu'il avait préparé, et que Cléon lui a dérobé, représente fort bien l'affaire

de Pyle. Cléon est encore bien comparé aux nourrices qui mâchent du pain pour leurs enfans, mais qui en avalent trois fois plus qu'elles ne leur en donnent. Je m'étonne que le peuple d'Athènes, qui était maître absolu, souffrit qu'on le jouât en sa présence, qu'on l'appelat mille fois sot et imbécile, et qu'on lui fit voir qu'on le menait par le nez tant qu'on voulait, et qu'on le prenait par des niaiseries comme un enfant. Bon pour lui en faire des remontrances sérieuses, à la manière de celles que lui faisait l'orateur Démosthène : mais des plaisanteries de théâtre, autre chose.

Ce vers d'Euripide:

Η γλῶσσ' όμμοχ, ἢ δεφ Βὴν ανάμοτος,

a été repris par les comiques de ce temps-là, et Platon a paru en plaisanter d'une manière qui le condamne. Cette distinction de la langue et de la volonté, et cette adresse du détour de l'intention, paraissait une chose dangereuse à enseigner au peuple, quoique ce ne fût que dans une tragédie. Ces casuistes anciens étaient bien plus rigoureux que les nôtres.

A propos de cas de conscience, Cicéron, dans les offices, dit que s'il y a cherté de blé à Rhodes, et qu'un marchand qui y en porte d'Alexandrie, rencontre sur la mer d'autres vaisseaux chargés de blé qui vont à Rhodes, et qu'il arrive plus tôt qu'eux, il est obligé de dire aux Rhodiens qu'il leur vient encore du blé, et de ne vendre le sien que sur ce pied-là. Ces décisions-là sont pis que jansénistes.

Les Arcananiens ne me plaisent point trop. Le meilleur est l'opposition des préparatifs que fait Lamachus pour s'armer, et de ceux que fait Dicéopolis pour un repas. C'est encore un endroit fort plaisant que celui où ce Dicéopolis, qui veut haranguer le peuple, va prier Euripide de lui prêter les haillons dont il avait habillé Télèphe, afin que la harangue fit plus d'effet. Euripide, à qui on demande l'une après l'autre toutes les pièces de l'équipage d'un gueux, se plaint qu'on lui ôte toute une tragédie. Il est remarquable que, selon Aristophane, la guerre du Péloponnèse vient de ce que de jeunes Athéniens, qui avaient bu, allèrent à Mégare enlever la courtisane Simotha; et que ceux de Mégare, pour se venger, enlevèrent deux demoiselles d'Aspasie; ce qui fut cause que Périclès, qui était tout-à-fait dans les intérêts d'Aspasie, fit traiter Mégare d'une manière si dure, que cette ville fut obligée d'implorer le secours des Lacédémoniens. Aristophane dit que le roi de Perse, après avoir demandé aux ambassadeurs de Lacédémone, lesquels, de tous les Grecs, étaient les plus puissans sur mer, s'informa à eux de lui Aristo

phane, et leur dit que, s'ils l'en croyaient, ils seraient bientôt les maîtres. C'est bien de la vanité pour un poëte comique : il est vrai pourtant que les comédies de ce temps-là faisaient partie du gouvernement, et avaient un grand pouvoir sur le peuple. Je n'aime point toute la foire de Dicéopolis, ni les filles du marchand de Mégare déguisées en truies, et vendues pour telles, à moins qu'il n'y ait à cela quelque mystère que je n'entends pas.

Les Guêpes sont assez médiocres. C'est une satire de la passion que les Athéniens avaient pour juger. Hormis le caractère de Philocléon, qui est Perrin Dandin des Plaideurs, et le jugement du chien qui avait mangé un fromage, tout le reste n'est guère plaisant. A quoi aboutissent toutes ces sottises que fait Philocléon quand il est soûl, et qu'il s'est mis à aimer la joie?

Je ne vois point le mot pour rire des Oiseaux. Cela seulement me paraît bien libre contre les dieux; car presque toute la pièce roule sur ce que cette ville de Nephelococcigie les réduirait à mourir de faim, parce qu'elle interrompait le commerce entre eux et les hommes, et que les oiseaux seraient maîtres de tout. Les Athéniens n'étaient pas assurément trop dévots, puisqu'ils souffraient de pareilles comédies. Otez de celle-là la plaisanterie sur les dieux, ce n'est plus rien; encore cette plaisanterie ne me paraît-elle guère bonne. Les oiseaux environnent l'air de murailles; et c'est à eux désormais qu'il faut que les hommes sacrifient, sans s'embarrasser des dieux. Ce dessein-là n'a rien d'agréable. Toute la pièce, en général, est fort froide. Le meilleur morceau est celui du poëte, du sacrificateur, du géomètre et du législateur qui se viennent faire de fête à la nouvelle ville de Nephelococcigie, et offrir chacun un plat de son métier, dont on les remercie.

La Paix est assez agréable par le sujet. Ce sont des réjouissances sur le retour de la paix, que les Grecs croyaient assurée après la mort de Cléon et de Brasidas. Mais cette pièce-là n'a rien de plaisant par la manière dont elle est tournée, si ce n'est la scène des vendeurs de casques, de cuirasses et de trompettes, qui sont ruinés. J'aime assez encore ces deux pilons, Cléon et Brasidas, dont la guerre se servait pour broyer les villes de Grèce dans un mortier ; et ces esprits de poëtes dithyrambiques, que Trigée avait rencontrés dans les airs, en y faisant son voyage sur l'escargot. Tout le reste n'a rien de vif; ce sont toujours des répétitions sur les biens de la paix. Peut-être cependant le peuple d'Athènes avait-il besoin qu'on les lui fit connaître. Aristophane se vante dans un choeur, qu'il a le premier traité des sujets importans dans la comédie, au lieu que ce n'était auparavant

que de mauvaises plaisanteries d'esclaves sur les coups de fouet qu'on leur avait donnés.

Les Harangueuses sont assez plaisantes. Ce dessein de donner le gouvernement aux femmes, me paraît une satire assez fine du mauvais gouvernement des hommes; et je crois que la pièce eût été meilleure, si elle eût roulé toute entière sur cette satire. Mais je ne vois point à quoi aboutit cette communauté de biens que les femmes veulent établir; cela ne produit rien d'agréable, Il n'en est pas de même de la loi par laquelle elles ordonnent qu'il faudra passer par une vieille pour parvenir à une jolie personne; les scènes qui sont sur cela sont plaisantes. A la vérité, il y a bien des ordures, tant dans la bouche des hommes que dans celle des femmes. Mais le siècle était naïf. C'est encore pis, ce me semble, quand il y a des scènes où Aristophane ne parle que de péter, de chier, etc. Je crois qu'il n'y avait alors que les hommes qui allassent à la représentation des comédies, car les femmes grecques étaient fort resserrées. C'est là peut-être la cause de la grossièreté qui est quelquefois dans le style des comiques.

La Fête de Cérès est fort bonne. Il y a de la satire sur les mœurs en général, sur deux ou trois personnes en particulier, sur quelques pièces d'Euripide; et outre cela le jeu de théâtre m'en paraît aussi agréable que d'aucune autre comédie d'Aristophane. Tout ce que dit Mnesiloque, déguisé en femme, pour justifier le mal que son gendre Euripide a dit de tout le sexe, est fort plaisant, et très-satirique dans les mœurs de ce siècle-là. L'apologie des femmes contre les hommes a quelque chose de bien joli. « Vous nous appelez un mal, disent-elles: mais pourquoi donc gardez-vous ce mal avec tant de soin? Si vous ne » trouvez pas ce mal chez vous, quand vous y entrez, que » n'en êtes-vous bien aises? Si ce mal met la tête à la fenêtre, pourquoi prenez-vous tant de plaisir à le voir, etc. »? On ne saurait mieux se moquer des mœurs efféminées d'Agathon, le faiseur de tragédies, qu'en le faisant prier d'aller à la fête de Cérès, déguisé en femme, parce qu'on le prendra aisément pour une d'entre elles. Il s'en défend fort bien par ce vers d'Euripide que Phérès dit à Admète :

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Χαίρεις ὀρχοῦ φῶς. Πατέρας οὐ χαίρειν δοχεῖς ;

Mais il est plaisant que, sur son refus, Mnesiloque lui emprunte du moins son équipage pour se déguiser lui-même en femme. Toute cette cérémonie, qui se faisait sur le théâtre, devait être fort bouffonne. Il est encore bien imaginé que ce soit Clisthène qui apporte aux femmes la nouvelle qu'il y a un

homme déguisé parmi elles, parce que ce Clisthène était fort efféminé, et par conséquent s'intéressait aux affaires des femmes. Je crois que ces rôles de Ménélas et de Persée qu'Euripide joue pour tirer Mnesiloque d'affaire, et auxquels Mnesiloque répond comme Hélène et comme Andromède, devaient faire un effet aussi plaisant que quand les Italiens, parmi nous, contrefont ainsi des pièces sérieuses. Ce ridicule-là qui, le plus souvent, n'est point fondé sur la chose, et qui ne dépend que du ton et de l'action, ne laisse pas d'être un ridicule. Ce satellite Scythe, qui parle un mauvais grec, est la même chose que nos Suisses qui baragouinent. Il y a dans cette pièce de beaux chœurs sur Cérès et Proserpine; tout cela sans doute se chantait, et faisait une diversité fort agréable. Toutes ces comédies ressemblaient au Malade Imaginaire et au Gentilhomme Bourgeois : elles étaient mêlées de chants et de danses; et dans l'état où nous les voyons, elles ont bien perdu de leurs agrémens. Aristophane en voulait bien à Euripide. Il va dans cette pièce jusqu'à lui reprocher qu'il était fils d'une vendeuse d'herbes.

Lisistrate est une idée très-folle. Rien n'est plus plaisant que de faire terminer la guerre du Péloponnèse par les femmes, tant athéniennes que lacédémoniennes, qui ont conjuré de ne point coucher avec leurs maris, s'ils ne se résolvent à faire la paix. Je ne sache point de pièce si pleine d'ordures, ni plus propre à faire voir combien les anciens étaient libres. A peine puis-je croire qu'on ait joué la scène où Cinésie prie Mirrine sa femme de lui accorder ce qu'elle lui doit. On ne se peut rien imaginer de plus gaillard. C'est quelque chose de fort bon que la peine qu'ont toutes ces femmes à faire le serment que Lisistrate exige d'elles; que les efforts qu'elles font pour lui échapper dans la citadelle d'Athènes, où elles se sont cantonnées contre les hommes, et cet ambassadeur lacédémonien qui vient dire que tout Sparte...... et n'en peut plus, et qu'il faut absolument faire la paix. Mais je trouve tout le combat des veillards et des femmes assez froid.

En général, Aristophane est plaisant, et a de fort bonnes choses. La plupart de ses pièces sont sans art; elles n'ont ni nœud ni dénouement. La comédie était alors bien imparfaite. Il ne connaissait point ce que nous appelons intrigue, et ce que les Espagnols entendent si bien. Le théâtre était fort simple chez les Grecs. Enfin on voit bien que les pièces d'Aristophane ne sont encore que la naissance de la comédie: mais on voit bien en même temps qu'elle prenait naissance chez un peuple spirituel. Vous ne trouverez jamais dans Aristophane de ces jeux de théâtre fins et agréables, comme les confidences d'Horace à Arnolphe. Vous n'y trouverez encore presque pas de caractères, hormis

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